Handicap et travail : quels sont les droits, les dispositifs existants ?
Pour les collègues concerné·e·s, c’est souvent un vrai parcours du combattant. Le Sgen-CFDT leur donne la parole.
Formatrice, Marie-Emmanuelle témoigne de son parcours pour ouvrir la voie aux collègues qui pourraient être confrontés à une démarche handicap. Un retour d’expérience d’une richesse impressionnante.
Un extrait du témoignage de Marie-Emmanuelle a paru dans le no 282 – Novembre-décembre 2021 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.
Peux-tu te présenter ?
Je suis formatrice au Greta* Occitanie, en CDI depuis de nombreuses années ayant été recrutée après l’obtention d’une maîtrise en sciences de l’éducation portant sur les questions d’apprentissage, une spécialisation sur la dyslexie et une expérience professionnelle comme assistante pédagogique. Par ailleurs, j’ai commencé ma formation initiale avec un Deug de mathématiques appliquées. Cet ensemble de compétences me permet d’intervenir dans différents domaines et auprès d’une grande variété de publics.
* Groupement d’établissements publics d’enseignement.
En ce qui concerne mon handicap, je suis atteinte d’une dégénérescence visuelle qui se caractérise par un rétrécissement du champ visuel – une perte dont l’évolution est bien particulière à chaque individu, ainsi au cours des deux dernières années, ma perception s’est réduite à dix, puis à cinq degrés. Quand ce handicap a été détecté en 2013, on n’en connaissait donc pas l’évolution, et c’est là aussi toute la difficulté car au Greta les collègues m’ont connue voyant. Les difficultés, en fait, sont apparues en 2017, et l’année suivante j’ai dû subir une intervention chirurgicale. J’ai été reconnue travailleuse handicapée en 2018. Mon handicap, comme je le disais, s’étant subitement intensifié, depuis 2020 je suis en invalidité. Entre temps, j’ai connu un vrai parcours du combattant…
Quand ce handicap a été détecté en 2013, on n’en connaissait (…) pas l’évolution, et c’est là aussi toute la difficulté car au Greta les collègues m’ont connue voyant.
Peux-tu nous détailler quels sont tes enseignements et les publics que tu formes ?
La partie la plus importante de mon activité porte sur le français – la communication écrite et orale –, puis j’interviens un peu en mathématiques et en histoire-géographie.
le champ d’action de nos formations est (…) très large.
Pour ce qui est du public, il est très hétérogène : des diplômants (du CAP au BTS) ; un atelier dit d’individualisation accueille des préparationnaires à des concours sanitaires et sociaux ou administratifs, donc pour des emplois de catégorie C aussi bien que A ; un public d’alphabétisation (pas forcément des primo-arrivants mais des gens très peu scolarisés dans leur pays d’origine qui doivent acquérir la maîtrise du français pour intégrer le monde du travail) ; des publics professionnels, soit demandeurs d’emploi, soit envoyés par des entreprises, soit des individuels payants qui viennent se former eux-mêmes ; enfin des décrocheurs scolaires. En sachant qu’on mène plusieurs actions dans une même année et qu’on n’a pas toujours le même public, le champ d’action de nos formations est donc très large.
Qu’en a-t-il été de ta situation professionnelle quand a surgi ce handicap visuel, dégénératif mais non immédiatement perceptible à ton entourage ?
Dès le départ, j’ai indiqué ma difficulté. J’ai toujours assumé et j’étais prête à l’évolution de cette maladie.
Demande d’un 80 %
Ma première demande, après avoir été opérée des yeux en 2018, a été de moins travailler car si tout se passait bien avec les apprenants, mon activité générait beaucoup de fatigue d’une part et d’autre part j’avais besoin de temps pour faire mes soins et commencer à apprendre le braille. Malgré les préconisations médicales qui me donnaient droit à un 80 %, l’employeur a plutôt cherché à me faire accepter un mi-temps sous prétexte d’un manque d’heures à proposer. Des vacataires ayant été embauchés, je savais que c’était une fausse raison. C’est dans ce cadre que j’ai dû faire intervenir le Sgen-CFDT. Concrètement, je pense que l’employeur n’avait pas envie de passer par la reconnaissance du handicap, d’autant que j’entreprenais une démarche pour une constatation d’invalidité qui allait impliquer une obligation de maintien dans l’emploi.
