L’utilisation de l’acronyme EdTech – pour Educational technology – connait actuellement un engouement particulier, notamment lorsqu’il est question de dénoncer le retard de la France en la matière ou de proposer d’y remédier par la création de startups. Pourtant, force est de constater que sa définition demeure imprécise…
Ce dossier est initialement paru dans Profession Éducation, le mensuel du Sgen-CFDT, n° 257 (novembre 2017).
Pour bien comprendre...
- Comment définir l'EdTech ?
- Qui sont les acteurs de cette filière ?
- Quels sont les enjeux pour l'Éducation nationale et ses personnels ?
L’EdTech : une filière nouvelle, objet de toutes les attentions
Lors du salon Educatec-Éducatice, deux initiatives concurrentes ont été lancées pour promouvoir, et surtout représenter, cette fameuse filière EdTech.
Le 14 novembre, l’Association française des industriels du numérique de l’éducation et de la formation (Afinef) adressait une lettre ouverte au président de la République lui demandant de consacrer un millième du budget de l’Éducation nationale. au numérique. Le 17 novembre naissait EdTech France, regroupement rival d’une centaine d’entreprises appelant à « faire de la France la EdTech Nation ».
Ces grandes manœuvres mobilisent aussi le ministère : Jean-Michel Blanquer déclarait ainsi, dès juillet dernier, vouloir « être en première ligne sur le déploiement d’un avant-gardisme français dans les Ed-Tech » tout en appelant au « discernement dans l’usage numérique » et en affirmant vouloir dépasser l’entrée purement matérielle (critiques à peine voilées du plan numérique du ministère précédent).
Des acteurs très divers
En dépit de formules et slogans, le contour des « technologies de l’Éducation » demeure flou et les acteurs en sont très divers. Ainsi s’est-on interrogé sur le « mariage de raison » entre le ministère et les *, le nombre de startups de l’éducation ne cessant de croitre.
* L’acronyme Gafam désigne Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft.
Un monde de startups
De plus en plus d’entreprises proposent des cours à distance, se servent de l’intelligence artificielle, de l’Internet des objets (iOT) ou adaptent leurs contenus au numérique. On en dénombre 47 % de plus depuis 2013, d’après une étude commandée en 2016 par la Caisse des Dépôts.
Cette étude portant sur 242 entreprises montre que ces structures sont jeunes (4 ans de moyenne d’âge), et de petite taille (les trois quarts ont moins de dix salariés et la moitié moins de cinq). Est aussi noté le décalage entre les entrepreneurs et leurs cibles : les créateurs sont en grande majorité des hommes, issus de grandes écoles, mais disposant rarement d’expériences dans le monde de la technologie ou dans celui de la formation et de l’éducation.
Pour en savoir plus :
Interview de Nicolas Turcat – Responsable du développement du numérique à la Caisse des dépôts et co-initiateur de l’observatoire de la EdTech française.
Les problématiques des acteurs de l’Éducation, mal connues
L’étude pointe à juste titre la nécessité d’un « approfondissement de la connaissance des problématiques des acteurs de l’éducation ».
Une étude de 2016 sur 180 startups françaises les classe par projet (voir ci-contre)
Ces deux études convergent pour noter le développement des activités B2C (business to consumer, services aux particuliers), l’apparition des activités C2C (consumer to consumer, l’apprentissage entre pairs) et la stagnation des activités B2B (business to business , services aux entreprises et aux établissements scolaires).
Des pouvoirs publics qui doivent être conscients de leur rôle
Si la question de la gouvernance du numérique éducatif, un temps posée lors du Plan numérique, ne semble plus être une priorité. Elle n’en est pas moins fondamentale. Les pouvoirs publics doivent faciliter les partenariats entre Rectorats, Collectivités et entreprises en s’appuyant notamment sur les réseaux de proximité préexistants dans l’Éducation nationale tels que Canopé et le Cned. Ils doivent aussi garantir la sécurité des données pédagogiques.
Pour en savoir plus :
Ed-Tech : Quel rôle pour les pouvoirs publics ?
Les enjeux pour l’Éducation nationale
Des outils insuffisamment pensés sur le plan pédagogique
Si la véritable révolution des EdTech réside dans l’individualisation de l’apprentissage (l’adaptative learning), en lien avec l’utilisation massive de données, il s’agit encore trop souvent de mettre à disposition des enseignants des outils qui ne sont pas pensés sur le plan pédagogique.
L’essoufflement des Moocs observé actuellement montre les limites de la transposition du présentiel en ligne sans reconsidérer les modes d’apprentissage.
Des discours très variés…
Si le gourou de l’intelligence artificielle et du transhumanisme à la française, Laurent Alexandre, multiplie les harangues insupportables contre l’Éducation nationale, il n’est pas pour autant représentatif du monde de l’EdTech.
Son-Thierry Ly, auteur du rapport de France Stratégie « Quelle finalité pour l’école » et fondateur de la startup, Didask, entend, lui, fournir aux enseignants des solutions numériques qui répondent à leurs interrogations légitimes : « Est-ce juste du buzz, ou cela va-t-il vraiment me permettre d’être plus efficace dans mon travail ? ». Cette approche rejoint celle qu’entend avoir le Sgen-CFDT sur ce dossier.
Une question professionnelle incontournable
La question professionnelle est en effet essentielle et l’action syndicale doit donner aux personnels les moyens d’agir sur leur travail en leur permettant d’identifier les outils, leurs qualités et défauts, et de pouvoir les maitriser. La formation (initiale et continue) constitue dès lors un véritable enjeu, à l’instar de l’information sur la question des données personnelles. C’est le sens de l’adhésion du Sgen-CFDT à l’Association pour la promotion et la recherche en informatique (April)
Un accompagnement indispensable
Il y a, enfin, un enjeu d’accompagnement aux ressources et infrastructures techniques quand la qualité de la connexion varie selon les heures de la semaine et le nombre de classes simultanément connectées.
Ne pas créer des outils qui s’éloignent tellement de l’expérience “normale” du numérique que leurs utilisateurs s’en détournent…
Rappelons, enfin, les propos de Daniel Kaplan l’année dernière dans Profession Éducation : « L’éducation aborde le numérique d’abord comme un problème y compris lorsqu’il s’agit d’en encourager le développement ! […] C’est pour cette raison que je combats de plus en plus les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (Tice) et l’idée même de technologies spécifiques à l’éducation : en général, elles aboutissent à transformer des outils simples qui fonctionnent bien pour tout le monde, en des outils compliqués qui ne marchent pas, ou qui s’éloignent tellement de l’expérience “normale” du numérique que leurs utilisateurs s’en détournent. »
De quoi remettre en perspective l’utilisation du numérique à l’École…