Arts plastiques et confinement : retour d'expérience d'une enseignante sur la continuité pédagogique, le suivi individuel des lycéens, la question de l'évaluation des travaux...
POUVEZ-VOUS NOUS DIRE QUELQUES MOTS SUR VOTRE LYCÉE ET LA SECTION ARTS PLASTIQUES ?
Le lycée Antoine de Saint-Exupéry à Terrasson est un petit lycée de campagne qui compte environ 400 élèves. On y trouve de l’enseignement général ainsi que des sections professionnelles.
J’y enseigne les arts plastiques, une option rarement proposée ailleurs que dans les lycées de centre ville. Bien sûr, c’est une chance pour les jeunes d’ici que la culture et la pratique artistiques intéressent, mais cette option permet également de réconcilier certains lycéens avec les études : ils y trouvent un espace d’expression où s’épanouir et peuvent obtenir d’assez bons résultats.
Pour ma section au baccalauréat, je suis professeure principale (PP) des élèves de terminale, en binôme avec ma collègue de philosophie.
COMMENT TRAVAILLEZ-VOUS ACTUELLEMENT EN ARTS PLASTIQUES ET EN TANT QUE PROFESSEURE PRINCIPALE ?
…nous avons surtout été dans l’écoute et la bienveillance.
Je travaille évidemment confinée, avec mon ordinateur.
Le début du confinement a coïncidé avec le lancement des épreuves du bac blanc pour les classes de terminale. Il nous a fallu donner forme à cet examen, envoyer les sujets. La majorité des élèves a joué le jeu, mais pas dans toutes les matières.
Il semblerait qu’on ait déjà perdu des élèves en cours de route. En tant que PP avec ma collègue, nous sommes chargées d’assurer la continuité pédagogique, donc de contacter les élèves – ou leur famille, quand vraiment ils ne se connectent pas au site, ne rendent pas leurs devoirs et ne répondent pas à nos appels. C’est d’autant plus une source d’inquiétude que plusieurs élèves n’avaient pas finalisé leur inscription sur Parcoursup.
Outre ce suivi individuel des élèves, il y a bien entendu tout le travail pédagogique à mettre en place à distance, avec la constitution de cours adaptés, la réception et la correction des travaux. À vrai dire, ils me reviennent de manière assez dispersée (j’ai dû intégrer ce facteur dans ma propre organisation des tâches à effectuer) et sous des formats de fichiers différents. Il faut donc reprendre, reformuler… ce qui prend du temps.
Pour ce qui est des cours, je dis à mes élèves de ne pas hésiter à me contacter car, à distance, on ne se rend pas compte des difficultés qu’ils peuvent rencontrer. On a d’abord fonctionné en aveugle, découvrant au fur et à mesure leurs conditions de travail.
Durant cette période, nous avons surtout été dans l’écoute et la bienveillance.
QU’EN EST-IL DU TRAVAIL AVEC VOS COLLÈGUES ENSEIGNANTS, LA VIE SCOLAIRE, LA DIRECTION DU LYCÉE ?
Je travaille surtout avec ma collègue de philosophie, puisque nous sommes PP d’une terminale. Nous nous partageons le suivi des élèves et nous faisons des bilans hebdomadaires par téléphone pour nous informer mutuellement sur nos démarches et les résultats. La vérification des renseignements sur Parcoursup (lettres de motivation et vœux, en sachant que chaque candidat peut en saisir dix) nous a pris du temps et de l’énergie.
Heureusement, la conseillère principale d’éducation (CPE) du lycée – qui peut voir quels sont les élèves qui ne se connectent pas – nous épaule. Le relationnel avec les familles est important, car il est plus que jamais essentiel d’entrer et de rester en contact avec elles.
La question qui a dernièrement rassemblé l’ensemble des collègues, via Pronote, était de savoir comment nous allions évaluer les travaux : par une note chiffrée, ou par une note indicative ? Ce qui me paraît important, ce sont les appréciations pour valoriser, encourager les élèves qui continuent de s’impliquer – pour ne pas les perdre, en fait ! – car l’atmosphère n’est pas tellement propice à un travail serein. Même si l’on est à la campagne, donc un peu privilégiés par rapport à d’autres, la crainte est présente. Le père d’un de nos élèves a été testé positif et hospitalisé. L’environnement présent n’est donc guère rassurant.