Malgré les préconisations médicales qui me donnaient droit à un 80 %, l’employeur a plutôt cherché à me faire accepter un mi-temps
Demande d’une aide humaine
En parallèle, dans une volonté d’anticiper les difficultés qu’entraînerait l’évolution rapide de mon handicap, j’ai réclamé une assistante et donné des pistes à mon employeur pour qu’il se renseigne. Il s’est d’abord contenté de m’adresser un courrier en recommandé m’informant que je ne dépendais pas de la mission handicap du rectorat.
c’est en quelque sorte grâce à moi que les choses ont pu évoluer dans le bon sens, et pour tout le monde (rires).
Si on a pu avancer, c’est parce que j’ai appris que le Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FipHFP) avait publié un guide employeur recensant les modalités pour demander l’accompagnement d’une tierce personne. De la même façon, je n’avais pas de visite médicale professionnelle et la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) ne comprenait pas pourquoi, donc c’est en quelque sorte grâce à moi que les choses ont pu évoluer dans le bon sens, et pour tout le monde (rires).
l’employeur a d’abord pensé outils
Après m’être beaucoup bagarrée, j’ai fini par obtenir une assistance humaine cette année, alors que dès 2018, les préconisations pour l’adaptation de mon poste le notifiait, mais l’employeur a d’abord pensé outils, me fournissant des luminaires ainsi qu’un logiciel et un scanner – d’ailleurs sans prévoir d’accompagnement pour leur utilisation, j’ai dû me former seule –. Je crois sincèrement que ce réflexe de trouver une solution via des outils exprime une méconnaissance du handicap de la part de l’employeur, qui a d’autant plus de mal à le comprendre qu’il s’agit, dans mon cas, d’une maladie dégénérative.
Comment cela s’est-il passé pour le recrutement de ton assistante et le travail avec elle ?
Paradoxalement, je n’ai pas du tout été informée de l’opération de recrutement quand, enfin, elle a été lancée. On ne m’a pas communiqué l’annonce. Les activités pour lesquelles j’avais besoin d’aide avaient été identifiées et notifiées dans le dossier FipHFP, mais on ne m’a jamais associé à la procédure de recrutement, par exemple je n’ai pas rencontré la personne lors d’un entretien préalable à l’embauche. Heureusement, cela se passe très bien.
on ne m’a jamais associé à la procédure de recrutement
Elle m’accompagne durant deux plages hebdomadaires situées en dehors de mes heures de cours car, pour l’instant, je les gère seule. Comme mes interventions de formation sont très nombreuses et variées, le classement, l’organisation, la traçabilité sont des éléments fondamentaux. J’ai pris le temps de tout lui expliquer et de construire des grilles pour que rien, dans les modus operandi, ne lui échappe. Par exemple, quand il s’agit d’organiser les concours internes au CHU, il y a de nombreuses grilles à renseigner et à vérifier, elle doit savoir en faire une première lecture et être l’extension de mes yeux. Elle est très efficace et me fait gagner en indépendance alors qu’auparavant, je devais compter sur l’aide de mon mari et de ma fille. Aujourd’hui, je peux à nouveau me concentrer sur les contenus, les corrections détaillées… C’est très appréciable !
Aujourd’hui, je peux à nouveau me concentrer sur les contenus, les corrections détaillées…
Les démarches administratives
Hélas, je sais qu’il me faudra renouveler la demande d’aide humaine et former une nouvelle personne parce que mon assistante actuelle a pris ce travail en attendant de pouvoir entreprendre une reconversion professionnelle. D’ailleurs, c’est la même chose pour mon 80 % de droit qui est décidé pour seulement trois ans. On se trouve donc confronté à faire régulièrement les mêmes démarches administratives.
On se trouve (…) confronté à faire régulièrement les mêmes démarches administratives.
Qu’en est-il de tes collègues concernant ton handicap ?
Parmi mes collègues proches, il y a beaucoup de bienveillance. Cependant, hormis une, aujourd’hui retraitée, qui a été pour moi un soutien inestimable (elle avait proposé de m’aider bénévolement en attendant le recrutement d’une assistante !), ils n’ont pas forcément compris tout de suite la nature de mon handicap. S’ils le connaissent maintenant, c’est grâce à deux actions.
