L'application du principe d'impartialité aux comités de sélection constitués dans le cadre du recrutement d'enseignants-chercheurs fait l'objet d'une jurisprudence qui se fixe progressivement. Voici un tour d'horizon de la jurisprudence récente du Conseil d'État sur cette question.
Après de premières années flottantes, le fonctionnement des comités de sélections est maintenant bien connu des enseignants-chercheurs. Cependant, la jurisprudence qui les concerne est encore loin d’être stabilisée. En particulier, la décision du Conseil d’État du 16 décembre 2016 concernant un recrutement de maître de conférence à l’université de Nice a bouleversé les habitudes : elle établissait en effet que la situation de conflit d’intérêt d’un membre du comité de sélection pouvait être un motif d’annulation d’un recrutement.
En un sens, c’était assez naturel : les comités de sélection sont des jurys de recrutement et le principe d’impartialité des membres de jury est un acquis difficilement contestable. Cependant, dans nos « tout petits mondes » universitaires, cela posait un problème considérable. Où commence le conflit d’intérêt, alors que dans une même discipline, il est bien rare qu’aucun membre du comité ne connaisse au moins l’un des candidats en présence ? À partir de quel degré de proximité avec un candidat doit-on considérer qu’un membre du comité n’est plus en situation d’impartialité ? Comment concilier le respect de ce principe et les autres règles applicables aux comités de sélection (au moins autant d’extérieurs que d’intérieurs, etc.) ?
Nous faisons ici le point sur la jurisprudence récente du conseil d’État, seule à même de définir une doctrine stable sur ce point. Cela pourra se révéler utile tant aux candidats qu’aux membres de ces comités !
Les frontières flottantes du conflit d’intérêt
La décision du conseil d’État déjà citée se gardait bien de fixer une frontière claire. Elle rappelait au contraire que « la seule circonstance qu’un membre du jury d’un concours connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu’il s’abstienne de participer aux délibérations de ce concours ». Par contre, le conseil jugeait que dans le cas d’espèce présenté, les problèmes d’impartialité étaient trop importants pour être ignorés. Et ce, même en tenant compte du « très faible nombre de spécialistes de la discipline »…
Depuis, les cas soumis aux contentieux se multiplient : tout naturellement, dès lors qu’un recrutement d’enseignant-chercheur est contesté, les requérants tentent d’utiliser cet argument. Souvent sans succès : une décision du 3 mai 2017 rejette ce motif, car même s’il y avait des liens professionnels entre le candidat classé premier et certains membres du comité, « il ne ressort pas des pièces du dossier que ces liens étaient de nature à influer sur leur appréciation des mérites de ce candidat ou de ses concurrents ».
Les comités de sélection (et en particulier leurs présidents) auront donc à évaluer si le conflit d’intérêt est suffisant pour peser sur l’appréciation des candidats. Les liens à examiner : relation professionnelle étroite (direction de thèse ou d’HDR, cosignature d’articles…) ; liens familiaux ou sentimentaux. En réalité, c’est avant tout aux membres du comité qui se trouvent dans cette situation de prendre l’initiative de se récuser, faute de quoi ils prendraient le risque de nuire au candidat qu’ils connaissent. À l’inverse, les candidats malheureux qui s’estiment victime de l’appréciation biaisée d’un comité devront solidement documenter ce biais s’ils veulent attaquer un recrutement sur ce motif.
La réunion d’examen des dossiers
Lors de sa première réunion, le comité de sélection décide de la liste des candidats auditionnés. Dans la mesure où il n’y a pas de nombre limite à ces auditions, les décisions d’auditionner tel ou tel candidats sont indépendantes les unes des autres. Un membre de jury en situation de conflit d’intérêt doit donc juste s’abstenir de participer aux délibérations concernant le candidat concerné. Il participe au reste des discussions.
La jurisprudence du Conseil d’État est bien établie à ce sujet : une décision de juin 2017 établit ce principe : le président du comité, en situation de conflit d’intérêt, n’avait pas participé aux débats et n’avait pas formulé d’avis sur l’audition de la candidate concernée : la décision du comité est donc valide, même si le président a signé, ès qualités, la liste des auditionnés. Une décision de janvier 2018 confirme cette doctrine, en précisant que rien n’impose que le comité de sélection ait la même composition pour étudier l’ensemble des dossiers.
La réunion d’audition des candidats
Le problème est différent pour la deuxième réunion, au cours de laquelle les candidats sont auditionnés et qui permet l’établissement du classement. En effet, les décisions ne sont pas indépendantes les unes des autres ; il ne suffit donc pas que le membre du comité qui a un lien avec un candidat s’abstienne d’interroger celui-ci : il doit s’abstenir de participer à l’ensemble des délibérations concernant le poste en question.
Une décision de décembre 2017 précise que, dans ce cas, les membres du comité qui s’abstiennent de participer aux discussions par respect du principe d’impartialité ne doivent pas être pris en compte pour le calcul de l’équilibre entre membres extérieurs et membres intérieurs. Dans le cas où un membre extérieur est amené à se récuser, cela peut créer un surnombre de membres intérieurs, susceptible d’invalider le comité… Cette situation doit être traitée de la même manière que l’absence inopinée d’un extérieur.
Une jurisprudence en devenir
On le voit, la jurisprudence sur cette question évolue sans cesse. Il faut ajouter à la problématique de l’impartialité d’autres évolutions récentes :
- La mise en avant de l’autorité de la chose jugée : lorsque les juridictions administratives annulent une décision en matière de recrutement d’enseignant-chercheur, elles ne remplacent pas d’elles-même cette décision par une autre, en décidant par exemple qu’un autre candidat est recruté. Elles renvoient l’affaire devant les instances de l’université, charge à elle de délibérer de nouveau en tenant compte de l’avis juridique. Dans un cas de ce type, le conseil académique d’une université a pris une décision identique à celle qui avait été annulée par le conseil d’État, en en modifiant légèrement la motivation. Le conseil d’État casse sèchement cette nouvelle délibération, enjoignant à l’université de délibérer de nouveau « en respectant l’autorité absolue de la chose jugée », à moins qu’elle ne renonce purement et simplement à pourvoir le poste.
- L’action en référé : il est rare dans ce genre d’affaire d’obtenir un jugement en urgence, et les jugements sur le fond peuvent prendre plus d’un an. Cependant, une candidate évincée a obtenu une telle décision dans une affaire suivie par le Sgen-CFDT. Le juge des référés du conseil d’État a jugé que l’urgence était établie, le département concerné ayant fait état de la difficulté à organiser la rentrée si ce recrutement n’était pas effectif. Il est vrai que l’illégalité de la délibération attaquée était particulièrement flagrante…
Dans ce contexte mouvant, le Sgen-CFDT jouera son rôle d’information et de conseil, collectivement comme individuellement, afin de s’assurer que les processus de recrutement soient justes et équitables.