Ce qui me paraît important, ce sont les appréciations pour valoriser, encourager les élèves qui continuent de s’impliquer –pour ne pas les perdre, en fait ! – car l’atmosphère n’est pas tellement propice à un travail serein.
La direction est aussi présente. Pour la dizaine d’élèves qui s’étaient manifestés parce qu’ils n’avaient pas d’ordinateur, il y a eu un prêt de portables prélevés sur l’équipement du lycée, « reparamétrés » de façon à ce qu’ils puissent fonctionner en dehors de l’établissement. Se posait aussi le problème de la connexion. Le proviseur nous a transmis un .PDF dans lequel SFR propose gratuitement des connexions Internet dans le cadre du Covid-19.
Elle nous conseille également pour harmoniser nos actions et a fait la synthèse de la discussion concernant l’évaluation des devoirs durant le confinement, nous proposant de noter le travail des élèves pour qu’ils puissent étalonner leurs productions, et de mettre un coefficient 0 pour toutes les notes.
QU’EST-CE QUI VOUS A PARU VRAIMENT DIFFICILE POUR CONTINUER À TRAVAILLER EN ARTS PLASTIQUES ?
D’avoir à fonctionner un peu dans le vide : on lance des perches, mais on ne sait pas où elles tombent ; parfois, ça revient, d’autres fois, non ! Et dans ces derniers cas, nous sommes très inquiets parce que nous perdons des élèves.
La réactivité est compliquée à gérer. En classe, on est conscient qu’un élève n’est pas attentif à cent pour cent, mais on sait qu’il a pu entendre ce qui a été dit, alors que dans le cas présent on ne sait même pas s’il a ouvert le fichier !
QU’EST-CE QUI VOUS SEMBLE LE PLUS IMPORTANT POUR VOS ÉLÈVES DANS CE CONTEXTE ?
Concernant le travail en lui-même, nous sommes contents quand les élèves réagissent, participent. Mais nous essayons de ne pas être négatifs avec ceux qui n’y arrivent pas. Encore une fois, ce qui est important, c’est de garder le contact. Tant que l’échange se fait, on peut travailler sur les contenus, même si c’est beaucoup plus laborieux qu’en cours.
À la suite du message de la direction concernant l’évaluation, ma collègue de philosophie a commenté : « De mon côté, je mets des notes indicatives que je ne compterai pas… Je ne savais pas qu’on pouvait faire figurer coefficient 0 sur Pronote. Pourquoi pas ? Pour les autres travaux, ne valoriser que les exercices réussis avec un petit coefficient et ne pas noter ceux qui ne parviennent pas à faire le travail ». Cela résume bien notre état d’esprit.
ce qui est important, c’est de garder le contact. Tant que l’échange se fait, on peut travailler sur les contenus, même si c’est beaucoup plus laborieux qu’en cours.
AVEZ-VOUS APPRIS QUELQUE CHOSE DE CETTE SITUATION ?
J’aimerais être un peu plus efficace parfois. Si le numérique n’est pas une découverte pour moi, épauler les élèves dans l’apprentissage du numérique, pour le coup, en est une ! On a des vidéos envoyées par le lycée pour nous aider à prendre en main les outils mis à notre disposition, mais c’est du temps pris sur d’autres tâches…
ET CONCERNANT VOS ÉLÈVES EN ARTS PLASTIQUES ?
on perçoit mieux les différences entre les élèves parce qu’on rentre dans l’intimité des familles.
Je n’ai pas été surprise par mes élèves qui ont gardé une attitude assez égale à celle qu’ils avaient en cours. Mais les contrastes sont plus marqués entre les éléments très volontaires et d’autres davantage en retrait. Surtout, on perçoit mieux les différences entre les élèves parce qu’on rentre dans l’intimité des familles. Tout à coup, on connaît les élèves sous un angle qui est sans doute celui qu’ont l’assistante sociale et la CPE. C’est quelque chose qui est lourd à porter. Pour certains élèves qui vivent des situations complexes, on développe des inquiétudes parce qu’on se rend compte qu’on les perd.