De tout temps et en tout lieu, les universités ont été et sont l’un des premiers lieux de la remise en cause de l’oppression politique, et c’est encore plus vrai dans les pays qui souffrent d’un manque de démocratie.
Elles sont le lieu de développement, d’analyse et de remise en cause des savoirs, ce qui suppose liberté de pensée et d’expression, à l’opposé du projet de société du Front National.
Le programme du Front National ne dit en apparence pas grand-chose sur l’enseignement supérieur… Mais sur le fond, il repose massivement sur le rejet de l’Europe, la fermeture de la France au monde, et une construction intellectuelle opposée aux méthodes universitaires.
Renforcer l’unité de la nation par la promotion du roman national ?
Il y a une séparation entre la recherche et l’idéologie. L’idée de roman national fait référence à des épisodes forts, des héros, des hommes providentiels venus sauver la France. Ce roman a pour objectif de construire un imaginaire national, en omettant tout ce qui pourrait contredire le tableau, les événements moins glorieux. La phrase récente de Marine Le Pen sur le Vél d’hiv (« La France n’est pas responsable du Vél d’hiv ») est caractéristique de cette idéologie. Les propositions du Front National sont donc à l’opposé de ce qui anime les enseignants-chercheurs, de ce qui est la nature même de la recherche.
Quitter l’Europe ?
Indépendamment de l’impact terrible que cela aurait sur notre économie, et donc sur le revenu des Français, en particulier les plus pauvres, quitter l’Europe est un non-sens pour les universités. Depuis leur naissance au Moyen-Age, les étudiants ont suivi des cours dans des universités européennes, et leurs maîtres parcouraient aussi l’Europe. D’où le nom donné au programme européen Erasmus, en l’honneur du philosophe Erasme, considéré comme l’une des figures majeures de la culture européenne.
Mais quitter l’Europe, c’est mettre fin justement à Erasmus, à cette fabuleuse aventure. Trente ans après son lancement, le programme d’échanges d’étudiants et d’enseignants est considéré comme l’une des plus grandes réussites de l’Union Européenne : un nombre croissant d’étudiants partent dans un autre pays en formation, en stage. Et reviennent riches de compétences bien sûr, mais aussi de rencontres, d’un autre mode de vie.
Enfin, en matière de recherche, la sortie de l’Europe nous priverait des réseaux des autres pays membres, appauvrissant de facto les échanges possibles, et donc notre potentiel scientifique : la Cour des Comptes estimait en 2010 que 45 % de nos publications dans le domaine de la recherche ont été réalisées en partenariat avec un laboratoire étranger.
La préférence nationale, au détriment des doctorants étrangers ?
La France est une destination attractive pour les doctorants étrangers, ce qui constitue un atout pour notre rayonnement tant scientifique que culturel : un peu plus de 40% des doctorants sont d’origine étrangère. A l’inverse, nos docteurs partent à l’étranger, pour développer leur expérience, car la France ne peut pas s’enfermer dans ses frontières.
Ainsi, si Marie Curie, venue de Pologne, n’était pas venue faire ses études de sciences en France, nous y aurions perdu deux prix Nobel. Et si les doctorants étrangers choisissent de partir travailler ailleurs ensuite, ils seront nos meilleurs ambassadeurs dans leur pays d’arrivée…
Imposer l’usage du seul français pour l’enseignement universitaire ?
La loi Fioraso prévoit la possibilité de proposer certains enseignements dans une langue étrangère, pour tenir compte de l’ouverture à l’international de certaines formations. Mais le Front National souhaite revenir sur cette possibilité, condamnant nos étudiants à abandonner un grand nombre des postes à vocation internationale. Car pour ces postes, l’usage du seul français n’est pas possible. Si ce choix est cohérent avec le projet global de fermeture des frontières, il condamnerait une génération très cosmopolite à se replier sur elle-même.
À l’université, passer d’une sélection par l’échec à une sélection au mérite ?
Si le taux d’échec à l’université constitue actuellement un véritable problème, ce que propose le Front National, au mieux ne dit rien de la façon de le résoudre, au pire renvoie un grand nombre de bacheliers (les plus fragiles) à une recherche d’emploi directement après le bac, autrement dit à un chômage presque assuré. Les réponses à cette question ne relèvent pas de cette solution simpliste, il faut à la fois travailler sur l’amont et sur l’aval (baccalauréat modulaire, développement du contrôle continu au lycée et en licence, travail sur projet …)
« Aux discours populistes qui gagnent en audience, aux mensonges et à l’obscurantisme, nous devons opposer le savoir, la recherche, l’enseignement des sciences humaines et sociales. Il nous appartient de développer, sur le long terme, tout ce qui est nécessaire à la compréhension du monde, à la curiosité et à l’émancipation. »
(Laurent Berger, colloque ESR 2017)