Fin du confinement - Véronique Baslé, est professeure de collège dans les Côtes d'Armor. Entre joie de reprendre et inquiétude, entre vie personnelle et professionnelle, difficile parfois de tout concilier mais quand il faut y aller...
Véronique Baslé est Professeure de Lettres classiques dans un petit collège des Côtes d’Armor à Pleumeur-Bodou (Moins de 300 élèves), un établissement à taille humaine où tout le monde se connaît et dialogue.
En temps « ordinaire » Elle dispense des cours de latin et coordonne un dispositif de remédiation en 6ème pour aider les élèves à mieux lire. Monitrice de secourisme, elle enseigne les gestes de premiers secours avec des collègues de l’établissement en 4ème. Mère de quatre enfants, c’est également une militante du Sgen-CFDT Bretagne.
Le sentiment de tension sanitaire était très présent mais la confinement avait créé une bulle protectrice de par l’environnement dans lequel je vis avec ma famille. Ainsi je m’étais habituée pendant le temps du confinement au silence ambiant : plus de bruit de voiture, d’avion, beaucoup de sons – c’est très fatigant – de visio ou d’audio-conférence. Comme j’ai la chance d’avoir un grand jardin et à 5 minutes de chez moi, une coulée verte, j’avais aussi parfois le sentiment d’être dans une bulle protectrice. Une sorte de premiers temps du monde où on fait tout soi-même en autarcie…
Ce qui prédomine à cet instant pour moi, ce n’est pas du tout le sentiment d’une libération mais d’une saturation du temps…
Le mot « déconfinement », néologisme bizarre. Un préfixe privatif qui dit qu’on enlève quelque chose, qu’on s’en libère. Pourtant, ce qui prédomine à cet instant pour moi, ce n’est pas du tout le sentiment d’une libération mais d’une saturation du temps, une augmentation des contraintes.
Quand le « confinement » a été annoncé, j’étais déjà prise dans une course effrénée contre la montre pour tout gérer, vie personnelle (les inévitables devoirs des quatre enfants), vie syndicale, vie professionnelle. La course contre la montre s’est encore accentuée en faisant apparaître une dimension supplémentaire à articuler avec tout le reste, le retour physique dans les classes et son organisation.
Dans notre établissement nous avons la chance d’être plusieurs moniteurs de secourisme – c’est rare car, malgré la volonté de l’institution de former plus de moniteurs depuis 2016, les chiffres stagnent.
Dans mon établissement, chaque année 100% des élèves sont formés. J’ai compris très vite qu’il serait impossible à notre infirmière de faire cette formation seule à l’ensemble des élèves et ce même si les effectifs étaient allégés. En effet, aux élèves du collège s’ajoutaient celles et ceux des écoles primaires de tout un secteur. Nous avions d’ailleurs alerté le rectorat à ce sujet.
Nous avons mené un travail d’équipe…
Il fallait aussi former tous les adultes de l’établissement aux gestes barrière ainsi que les personnels dépendant du conseil départemental. Il était hors de question de les laisser de côté. Sur la formation proprement dite, nous avions décidé de privilégier le côté pratique, concret que tout le monde puisse assimiler et appliquer. Cette formation était placée sous la responsabilité de l’infirmière du collège car capable d’être exact sur le discours sanitaire à délivrer. Nous avons, pour notre part, été plus un appui pédagogique et avons relayé un déroulé mis au point collectivement. Ce fut donc bien un travail d’équipe que nous avons mené.
J’ai le souvenir d’une semaine à partir du 11 mai totalement folle, effrénée et passionnante. Des SMS à la chaîne, des visio en veux-tu en voilà, mêlées à des mails et des échanges de techniques numériques. Nous n’étions pas toutes et tous sur un pied d’égalité quant à notre capacité à maîtriser le travail avec des outils de visio, de partages de documents. Il nous fallait, d’autre part, faire cours tout en bâtissant un contenu et en partageant des savoirs faire de différents types. On a beaucoup échangé en équipe, partagé ensemble avec, il faut le dire, beaucoup de fou-rire et de complicité !
