Le baromètre social 2017 publié par le ministère en charge de l'agriculture dresse un bilan mitigé de l'état des écoles vétérinaires et d'agronomie. Les agents souffrent d'un manque de reconnaissance, de promotion et de mobilité. Ils ont peu confiance en l'avenir.
Une grande enquête nationale
En 2017, après avoir consulté les organisations syndicales, le ministère en charge de l’agriculture a lancé une enquête en ligne afin de mieux connaître le ressenti de ses agents sur leurs conditions de travail (6 265 agents sur les 19 052 interrogés ont répondu, soit un taux de participation assez modeste de 31,7%). Les écoles vétérinaires et agronomiques ont donc été enquêtées.
Le périmètre des « sondés » était celui du comité technique ministériel, c’est-à-dire tous les agents titulaires ou contractuels employés et payés par le MAA (les agents contractuels sur budget ne sont hélas pas consultés).
La CFDT a participé à son élaboration au sein des groupes de travail préparatoires au lancement de l’enquête.
La base retenue était celle du questionnaire DDI afin de permettre une comparaison entre les résultats, en intégrant les spécificités de l’enseignement agricole. Son objectif était de proposer aux agents un questionnement pertinent qui reflète fidèlement leurs préoccupations quotidiennes au travail. Ces résultats peuvent être analysés en mettant en relation les chiffres du bilan social du MAA.
Pour l’enseignement supérieur, c’est à dire les écoles vétérinaires et agronomiques, le taux de participation est un peu meilleur avec 1 152 réponses pour une population de 2 744 agents, soit 42,0% de taux de retour. On notera que 276 enseignants chercheurs ont répondu. Ces données ont été publiées dans le baromètre social 2017 (voir notre analyse).
Perdu dans la masse, l’analyse relative à la situation de l’enseignement supérieur n’a pas été approfondie. Premier syndicat de l’enseignement supérieur, le Sgen-CFDT s’est fait un devoir de se pencher sur cette base de données, riche en enseignements et d’en tirer des conclusions spécifiques à l’enseignement supérieur.
Des agents satisfaits de leur travail : un indicateur en trompe-l’œil !
Le premier chiffre mis en avant par le Ministère est celui relatif à la satisfaction des agents pour leur travail.
88% des agents se considèrent comme étant satisfait de leur travail (et même 30% très satisfaits). Effectivement, les agents sont satisfaits d’avoir un travail… Doit-on pour autant en rester à une analyse plate visant uniquement l’autosatisfaction ? Le Sgen-CFDT reste sceptique !
Des conditions de travail qui se dégradent inéluctablement
Premier couac : seulement 10% des répondants estiment que leurs conditions de travail se sont améliorées durant ses trois années. C’est bien peu.
Fait plus inquiétant : 52% des enquêtes estiment qu’elles se sont dégradées. Malgré la présence d’instances de concertation propres (CHSCT) dédiées au traitement de ce type de problématique dans les écoles, les choses évoluent dans le mauvais sens. La mise en place d’un arsenal d’outils nouveaux (constitution d’un document unique dans chaque École vétérinaire et agronomique évaluant les risques professionnels, programme de lutte contre les risques psycho-sociaux, etc.) ne semble pas pouvoir enrayer la lente dégradation des conditions de travail que vivent au quotidien les agents.
En creusant les données, on constate que la compatibilité entre le temps, les moyens et la charge de travail se tend de plus en plus, au détriment de la santé des personnels. 46 % des agents estiment manquer de temps et de moyens pour exécuter correctement leur travail et les missions qui leur sont confiées. L’enseignement supérieur réalise ainsi le plus mauvais score du Ministère. Il faudrait soit recruter de nouveaux fonctionnaires, ce qui n’est hélas pas au programme, soit diminuer le périmètre d’activité des personnels. Pour le moment, la DGER préfère « encourager » l’augmentation du nombre d’étudiants à recruter en menaçant les Écoles d’une baisse de dotation si elles ne suivent pas cette injonction.
Cette assignation à toujours faire plus avec des moyens constants a un impact négatif sur le bien-être des agents concernés (52%) qui se traduit par de la fatigue (83%), de l’anxiété (61%), de la nervosité (45%) et de l’irritabilité (42%). Pour la fatigue et l’anxiété, l’enseignement supérieur a les indicateurs les plus dégradés du MAA : triste performance. Ce résultat n’est pas une surprise pour le Sgen-CFDT qui ne cesse d’intervenir dans les différents comités (CT, CA, CHSCT, CAP) où il siège pour alerter l’administration, en vain. Contrairement à une idée reçue, derrière la façade de bâtiments parfois somptueux, les écoles vétérinaires et agronomiques sont sous tension.