La canne blanche
La première correspond à ma décision, à partir de la rentrée 2020, de me déplacer au sein du Greta avec une canne blanche. J’avais pris des cours de canne blanche depuis septembre 2019 pour pouvoir me déplacer en extérieur, c’est-à-dire en milieu inconnu, car pour les environnements familiers, j’arrivais à surmonter les difficultés. Par conséquent, mon entourage professionnel n’avait pas pris conscience de l’ampleur de mon handicap : encore aujourd’hui, je lis et j’ai une vision de précision intacte alors que je ne suis pas capable de me mouvoir. Une fois la canne blanche adoptée, je me suis rendue compte que c’était beaucoup plus facile parce qu’elle rendait visible ma situation. Bien sûr, au départ ce n’était pas simple à mettre en avant car je n’avais pas envie d’être considérée à travers mon seul handicap.
Une fois la canne blanche adoptée, je me suis rendue compte que c’était beaucoup plus facile parce qu’elle rendait visible ma situation.
La sensibilisation en milieu professionnel
Le deuxième facteur décisif a été la sensibilisation en milieu professionnel – comme je l’ai dit, préconisée dès 2018, mais organisée, de fait, le 4 octobre 2021 !
Il m’aura fallu livrer bien des batailles, et recourir une seconde fois au Sgen-CFDT car si mon employeur ne me parlait pas licenciement, en revanche pas plus tard qu’en mai 2021, il m’a proposé d’intégrer un dispositif de formation en lien avec mon handicap, mais en prenant une disponibilité. Puis en juillet, la direction avait « acté » que je passerais à un mi-temps de face-à-face pédagogique pour, avait-elle dit, me dégager du temps – ceci sans raison médicale. Cette seconde proposition ne m’a pas semblé juste car je ne voulais pas de « charité ». Comment expliquer, même à mes collègues, que je travaille moins pour le même salaire sans raison médicale ? Cette proposition qui pourrait paraître bienveillante me renvoyait à une incapacité pourtant loin d’être effective.
Bien entendu, j’ai refusé. Mais ayant alerté le médecin du travail et la personne chargée de suivre l’adaptation de mon poste, le Greta m’a adressé un courrier m’accusant de faute grave. Or je n’avais pas eu recours à des personnels extérieurs à mon dossier professionnel, aussi quand le syndicat est intervenu en juillet, l’employeur a fait marche arrière sur la qualification de faute grave et a reporté à janvier 2022 l’application de sa décision du 50 % de face-à-face pédagogique.
J’ai avancé qu’il y avait des salariés aveugles qui travaillaient à 100 % et que, dans mon cas, ce dont j’avais besoin c’était d’un peu de temps pour l’adaptation à certains outils et pour récupérer mentalement et physiquement, car si je suis efficace, en contrepartie il y a une fatigabilité et un stress induits par les mécanismes de vigilance et de mémorisation que je dois mettre en place pour compenser les pertes dues à mon handicap. Aussi, j’avais entrepris une démarche auprès de la MDPH, laquelle depuis avril dernier prend en charge, via le Service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah), une sorte de réadaptation à la vie quotidienne. Je peux consulter un psychologue, un orthoptiste, un ergothérapeute, etc. et faire de l’informatique adaptée, l’idée étant de ne pas basculer totalement sur du braille qui sera un plus pour moi mais à plus long terme.
Ainsi, dans le cadre de la sensibilisation professionnelle, mes collègues ont été sidérées d’entendre que je réapprenais à manger. Comme je ne mets pas en avant mes difficultés, elles n’avaient pas prêté attention au fait que je ne déjeunais plus avec elles. En fait, je profite de ces 45 minutes pour me reposer car quand je travaille, je suis en suradaptation continuelle et j’ai développé également une hyperacousie, donc j’ai besoin de moments de tranquillité, en petit comité.
