Pour beaucoup de villes, la mise en place des cités éducatives a permis de questionner le projet pour les enfants et les jeunes que l'on veut pour les quartiers Politique de la Ville.
A Bordeaux, c'est une réalité avec en point d'orgue des actions permettant de mieux travailler le vivre ensemble.
Bordeaux n’est pas une carte postale et la ville possède 6 quartiers Politique de la ville. Pour répondre aux besoins de ces quartiers, la ville a décidé de proposer aux acteurs et actrices de mettre en place une cité éducative. Située autour du Collège du Grand Parc, la Cité Éducative Bordeaux Nord regroupe un projet construit autour de 31 écoles 7 collèges et 5 lycées. Sylvie Schmitt adjointe chargée de l’éducation et Isabelle Diouf Cheffe du Projet Cités éducatives de Bordeaux ont accepté de nous parler de ce projet qui vient de faire l’objet d’une évaluation.
Pourquoi avoir demandé à bénéficier du dispositif « cité éducative ?

Sylvie S : Lorsque nous avons été élu.e.s j’ai pris la présidence du Groupement d’Intérêt Public qui s’occupait à l’époque du Programme de Réussite Éducative. J’ai trouvé dans les dossiers de l’équipe précédente un dossier « cité éducative » non traité. J’y ai vu une solution pour prôner la communauté éducative, l’alliance éducative des acteurs, des actrices pour les mettre autour d’un projet d’épanouissement des enfants. Quand l’État a rouvert une campagne d’agrément « cité éducative », avec les services, on s’est dit que c’était une opportunité pour la ville, qui outre l’ingénierie et les moyens dédiés, était une manière de répondre à une mobilisation spécifique à côté du droit commun pour faire alliance ensemble.
Quelle a été votre démarche ? Quels sont les objectifs de votre cité éducative ?
Sylvie Schmitt : On a d’abord fixé des objectifs spécifiques pour cette cité éducative. La préoccupation première était de répondre à la problématique de violences dans les quartiers, inter-quartiers marqués notamment par la mort d’un jeune. La cité éducative pouvait répondre à cet enjeu de décloisonner et d’apaiser les quartiers ciblés sur Bordeaux Nord. On avait besoin pour cela que toutes les forces vives se réunissent, la cité éducative étant un levier intéressant pour cela. Une fois retenu par l’État, on a embarqué les acteurs, les actrices de terrain pour définir en concertation quels pouvaient être les objectifs, les enjeux identifiés.
Trois thématiques ont émergé : les quartiers décloisonnés, la réussite éducative pour tous et la santé et le bien-être.
La lutte contre les violences était pour nous centrale tout comme la nécessité de faire sortir les jeunes des quartiers. Sur la réussite éducative pour tous, on est sur des enjeux classiques d’une cité éducative. Très tôt il nous a semblé important de travailler sur la gouvernance de cette cité éducative. En général, on est sur une troïka : préfecture, Éducation nationale et ville. Nous, de suite, on a intégré la CAF car on voulait absolument inclure la parentalité pour une cité éducative agissant sur les 0 – 25 ans. La famille pour nous, c’est la colonne vertébrale pour toute la vie des jeunes et c’est là que l’on doit tisser des liens. On a ainsi pu créer des actions spécifiques grâce à cet appui de la CAF sur les 0-3 ans. Sur le dernier axe, la santé et le bien-être, on a voulu l’amélioration de l’accès aux droits et comme on est une ville qui a conservé sa médecine scolaire, cela nous permet d’avoir des leviers d’intervention, une certaine réactivité sur des priorités que l’on se fixe : les compétences psychosociales, la prévention de l’exposition aux écrans.
Quel bilan en 2024 ?
Sylvie Schmitt : On a pu mesurer l’intérêt pour les quartiers. Cela nous a poussé à l’étendre sur les six quartiers politiques de la ville de Bordeaux et leur faire profiter de la dynamique enclenchée par la cité éducative. En revanche, cette extension ne se fait pas avec des moyens proportionnels à la première cité éducative. On a retravaillé avec l’éducation nationale sur les établissements prioritaires. On a fait ainsi un gros travail pour définir les écoles et collèges qu’il fallait soutenir en premier et travailler au plus proche des besoins des différents établissements.
Comment créer une dynamique collective autour de ce dispositif « cité éducative » ?
Sylvie Schmitt : A Bordeaux, on a créé une plateforme locale nommée « Béluga » pour que les acteurs, les partenaires puissent y déposer leurs projets au fil de l’eau. A partir d’un cadre très strict, on valide les propositions de projets de façon continue en fonction de l’enveloppe, et des objectifs que l’on s’est fixés. En fonctionnant ainsi, on y gagne énormément en efficacité, en fluidité. Soit une action est co-portée par plusieurs associations, soit sur plusieurs quartiers ce qui a obligé les associations à réfléchir et travailler ensemble ou à monter des projets avec d’autres porteurs. Cette obligation de faire ensemble est à l’origine de la dynamique impulsée.
Vous pouvez nous donner des exemples d’actions menées ?