Si les relations de travail dans les écoles sont plutôt bonnes voire excellentes en général (90%), elles marquent le pas lorsqu’on zoome la focale sur la direction de ces établissements (65% de résultats positifs). Le management des directions générales n’est pas optimal. Certaines écoles connaissent ou ont connu des crises graves (notamment à l’ouest de la France…). En outre, les agents se plaignent de l’absence de reconnaissance de leur travail pour 72,60% et sont dans la crainte des conflits (42,30% ). Il y a donc dans « nos » écoles de réelles marges de progrès à réaliser pour que le collectif de travail évolue dans un environnement plus serein et avec confiance.
Des fusions mal digérées dans les écoles vétérinaires et agronomiques
Les écoles vétérinaires et agronomiques se distinguent par un autre mauvais score passé sous silence. 52 % des répondants signalent l’existence d’un réel manque de coopération entre les entités (composantes) de leur structure et par l’absence de procédures claires, précises et efficaces. L’organisation des services est donc par endroit défaillante. Il y a une perte d’efficacité du système et un gâchis dans l’utilisation des moyens, qui se font de plus en plus rares. Enfin, 51 % pensent que le dialogue social n’est pas satisfaisant. Il serait peu orthodoxe de croire que « nos » Écoles puissent atteindre l’excellence tant voulue et revendiquée en ne pratiquant pas un dialogue social de qualité avec les agents.
L’ensemble des indicateurs donne à présent une image un peu plus claire de la situation de l’enseignement supérieur. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, nos écoles évoluent sous contrainte forte avec des agents peu reconnus dans leur travail et stressés. Le management des directions actuelles marque le pas. La qualité de vie au travail et l’efficacité de l’organisation des services sont en retrait. Les relations se dégradent, le dialogue se passe de moins en moins bien. Dans les nouveaux grands établissements (du type Agrocampus-Ouest, AgroParisTech…) on peut supposer que les nouvelles procédures ne sont pas claires et qu’il y a un manque d’unité globale entre centres parfois distants de plusieurs centaines de kilomètres. Ce n’est pas le Sgen-CFDT qui l’affirme mais les conseillers de la Cour des comptes dans leur dernier rapport.
L’image qui se dégage du baromètre social contraste fortement avec l’idée d’excellence qui est trop souvent mise en avant pour « notre » enseignement supérieur. Dans le domaine de la qualité de vie au travail, « nos » Écoles ont de gros progrès à faire.
Des écoles du supérieur qui souffrent aussi d’un manque d’identité
52 % des agents de l’enseignement supérieur contre 36 % dans l’enseignement technique estiment qu’il n’existe pas de culture commune dans leur Établissement. Ce chiffre étonnant est inquiétant et montre la faiblesse du collectif dans certaines Écoles, parfois centenaires. L’enquête n’indique pas si ce manque d’identité est l’apanage des nouveaux grands Établissements, on pourrait le penser.
Des évolutions de carrière en demie-teinte
Dans une perspective de changement d’affectation, les agents ne disposent pas d’un accompagnement satisfaisant pour évoluer professionnellement (60% de mécontents). On touche ici les limites de notre système de formation, modeste en taille, qui ne permet pas d’avoir les mêmes mobilités que dans les autres structures de l’enseignement supérieur. Le déroulement de carrière est cependant jugé satisfaisant pour 51% des répondants pour le supérieur contre 66% pour l’administration centrale. Cependant, il n’y a pas ou peu de perspective de promotion pour 83% des enquêtés. Les résultats sont donc mitigés.
Enfin, les agents sont plutôt pessimistes sur leurs perspectives de carrière dans les prochaines années. 43% estiment qu’elles vont se dégrader, 49% qu’elles vont rester les mêmes et seulement 8% qu’elles vont s’améliorer.
L’existence d’agressions verbales ou physiques et la présence de discriminations inacceptables
34% des répondants dans l’enseignement supérieur ont déjà été victimes d’agressions verbales ou physiques au cours des 36 derniers mois, dont 1% une fois par semaine ou plus (soit à peu près 15 répondants), 2% une à deux fois par mois et 11% plusieurs fois par an. Parmi ceux ayant subi une agression au cours des 3 dernières années, leur responsable hiérarchique en a eu connaissance dans 68% des cas. En cas d’information du responsable hiérarchique, il est intervenu avec réussite pour 26% et il est intervenu sans succès pour 31%. En revanche, il n’y a pas eu d’intervention de sa part pour 43% des cas. Ces chiffres sont profondément inquiétants. Ils montrent à la fois que des personnels ont des conditions de travail non seulement très dégradées, mais que leur hiérarchie reste sans réaction.
