Membre du Conseil supérieur des programmes (CSP), la sénatrice Marie-Christine Blandin a bien voulu nous éclairer sur le travail fourni et la méthode suivie pour parvenir à la conception des nouveaux programmes qui seront bientôt rendus publics.
Le texte ci-dessous est la version complète de l’interview de Marie-Christine Blandin (membre du CSP) parue dans Profession Éducation n° 240 (octobre 2015).
Comment avez-vous fait pour travailler sur l’articulation entre socle commun et programmes ? Comment l’avez-vous compris ?
Le socle à l’ancienne avait profondément perturbé par sa déconnexion des programmes. C’était aussi l’époque du Livret de compétences qui brouillait le caractère normalement constructif de l’évaluation, et surchargeait administrativement la tâche des enseignants, tout en inquiétant les parents.
Le nouveau socle, qui marie connaissances et compétences, et qui construit une vraie culture à partager, est un véritable outil démocratique. Il dit la mission de l’école obligatoire, le sens qu’on lui donne, ses priorités et engagements. Les programmes en sont la déclinaison par cycle, avec des éclairages sur la contribution que chaque discipline apporte. Tandis que le socle fait lien entre les disciplines, les programmes veillent à ce que les « domaines » (les langages, apprendre à apprendre, la formation de la personne et du citoyen, la nature et les techniques, comment l’humanité raconte et façonne le monde) soient régulièrement fouillés par chaque pédagogue, et progressivement acquis par les élèves.
« LE NOUVEAU SOCLE EST UN VÉRITABLE OUTIL DÉMOCRATIQUE »
Avez-vous eu des difficultés pour cerner le lien entre connaissances et compétences ?
Les « clans » qui se sont exprimés durant le débat de la loi de Refondation contre l’utilisation du mot « compétences » étaient armés par leur farouche opposition à l’idéologie de course à « l’employabilité » qui accompagnait le mot compétence dans certains textes européens.
Sans méconnaître le contexte de toute sémantique, il eut été stupide d’en rester là, et de nier le registre pédagogique de cette notion.
Il serait tout aussi stupide d’imaginer que les « connaissances » seraient inutiles à la structuration d’un esprit que de penser que la connaissance existerait et vaudrait en dehors des contextes dans lesquels elle est apparue (histoire des sciences) et dans lesquels elle peut être investie.
Le CSP a proposé qu’au dessus des deux mots on situe clairement le mot de culture, qui est bien l’usage que je fais, par ce que j’en retiens et j’en intègre à moi-même, de la connaissance afin d’être au monde et de pouvoir y agir, y exercer des compétences. Ceci a été énoncé dès la Charte.
Comment avez-vous géré les liens entre le CSP qui représente l’intérêt général et les différents experts (universitaires, inspecteurs généraux) que vous avez auditionnés qui représentent plus des intérêts particuliers ?
Il y a eu clairement des difficultés pour la définition de l’expertise. Avant même de pouvoir en définir les contours, nous avons été contraints d’avoir recours aux “GEPP” (groupe d’élaboration des projet de programmes).
« IL Y A EU CLAIREMENT DES DIFFICULTÉS POUR LA DÉFINITION DE L’EXPERTISE… »
Il y a pourtant de multiples expertises : celles de l’enseignant de terrain, du spécialiste de tel champ de savoir expert, du spécialiste du travail sur les curricula, de l’inspecteur ayant une vue précise de l’état de la discipline… Rien ne se vaut, mais tout est nécessaire. Et je n’oublie pas l’expertise d’usage des syndicats, éclairée de vécu au plus près du terrain, mais aussi chargée de préoccupations professionnelles relatives aux statuts, horaires et conditions de travail, qui doivent s’entendre, mais ne doivent pas l’emporter sur l’intérêt des enfants : l’attachement quasi identitaire aux disciplines a tenté de peser sur certaines évolutions vers des coopérations accrues.