Sylvie S : Une des actions phare qui concerne tout particulièrement l’Éducation nationale est le forum de l’orientation.
Les élèves de 3ème de la cité éducative d’abord de Bordeaux bénéficient d’un forum où on a fait venir les lycées généraux, technologiques, professionnels et des centres de formation. Cela fait l’objet d’un travail en amont des professeurs dans le collège. Ce jour-là, ils peuvent rencontrer les différents établissements formateurs pour la suite de leur scolarité.
Devant le succès, on a décidé de créer un forum inter cités éducatives. Cette grosse action annuelle connaît un grand succès et on y voit des professeurs de plus en plus opérationnels notamment sur la préparation avec les élèves de cet événement.
Isabelle D : on en est à la quatrième édition cette année et le format a évolué. En plus de ce gros événement, on a des petits événements dans chaque cité éducative en proximité à destination des familles. Des associations des quartiers vont ainsi animer au sein des collèges, des centres sociaux, des centres d’animation locaux, des soirées destinées à sensibiliser les parents à la question de l’orientation. En effet, suite à un échec lors de notre première expérience, on s’est aperçu qu’il fallait absolument voir comment embarquer les familles sur ces questions d’orientation tout en essayant de répondre aux différentes réalités de chaque quartier. Cela permet vraiment de mettre en avant la question de l’alliance éducative. Les membres de la communauté éducative (associations, centres sociaux, établissements scolaires) vont ainsi collaborer pour travailler à cette réussite ensemble en premier lieu en ouvrant les portes de leurs locaux. Les regards ainsi se croisent et la question du lieu devient alors facultative.
Que faites-vous dans la cité éducative pour toucher les parents ?

Sylvie S : Atteindre les parents, c’est l’enjeu de toutes les cités éducatives. Un véritable défi pour nous. C’est un travail long que l’on ne peut mener seul.
Isabelle D : La cité éducative nous permet de trouver de nouveaux chemins pour y arriver. Notre cible, ce sont effectivement les parents mais notre cible prioritaire, ce sont les parents allophones car ce sont les plus éloignés de l’École et ce dès le primaire. Notre objectif est de trouver le moyen de les capter notamment grâce à des ateliers socio-linguistiques contextualisés à l’école qui peuvent se faire via les OPRE (Ouvrir l’école aux Parents pour la Réussite Éducative : dispositif Éducation nationale) : on propose la garde d’enfants pour les tous petits qui peuvent être un frein au dialogue avec les professionnels. On peut aussi proposer ces ateliers en dehors de l’établissement scolaire en lien avec une association. Autre chose encore que l’on propose : le sport. On essaie ainsi avec les associations sportives des quartiers de développer des ateliers à destination des parents, ateliers qui feront du lien avec les autres partenaires de la cité éducative par la suite. Il faut partir des envies des parents et trouver des activités motrices. Vouloir apprendre la vie aux parents, c’est plutôt un repoussoir pour elles. Les familles doivent avoir du plaisir à venir, à partager dans des temps conviviaux. C’est une fois que cela est installé que l’on pourra tirer le fil et arriver à faire le lien avec le social ou le scolaire. Partons donc des compétences des parents et de ce qu’ils ont à apporter au quartier pour construire un projet qui va leur ressembler, dans lequel ils trouveront du sens et un vrai soutien à la parentalité.
Sylvie S : on a par exemple aussi créé une halte-garderie itinérante dans le quartier du Grand Parc dans un camion pour rapprocher les familles les plus éloignées des modes de garde traditionnels. C’est un soutien notamment envers les mamans solos. Enfin, on essaie aussi de sensibiliser les jeunes à nos institutions. L’association Boxing Club très impliquée sur Bordeaux Nord a pu emmener des jeunes visiter l’Assemblée nationale par exemple. Enfin, pour ne citer qu’un autre exemple, on a dégagé des ressources RH sur de l’ingénierie pour les 0 – 3 ans et les 15-25 ans, deux tranches d’âge cible de notre diagnostic initial. Sur la santé, on travaille beaucoup la prévention des troubles spécifiques du langage et des apprentissages. On a ainsi noué un partenariat avec l’école d’orthophonie pour faire ces diagnostics chez les enfants et permettre de mettre en place des accompagnements individuels.
Comment permettre aux professionnels de mieux collaborer ?
Isabelle D : une dimension importante de cette cité éducative est de travailler sur la formation des professionnels. On propose ainsi des formations inter-catégorielles (Éducation nationale, associations de quartiers, agents de la ville) sur des thématiques spécifiques comme par exemple récemment sur le plurilinguisme ou les compétences psychosociales. On veut ainsi créer des cultures communes. Cela n’a pas été simple à mettre en place car côté Éducation nationale, il y a beaucoup de contraintes à lever avant de pouvoir faire mais on a réussi. On fait aussi tout un travail autour de l’approche interculturelle pour renforcer les professionnels et permettre l’adhésion de tous les publics. Quel que soit son employeur, chacun doit pouvoir posséder les codes pour tenir compte des particularités culturelles des familles des quartiers. On n’a en effet pas les mêmes représentations quand on a un parcours migratoire ou quand on est né en France et que l’on y vit depuis un moment.
