Pour la CFDT, la transition numérique bouleverse nos façons de produire, d’échanger et de nous déplacer. Elle modifie les relations de travail, entre entreprises comme entre les usagers avec les administrations. Elle pose des questions nouvelles à l’organisation de notre système de protection sociale. Les bouleversements à l’œuvre, les points d’attention et les régulations qu’il nous faut inventer sont nombreux *. Ils concernent évidemment, aussi, l’École, et dans ce cadre, les enjeux scolaires sont, plus que jamais, des enjeux sociaux.
Face à la profusion des questionnements que suscite la société en réseaux, ce dossier prend le parti de cibler quelques aspects du numérique éducatif : relation école/famille, nouvelles pratiques pédagogiques, lutte contre l’illettrisme numérique, évolution des environnements de travail…
Dossier initialement paru dans le mensuel du Sgen-CFDT – Profession Éducation du Sgen-CFDT n°249 – Novembre 2016 – coordination par Alexis Torchet et réalisation par Christophe Bonnet, Adrien Ettwiller, Isabelle Lacaton, Françoise Lambert, Nathalie Noël, Daniel Pers, Delphine Roger et Guillaume Touzé.
*« La transition numérique est devant nous », par Alexis Masse, pour CFDT cadres.
Pour bien comprendre...
- Le numérique : un enjeu syndical
- Numérique et pédagogie : où en sommes-nous ?
- Démocratiser le numérique et éviter l'e-exclusion
- Préparer à l'entrée dans une société numérique
- Gouvernance : le plan pour le numérique éducatif
Le numérique, un enjeu syndical
Le numérique touche tous les services et tous les personnels de l’Éducation nationale. Ses incidences en matière pédagogique mais aussi son impact sur les conditions de travail et la qualité de vie au travail des personnels justifient une vigilance syndicale forte.
La transition numérique et les bouleversements induits sur les pratiques professionnelles et les conditions de travail sont au cœur des réflexions du Sgen-CFDT.
Des dossiers consacrés au numérique sont régulièrement publiés dans Profession Éducation. Ils permettent de découvrir l’horizon des possibles et de mettre en lumière les voies et moyens d’un numérique qui améliore les conditions d’apprentissage des élèves et les conditions de travail des personnels.
Depuis 2015 le Sgen-CFDT participe à Éducatec-Éducatice, le salon professionnel du numérique dans l’éducation. Les échanges avec les visiteurs du salon révèlent l’importance des problématiques syndicales : temps et conditions de travail, droit à la déconnexion, formation initiale et continue, accès équitable à l’information et à la communication, évolutions des métiers…
Pour en savoir plus :
- Numérique, nous sommes embarqués
- Usages professionnels du numérique : les revendications du Sgen-CFDT
- Numérique et dialogue social : je t’aime moi non plus
Mais la question de la place du numérique à l’École pose aussi la question de l’École dans la société devenue numérique.
La verticalité et la sanctuarisation sont deux impasses : la verticalité l’est, parce que les injonctions top-down émanant de la société sont inopérantes, et la sanctuarisation l’est tout autant, parce que refuser les écrans, y compris mobiles, à l’École, c’est refuser d’aborder, à l’École, le numérique comme fait culturel et social. Car la fracture numérique n’est pas seulement matérielle, elle est aussi culturelle. Après tout, les parents de la Silicon Valley qui choisissent des écoles Waldorf sans écran disposent par ailleurs d’un capital culturel qui assurera à leurs enfants l’appropriation des nouveaux environnements numériques.
Naître dans la société numérique
Démocratiser le numérique et éviter l’e-exclusion
Le numérique offrant accès à un très grand nombre de ressources pédagogiques de grande qualité, ce sont tous les élèves qui doivent pouvoir en bénéficier, et davantage encore les plus défavorisés d’entre eux.
L’École a un rôle fondamental à jouer ici pour mettre son public en situation d’apprentissage avec ces outils. Sinon les inégalités continueront de se creuser entre ceux qui possèdent la culture et retrouver en situation d’« illettrisme numérique ».
Pour démocratiser le numérique et éviter l’e-exclusion, 68 organisations (dont la CFDT) se sont engagées dans la charte « Lutter contre l’illettrisme numérique » proposée par l’Association nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI). Elle a pour objectif de « susciter une prise de conscience sur les conséquences concrètes de la digitalisation dans le quotidien des personnes confrontées à l’illettrisme et faire connaitre les solutions qui ont fait leur preuve ».
Le numérique peut également favoriser de nouvelles interactions entre l’École et les familles. Encore faut-il créer les espaces numériques d’échanges nécessaires, s’assurer de la maîtrise commune des outils et définir les modalités de cette coopération.
Pour en savoir plus :
- une charte pour lutter contre l’illettrisme numérique
- Le numérique au service des relations École – familles
Préparer les élèves et les étudiants à entrer dans une société numérique : un enjeu des pédagogies actives.