Dans la mesure où la sensibilisation au handicap commence à être connue, je suis convaincue qu’une action plus systématique permettrait de lever les a priori et de comprendre, dès le départ, les difficultés du porteur de handicap en situation professionnelle
C’est très important que les collègues saisissent tout ce qu’impliquent ma maladie et son évolution, qu’ils osent me questionner et qu’on puisse dialoguer autour de ce sujet. Et c’est réellement dommage que cette sensibilisation en milieu professionnel ait été développée aussi tardivement. Je pense que de telles actions devraient se dérouler de manière beaucoup plus fluide, à l’instigation de l’employeur et avec l’accord du porteur de handicap, plutôt que ce soit ce dernier qui fasse la démarche car cela demande qu’il ait accepté le handicap et qu’il soit prêt à relever des défis. Or au début, on a davantage besoin d’une main tendue et d’être rassuré sur le fait qu’on ne perd pas sa valeur. Mais le système fait qu’on se trouve bien plus souvent à devoir adopter une posture où l’on va prouver sa valeur.
Dans la mesure où la sensibilisation au handicap commence à être connue, je suis convaincue qu’une action plus systématique permettrait de lever les a priori et de comprendre, dès le départ, les difficultés du porteur de handicap en situation professionnelle car il est étrange qu’une direction prenne des décisions sans connaître la problématique.
Toutes ces difficultés t’ont-elles freinée pour faire reconnaître tes droits en tant que travailleuse porteure d ‘un handicap ?
Au quotidien, faire bouger les choses est compliqué. Pour prendre l’exemple du transport, ne pouvant plus conduire, j’ai eu beau alerter ma direction sur le fait que je devais débourser 60 euros de taxi pour venir travailler, rien n’a été fait. C’est l’argent de mon véhicule personnel que j’ai vendu en 2017 qui a financé mes déplacements. Tout le monde me disait de me mettre en arrêt maladie : mais je ne suis pas malade, j’ai un handicap !
Au quotidien, faire bouger les choses est compliqué.
Aujourd’hui, je me déplace en Mobibus. Cependant mon planning ne doit pas changer sinon je me retrouve sans solutions. Là encore, la procédure de déclaration pour me faire rembourser est lourde et je suis en train de me démener pour que soit mis en place un système automatisé simplifié. Au début, je n’aimais pas être tout le temps à réclamer, mais comme j’ai vu qu’ils n’étaient pas facilitateurs, je me suis convaincue de ne pas abandonner car tout ce que je mène pourra aussi servir au prochain porteur de handicap. J’espère contribuer à faire un minimum changer les mœurs. Ce n’est pas facile mais c’est mon tempérament.
tout ce que je mène pourra aussi servir au prochain porteur de handicap.
Ainsi, avec l’Institut des jeunes aveugles, j’ai eu l’occasion déjà de recevoir une stagiaire, donc une personne mal voyante qui se réoriente dans l’enseignement du fait de son handicap. Cela permet de vivre la réalité sur le terrain car il faut être conscient de ce qu’enseigner, quand on est mal ou non voyant, implique : il y aura des combats, on ne vous déroulera pas le tapis rouge…
Si je regarde en arrière, je m’aperçois que mon vécu en tant que porteur de handicap sur bien des points a apporté une plus-value qui, malheureusement, reste circonscrite à l’établissement. Faute d’une culture de la mutualisation, il n’y a pas de dynamique et d’optimisation générales.
mon vécu en tant que porteur de handicap sur bien des points a apporté une plus-value qui, malheureusement, reste circonscrite à l’établissement.
En outre, heureusement qu’il y avait le syndicat ! Pour preuve, en novembre, en guise de suite à l’entretien de juillet et des échanges de courriels menés avec le soutien du Sgen-CFDT, un courrier, fort courtois d’ailleurs de mon employeur, est venu enfin m’accorder ce que je demandais de droit ! Mon 80 % effectif est maintenu, mon temps de travail avec l’assistante est reconnu et seule la formation que j’ai choisie via le dispositif du Samsah (MDPH) est considérée comme pertinente.
En outre, heureusement qu’il y avait le syndicat !
Moi qui suis dans le dialogue, je me suis rendue compte que cela ne suffisait pas. Les collègues ont beau être bienveillants, faire respecter les droits du travailleur en situation de handicap nécessite des compétences et un engagement particuliers. Ce soutien syndical participera sans doute à faire évoluer les mœurs mais quel dommage qu’il n’y ait pas un retour d’expériences pour un profit plus global et rapide !
Illustrations
Portrait DR
Dossiers © Satheeshsankaran / Pixabay