15% des répondants (soit plus de 170 agents !) estiment avoir vécu une situation de discrimination au cours des 10 dernières années. La mise en place d’une cellule de lutte contre les discriminations va, nous l’espérons, apporter des solutions pour ces agents discriminés.
Le Sgen-CFDT est prioritairement au service des agents victimes de discrimination pour faire valoir leurs droits et mettra tout en œuvre pour dénoncer les situations injustes.
Globalement, la qualité du soutien de l’encadrement dans les situations difficiles n’est ni défaillante, ni excellente. Les répondants s’accordent à dire que le soutien de leur responsable hiérarchique direct est satisfaisant pour 73%. En revanche, 46% sont satisfaits du soutien des directions transversales et de la direction de leur établissement. C’est peu et encore une fois, ce sont les directions générales qui marquent le pas.
La fierté d’appartenir au service public
Enfin, un fort sentiment d’appartenance et une grande fierté de travailler aussi bien pour des missions de service public (94%) que pour le MAA (88%) se dégage de l’enquête. C’est une preuve qui montre l’engagement des agents malgré un contexte ressenti comme étant de plus en plus difficile. Cette motivation existe, mais pour combien de temps encore ? La fatigue des personnels est réelle et leurs doléances demeurent à ce jour superbement ignorées. Leur bonne volonté n’est pas une ressource inépuisable.
Conclusion
Comme toute enquête, l’interprétation des résultats faite dans le présent document est forcément subjective. Trop souvent, le Ministère et les directions des Établissements des écoles vétérinaires / agronomiques développent un discours auto-entretenu de l’excellence. La compétition et le rayonnement à l’international, la qualité de la recherche fondamentale, le progrès agronomique, la sélection impitoyable qui président au recrutement des étudiants vétérinaires sont trop régulièrement mises en avant. À force de se complaire dans un discours trop bien rodé, on perd la mesure du réel et on masque une réalité inquiétante.
En réalité l’ouverture internationale reste encore critiquée pour sa modestie lors des évaluations dans nos établissements et la création d’Agreenium et ses plateformes n’y a rien changé. La recherche montre des indicateurs constants ou en baisse pour nos enseignants-chercheurs (EC), de plus en plus d’EC se trouvant hors cadre UMR (unité mixte de recherche) et sans soutien de programme, ce qui à terme affectera leur niveau d’excellence et celui des formations délivrées. Enfin, la sélection tant mise en avant pour expliquer le superbe niveau de nos étudiants perd de sa force quand on sait que certaines écoles ne se remplissent plus, par manque d’effectifs en classes préparatoires, et donc que la pression de sélection baisse quand nos concurrents privés et internationaux (en particulier dans le cadre des formations vétérinaires) font le plein.
Enfin, la réalité c’est celle du quotidien des agents qui tout au long de l’année font vivre ces écoles. Ce quotidien est en moyenne plus gris et plus morose que dans les autres secteurs du ministère. Le management des équipes est parfois critiquable et les perspectives de carrières font trop souvent défaut. Des services sont mal organisés. Il y a des agressions et des discriminations, une absence de reconnaissance et un autoritarisme croissant du management.
Pour seule réponse et unique perspective, la DGER se lance à nouveau dans le projet peu rationnel de fusion des écoles de Rennes, Paris et Montpellier, en pilotant en parallèle, contre vents et marées, le déménagement d’AgroParisTech sur le plateau de Saclay. Ces projets ne correspondent à aucune recommandation faite par la Cour des comptes qui, lors de son dernier audit, dénonçait la conduite des fusions antérieures et le mariage forcé d’entités ayant peu de choses en commun et distantes. L’absence de projet global est criant.
La recherche mécanique des fusions en œuvre depuis 10 ans masque mal un manque de vision à terme de la DGER pour l’enseignement agronomique et vétérinaire. Aucun bilan de ces fusions n’a été réalisé à ce jour, pourtant c’est cette stratégie qui est poursuivie. Il faudrait que la DGER change de paradigme. Il faudrait aussi qu’elle admette que ces fusions ont un coût et ne sont aucunement source d’économie d’échelle.
Cette stratégie témoigne, de la part des cadres du ministère, d’une incapacité à penser en « État stratège » et à poser des fondations durables et solides pour le développement de « nos » Écoles de demain.