Une semaine folle, effrénée et passionnante…, entrecoupée d’un fort sentiment de culpabilité et d’interrogation personnelle.
Le tout fut entrecoupé d’un fort sentiment de culpabilité et d’interrogation personnelle : deux de mes propres enfants, de tempérament allergique, passent leur temps à éternuer en ce retour des beaux jours. Je fais quoi, je les remets au collège ou non ? Je n’ai pas suivi le devoir de l’un en histoire depuis un moment, je crois qu’il a bien trois semaines de retard. Le nombre d’ordi de la maison n’est pas suffisant, il va falloir que nous investissions. Mais quand trouver le moment de faire cet achat, prendre le temps de choisir le modèle qui convient ? Il faut bien sûr que je continue de mettre en ligne mes propres cours, répondre aux mails de mes élèves, corriger leurs travaux.
J’avais lu les 50 pages du protocole sanitaire scrupuleusement mais nous ne savions pas précisément comment allait se passer le retour en classe, comment nous allions fonctionner sur le plan pédagogique. A ce titre, une réunion était organisée en présentiel. Ce fut dans un premier temps un choc quasi-physique pour moi. Voir une une quarantaine de personnes dans le réfectoire, avec certes une distance physique, mais certain·e·s sans masque, je n’en avais plus l’habitude. La nécessité d’échanger avec les élèves en préalable nous est apparu incontournable car il s’agissait avant tout de renouer un lien avec les élèves.
Un consensus est apparu pour aller vers un « super-devoir-fait ».
Cela impliquait – et c’est là que cela se complique – que nous encadrions des cours qui ne sont pas de notre discipline. L’objectif fixé était de limiter les déplacements, le nombre d’interventions des enseignants et ainsi ne pas les faire venir trop souvent.
En effet, les enseignants cumulaient distanciel et présentiel et il était nécessaire de garder une répartition horaire disciplinaire équilibrée. Il a donc été obligatoire de refaire les emplois du temps de refaire des groupes.
Je dirais, comme une nouvelle rentrée dans un établissement. On était toutes et tous stressés. Il fallait se réapproprier des gestes professionnels, aller dans des salles dans lesquelles on ne va pas habituellement. Si certains automatismes sont vite revenus, d’autres ont du être inventés.
Être strict… tout en restant zen, serein pour les élèves…
Il fallait en effet être stricte sur ce qu’il convient soi-même de faire, tout en restant zen, serein pour les élèves. Mais surtout penser à tout et désinfecter : poignées de porte, de fenêtres, les souris d’ordi, les claviers mais aussi penser à prendre ses propres stylos pour le tableau.
Comme l’équipe enseignante était amenée à encadrer des cours qui ne sont pas les nôtres, nous avons été amenés à nous mettre dans des postures professionnelles qui ne sont pas forcément rassurantes.
Ainsi, j’encadrais le vendredi matin un cours « d’arts-EPS ». Ou encore pour les cours de musique, pas le droit de jouer d’instruments, ni de faire chanter. Seule solution pour le collègue : une activité de clapping. Taper dans les mains en faisant ensemble une séquence de rythme ne fut pas chose simple pour quelqu’un comme moi qui n’est pas du tout musicienne.
Du Professorat Tout Terrain…
Dans cette même plage horaire, comme les collègues d’EPS ne pouvaient pas permettre la manipulation d’objets : ballons, raquettes …, on a donc fait course, euh pardon, pas le droit de courir non plus, marche d’orientation. Ce fut donc aussi un choc pour moi car évidemment, en personne habituée à tout contrôler et tout maîtriser dans ses contenus disciplinaires, je devais ainsi me mettre en « danger ».