C’est ce qu’exprime Catherine Becchetti-Bizot, inspectrice générale de l’Éducation nationale, pour qui Il ne fait pas de doute qu’un virage a été pris. Les enseignants prennent progressivement de l’assurance, s’interrogent sur leurs pratiques, réalisent que l’intérêt du numérique ce n’est pas l’outil en lui-même mais les possibilités qu’il offre pour créer des situations d’apprentissage nouvelles…
Elle observe d’ailleurs que les enseignants les plus performants avec le numérique, ce ne sont pas les pionniers ou les geeks, mais les professeurs les plus mûrs dans leurs pratiques… Il s’agit avant tout d’accompagner les élèves dans leurs apprentissages, de gérer la diversité, l’abondance de ressources et de donner des repères et des méthodes.
Pour en savoir plus :
Numérique et pédagogie : où en sommes-nous ? interview de Catherine Becchetti-Bizot, inspectrice générale de l’Éducation nationale.
Développer des pratiques pédagogique nouvelles : l’exemple de la « Classe inversée » à l’université
Comme dans les 1er et 2nd degrés, l’objectif de la classe inversée à l’université est d’amener les étudiants à travailler un sujet avant le cours, et à utiliser le temps en présentiel à répondre aux questions et faire des applications (sous forme d’exercices classiques ou d’étude plus approfondie).
Pour en savoir plus :
Former les enseignants à trouver, utiliser, critiquer, modifier et adapter les ressources
Les ressources en ligne bouleversent la posture de l’enseignant, ses pratiques pédagogiques, et peuvent lui permettre de développer de nouvelles compétences. Le manque de temps, la profusion d’informations, les compétences numériques peuvent être des freins à l’utilisation des ressources numériques. Il est primordial de former les enseignants – en formation initiale et continue –, à trouver, utiliser, critiquer, modifier et adapter ces ressources.
Pour en savoir plus :
Adapter l’environnement aux pratiques nouvelles : l’exemple du LP2i
De nouveaux enjeux émergent pour les environnements de travail. Ainsi, l’expérience du LP2i de Poitiers illustre la possibilité de réorganiser l’architecture scolaire par le biais du numérique et la nécessité de modifier l’environnement de travail pour permettre le développement de pratiques pédagogiques nouvelles.
Situé sur le site du Futuroscope, le Lycée Pilote Innovant International (LP2i) dispose de trois espaces de plus de 200 m2 consacrés à l’innovation pédagogique. Six « Zones d’apprentissage », des salles spécialement aménagées et équipées, pour enseigner et apprendre autrement, ainsi qu’un FabLab pour la conception et la fabrication d’objets. Ces espaces ont vocation à inspirer de nouveaux scénarios pédagogiques, de nouvelles façons d’enseigner et d’apprendre.
Pour en savoir plus :
Gouvernance du numérique éducatif : le Plan pour le numérique éducatif en question
Point aveugle de la mutation en cours, c’est dans la gouvernance du numérique éducatif que beaucoup reste à inventer. Le Plan numérique pour l’éducation lancé par le gouvernement montre une volonté d’inscrire l’École dans la transition numérique.
Le Plan numérique pour l’éducation n’est pas un remake du plan Informatique pour tous de 1985…
Si on y retrouve une logique industrielle, elle porte surtout sur le développement d’une filière EdTech française, avec la volonté de rattraper le retard pris dans ce domaine.
Le réseau Canopé est un acteur dans la production des outils et ressources, mais au prix d’une restructuration qui a eu malheureusement beaucoup de conséquences négatives sur les conditions de travail de ses personnels.
Il est indéniable que l’enjeu de la formation a été pris en compte, même si deux écueils risquent d’apparaitre : le nombre de jours réduit et le vivier de formateurs disponibles. En effet, comme pour la formation initiale, la formation des formateurs prend du temps, d’autant plus après des années où la formation continue a été laissée en jachère.
Pour en savoir plus :
… Pour autant, ce plan n’est pas exempt de critiques ou d’interrogations
L’absence de connexion avec la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique qui, de son côté, n’abordait pas les aspects éducatifs ; la question du partenariat entre Microsoft et le ministère de l’Éducation nationale, dénoncé par EduNathon ; la très grande place accordée aux éditeurs traditionnels pour les plateformes de ressources ; ou encore les questions de maintenance et d’accès au réseau qui n’ont pas été prises en compte…
- EduNathon : un collectif pour promouvoir les logiciels libres
- Un partenariat indigne des valeurs affichées par l’Éducation nationale
Le Plan numérique intègre également un appel à projets e-Fran (espaces de formation, de recherche et d’animation numérique) dans le cadre du programme d’investissement d’avenir.
Un appel certes intéressant mais dont le pilotage en très vertical et opaque : ni concertation sur la définition des territoires éducatifs d’innovation numérique, ni consultation des partenaires sociaux, ni garantie sur la pérennité des projets. Or, il est impératif d’insuffler le dialogue social à tous les échelons de l’élaboration de cette politique numérique.
La gouvernance du numérique doit en effet obligatoirement intégrer, d’une part, un diagnostic préalable partagé sur les objectifs de politique éducative, les attendus pédagogiques, le niveau et la qualité du service à l’usager, et d’autre part, se doter d’une capacité à suivre, piloter et accompagner le changement à partir de la consultation des agents publics et des usagers.