Et les enseignants tout spécifiquement ?
Isabelle D et Sylvie S : Du fait de la réorganisation des cités éducatives, on a un référent Éducation nationale par quartier. Cette personne identifiée va faire le lien avec les enseignant.e.s, les professionnel.les dans les établissements. L’entrée reste les principales et principaux des collèges, les directeurs, directrices d’école. Les équipes pédagogiques peuvent par leur intermédiaire faire remonter des idées d’actions. D’autre part, l’Éducation nationale gère en propre un fond piloté par un comité inter-établissements qui se réunit tous les mois. Cela nous permet de soutenir des tous petits projets via ce fond (une sortie par exemple) ou renforcer des établissements les plus fragiles notamment ceux qui ont des caisses des écoles vides (les familles n’y cotisent pas). On peut aussi avoir des projets de plus grande ampleur, projets qui vont rayonner sur plusieurs établissements comme le projet « éloquence » qui va toucher tous les établissements scolaires et les écoles. A partir de là, les équipes pédagogiques des écoles et collèges y voient forcément un intérêt et donc s’y impliquent.
Au niveau de l’évaluation ?
Isabelle D : Les cités éducatives sont en permanence évaluées par l’ANCT (Agence Nationale de la Cohésion des Territoires). Ensuite chaque cité éducative a l’obligation de faire une revue de projets et un rapport d’activité annuellement sur la dimension financière. On a aussi l’obligation d’avoir une évaluation effectuée par un organisme extérieur. Au début de la cité éducative, on a beaucoup évalué la dimension gouvernance surtout la première année pour voir comment tout cela prenait entre les partenaires et les institutions. On s’est ensuite tourné vers ce qui relevait des activités. Ainsi, deux évaluations ont eu lieu les deux premières années. La troisième année, il fallait faire le renouvellement de la cité éducative. Pour chaque action, on fait une évaluation. L’action doit répondre à un besoin et faire partie du diagnostic initial. Par exemple, sur les troubles du langage, on part des données dont dispose la santé scolaire. Cela permet de justifier des interventions très précises et de construire des projets très fins pour répondre au mieux aux besoins des enfants.
Sylvie S : Ce travail nous a permis de faire le bilan des actions menées et de construire le nouveau plan d’actions pour les trois années à venir. Dès lors, il n’y a pas eu d’évaluation finale sur la troisième année. Un nouvel évaluateur sera désigné sur la base d’un appel d’offre pour la période 2025 – 2026. On ne peut donc se soustraire à ces obligations évaluatives.
Est-ce que la mise en œuvre de la cité éducative a permis une plus grande mixité sociale dans les établissements et les écoles ?
Isabelle D : Clairement non. On a toujours des fuites de certaines catégories de populations plus favorisées vers d’autres établissements que ceux du quartier où ils habitent. Par exemple, une école située sur le secteur du Collège du Grand Parc avec une population plus favorisée voit les familles continuer de contourner la carte scolaire et aller vers le privé. On sait que l’on n’a pas agi sur cela. La principale de ce collège n’en fait plus une priorité. Elle considère aujourd’hui qu’il faut soutenir les élèves situés dans son collège. Le Collège propose pourtant une semaine d’immersion pour les CM2 au Collège. Si la première année, l’école en question n’était pas venue dans le collège de secteur, elle y est venue la seconde année forcée par la direction académique. On leur montre effectivement que dans ce collège, il se passe des choses bien mais on n’arrive pas à transformer cela en inscriptions. Cela reste un sujet mais il y a tellement de freins à lever pour réussir à ce que les élèves favorisés aillent vers cet établissement que cela est compliqué. C’est forcément une action au long cours. Le travail éducatif ne suffit pas. On y trouve pourtant des options spécifiques attrayantes mais cela ne change rien encore.
Pour conclure, quel intérêt de la cité éducative ?
Isabelle D : cette impulsion via la cité éducative a permis un rapprochement des professionnel.les. Auparavant les portes des établissements scolaires n’ont jamais été aussi ouvertes. Le projet » cité éducative », c’est un peu un PEDT Quartier Politique de la Ville spécifique. IL permet d’expérimenter des choses qui, si elles sont concluantes de notre côté, peuvent être déployées sur l’ensemble de la ville. L’allophonie en est un bon exemple puisque cette question est maintenant présente sur l’ensemble de la ville de Bordeaux via un guide de rentrée scolaire distribué aux familles. La cité éducative, on ne savait pas vraiment ce que c’était, cela prend du temps pour la construire, pour permettre aux personnes de faire ensemble, de jouer collectif. Après deux ans, on peut dire qu’il y a un intérêt pour tout le monde dans ce dispositif. Reste maintenant à ce qu’il s’inscrive dans la durée et que l’on puisse continuer de le déployer.
Propos recueillis par Jean-Pierre Colonna et Dominique Bruneau