Enfin est apparu, particulièrement dans le domaine de l’histoire, mais aussi des lettres anciennes, un bruit médiatique incontournable, mélangeant procès d’intention, amertume de déboutés du casting CSP et réelles interpellations sur des choix discutables. Un colloque fut nécessaire pour mettre en scène tout ces orateurs, en recueillir les bonnes suggestions. La question est de savoir si la hauteur de leurs invectives n’a pas renvoyé trop en arrière le balancier de l’histoire enseignée aux enfants du 21 ème siècle.
D’autres « experts » comme les climatologues, se sont exprimés dans la presse sur l’école… sans même savoir que le CSP existait.
La composition bien plus originale du CSP lui-même (politiques, représentants de la société civile, et « experts » généralistes) ne s’est pas reflétée dans la composition des groupes techniques mis au travail pour nous épauler.
Pourtant c’était là que résidait le changement : qu’est-ce que des non spécialistes ont à dire ?
Chaque fois que cela a été possible, l’interpellation par des membres du CSP de certitudes disciplinaires a été efficace.
« …C’ÉTAIT LÀ QUE RÉSIDAIT LE CHANGEMENT : QU’EST-CE QUE DES NON SPÉCIALISTES ONT À DIRE ? »
Mais il s’est aussi avéré que cela aurait demandé plus de temps afin de creuser beaucoup plus en amont des questions vives qui aurait permis au CSP de clarifier « ses » propres arbitrages pour mieux driver les “experts”.
Hasard de la composition du CSP, le rappel à l’ordre de quelques membres, parents de jeunes enfantsparcours MC Blandin a aussi parfois joué son rôle dans la juste pondération des exigences.
Cela n’a-t-il pas été trop difficile de trancher entre les remontées critiques des enseignants de terrain et les avis des experts ?
Ce qui a été difficile c’est la confusion qui s’est installée entre la réforme du collège, produite par le seul ministère, et les programmes, produit par le CSP, en raison d’un calendrier commun.
Les experts des GEPP ont fait un travail considérable, qui a été notre matière première, mais qui n’a pas été le produit final, au vu d’autres échanges, de nos convictions, d’autres confrontations, et aussi d’autres impératifs : la faisabilité, la cohérence interdisciplinaire, la lisibilité pour les parents.
Les choix du CSP n’ont néanmoins pas été homogènes. Entre l’avis des professionnels, celui des experts issus de l’université et de la recherche, celui des inspections générales et celui des « faiseurs d’opinion » plus ou moins inféodés à des choix politiques. Nous avons tenté l’équilibre de façon variable selon les disciplines : les programmes d’histoire ont surtout tenté d’échapper aux polémiques sur l’histoire et l’identité nationales, mais au prix de la charge du programme. Aux équipes d’enseignants de faire des choix de pondération selon les thèmes. Dans le conflit qui oppose l’inspection générale aux professeurs éducation physique, nous avons été séduits par les seconds, sans toutefois nier la première. En technologie, les programmes de cycles 2 et 3 se sont éloignés de l’avis des experts qui a été davantage repris en cycle 4. En français le choix du perfectionnement des activités langagières nous a obligés à donner des gages à ceux qui fantasmaient sur notre prétendu renoncement à la littérature.
Sagesse et science des compromis, avec plus ou moins de bonheur, nous ont guidé sur le chemin d’une préoccupation centrale : faire progresser tous les élèves, et pas seulement une fraction d’entre eux, dans une école bienveillante et exigeante.
Cette nouvelle école demande des respirations : du temps pour la formation des enseignants et leur dialogue, du temps pour le travail collaboratif des enfants, des effectifs moins lourds, de la confiance de la société et des tutelles dans le monde enseignant.
Bon à savoir
Le Conseil Supérieur des Programmes – petit historique. Institué par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République, le Conseil supérieur des programmes (CSP) est composé d’universitaires, de chercheurs, de spécialistes du système éducatif et de représentants élus de la Nation et de la société civile. Il a pour mission de donner des avis et de formuler des propositions, soit sur sollicitation de la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, soit en se saisissant d’une question qui relève directement de ses compétences.
Pour aller plus loin : Conseil Supérieur de l’Éducation des 7 et 8 octobre 2015 : compte-rendu