Très vite, je me suis rendue compte que le déroulé prévu allait me prendre trop peu de temps. J’ai donc suggéré aux élèves de continuer d’explorer le bois situé à côté du collège. Parce qu’un élève aavait fait une jolie réalisation avec des feuilles, on a fait une séance de land art. J’ai ensuite envoyé à ma collègue d’arts plastiques les photos des réalisations et lui ai demandé des noms d’artistes et d’œuvre à découvrir pour notre retour en classe.
Cette séance restera un de mes meilleurs souvenirs non seulement de reprise mais aussi de vie enseignante. Je peux dire que, paradoxalement, alors que nous croulions sous les contraintes et les difficultés, je me suis rarement sentie aussi libre dans mon activité professionnelle.
Oui, on a ainsi commencé progressivement à prendre nos marques. Il a aussi fallu créer un système de « Padlet » par niveau pour que les élèves, en distanciel, en présenciel, trouvent plus facilement nos documents. On avait un système d’alternance par semaine. Il y avait encore, vu cette nécessite d’encadrer la discipline de quelqu’un d’autre, des difficultés, des réticences de la part de certains. On peut cependant dire globalement que cela a permis de resserrer les liens entre les professionnels. Enseigner dans ces conditions, ce n’est pas du VTT mais du PTT, du Professorat Tout Terrain !
Eh bien, tout s’arrête et il faut recommencer !
Re-réunion pleinière pour se concerter, organiser, re-débat sur les modalités, re-formation gestes barrière (comment on l’adapte) et nouvelle couche dans le cumul. Les 4èmes et les 3èmes ne réagissent pas du tout de la même façon que les 6èmes-5èmes…. » A quoi ça sert madame ? mais il paraît qu’il n’y a plus de virus ? Fait trop chaud madame, j’peux pas garder le masque ! »
Évidemment, re-comité technique. re problème des autorisations d’absence pour garde d’enfants ; re-question des publics fragiles.
A un moment où d’ordinaire, on fait la « journée des talents », les révisions du brevet, il faut de nouveau tout changer pour accueillir tous les élèves. Bref, il s’agissait en tant qu’enseignante de tenter de doser savamment la volonté de faire travailler les élèves le plus longtemps possible avec une dose récréative imposée par l’arrivée de l’été.
Une fatigue surtout morale qui fut encore plus importante après le prof-bashing orchestré par certains médias.
Il a aussi fallu gérer les incohérences du protocole et son impossibilité d’être appliquée strictement : comment permettre l’application de la distanciation dans une salle de 40 m² pour mes 26 élèves latinistes ? Et je ne parle pas des difficultés à créer cette même distanciation au self du collège et de répondre aux interrogations des élèves qui, bien que masqués pointent l’inexistence dans le collège d’une distance physique.
Face à tous ces changements, cette nécessaire adaptation mi-juin, la fatigue commençait vraiment à se faire sentir. Cette fatigue surtout morale fut encore plus importante après le prof-bashing orchestré par certains médias. Dès lors, j’ai eu du mal à supporter les injonctions paradoxales qui s’accumulaient, et assez d’être continuellement dans l’urgence…
Nous avons d’abord appris la fermeture d’une classe du fait de la fermeture de l’Usine Nokia, une réalité économique qui nous a durement impactés. En classe, dans l’établissement, on a continué de tenir.
J’ai réellement commencé à lever le pied mi-juillet.
Il s’agissait avant tout de dire au revoir à nos élèves de 3ème – ça fait trois ans que je les ai, je les connais bien, je les aime bien aussi…. D’autre part, il me fallait commencer à réfléchir à la façon dont on allait reprendre en septembre, du point de vue sanitaire mais aussi pédagogique et faire des propositions au rectorat.
J’ai réellement commencé à lever le pied mi-juillet. En conséquence, pour la première fois depuis des années, j’ai décidé de partir en vacances sans ordinateur pour me déconnecter. Déconfinée certes mais avec un fort besoin d’être réellement déconnectée.