Prévention des risques psycho-sociaux (RPS) dans les établissements de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) : une réflexion est lancée à l’interne du Sgen-CFDT depuis plusieurs mois. Constats et pistes revendicatives.
Les éléments qui suivent proviennent d’échanges entre les mandaté.es Sgen-CFDT CHSCT du MESRI, des mandaté.es Sgen-CFDT CHSCT (1) d’établissement et des militant.es de la fédération des Sgen-CFDT sur le thème des risques psycho-sociaux .
Nous faisons le constat depuis plusieurs mois grâce à de nombreuses remontées de la part des équipes syndicales, de tensions en cours, de situations enkystées, du besoin de parole et du peu d’avancées, voire parfois de situations de blocages y compris de la part des structures ou des directions d’établissements et de pressions exercées sur les militant.es.
La période de crise sanitaire qui s’installe durablement peut jouer un rôle de révélateur de situations individuelles ou collectives complexes. Ainsi nous souhaitions en cette fin d’année 2021 et à l’occasion de la présentation des Orientations Stratégiques Ministérielles en matière de politique de prévention des risques professionnels dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche 2022 en CHSCT du MESRI ce mois-ci pour préciser ce constat et développer quelques pistes pour la santé au travail des agents de l’ESR.
Rappelons cette évidence : le travail rend trop souvent malade !
Être mal dans son travail du fait des conditions de travail ou de relations au travail dégradées est un constat qui doit être diagnostiqué rapidement au risque de mettre la santé des personnes en danger à court terme, les collectifs en échec ensuite et les établissements en difficulté à plus long terme (perte de compétences, arrêts de travail, interruption de programmes de recherche, éclatement de collectifs, et… militant.es au bord de la crise de nerf !).
Comment en finir avec les affichages en termes de prévention des risques psycho-sociaux et les vœux pieux rappelés dans les instances pour au contraire passer aux actes et enclencher de véritables actions de prévention ?
Comment, par exemple, donner aux militantes et militants une réelle visibilité sur le sujet alors même que les remontées administratives d’indicateurs, souvent hétérogènes et parcellaires, passent par le canal hiérarchique des établissements puis entre établissements et ministères pour finalement échapper aux instances de dialogue social et aux préventeurs représentant.es des personnels ?
Il est indispensable que tous les préventeurs puissent disposer d’une visibilité précise sur les accidents de travail et les maladies professionnelles qui sont liés aux risques psycho-sociaux .
Or ces indicateurs et données sont difficilement accessibles alors que des arrêts de travail peuvent être directement imputés à la souffrance au travail, donc au travail.
Établir un lien constitutif entre une affection psychique et le travail est complexe.
Le dossier de demande de reconnaissance de maladie professionnelle doit être constitué avec soins (2).
Et ce d’autant plus que ce lien avec le travail est souvent nié et écarté par « principe » par les représentants de l’administration. Cela rend indispensable de faire monter en compétence nos militantes et militants comme tous les autres acteurs à la constitution et à l’analyse de ces dossiers (formation, sensibilisation,…). La démarche est complexe, l’écrasante majorité des arrêts maladie ayant pour origine des RPS ne sont finalement pas classés en arrêts de travail ou maladies professionnelles.
S’intéresser à la prévention des risques psycho-sociaux, c’est nécessairement s’intéresser à l’organisation du travail
Autre question d’importance, directement reliée à la problématique de la gouvernance des établissements et de la structuration même des établissements (en particulier composantes et laboratoires de recherche) : comment parvenir à lever un obstacle majeur qui vient souvent des directions d’établissement pour s’engager dans de vraies démarches de prévention ?
Cet obstacle, c’est ainsi que nous l’apprécions, vient d’une interaction directe entre organisation du travail et RPS.
S’intéresser à la prévention des RPS, c’est nécessairement s’intéresser à l’organisation du travail : si une direction refuse d’en parler, toute démarche est réduite à néant.
Ne pas réduire les démarches à de la Qualité de vie au travail ou QVT, très à la mode, qui peut avoir son importance mais qui se rapproche davantage d’un outil Ressources Humaines, et ne constitue pas à elle seule un programme de prévention des RPS.
Ainsi un agent malade du fait d’un relationnel inadapté sera en arrêt de travail, peut-être même validé par la direction des ressources humaines alors que le département de recherche, plus éloigné de ces considérations dénoncera la démarche et mutera l’agent plutôt que d’instruire une formation du collectif sur la communication.
L’accord-cadre 2013 de prévention des risques psycho-sociaux n’est pas voué à disparaître…
Pourtant l’accord-cadre 2013 de prévention des risques psycho-sociaux n’est pas facultatif, il devrait se décliner partout dans la Fonction publique, il reste plus que jamais d’actualité…
Répondre aux signaux envoyés par les agents.
Enfin, du point de vue de l’attention que nous nous devons de porter aux personnes sur les lieux de travail, il nous semble urgent de répondre aux signaux envoyés par les agents, à la peur des agents qui vont exprimer un malaise et évoquer une situation mais ne souhaiterons pas aller plus loin, par exemple vers un recours hiérarchique ou juridique. Comment répondre à un déficit de confiance de la part des agents vis à vis des établissements voire des professionnels de la santé vis à vis de leurs intentions ou de leur capacité à répondre à leurs souffrances.
Le système mis en place peut même parfois conduire les agents à douter de la possibilité pour les instances de dialogue social et donc des militant.es ou des préventeurs d’avoir une action quelconque.
Lutter contre les violences sexuelles et sexistes au travail
La loi du 6 août 2019 comporte un volet sur la lutte contre les violences sexuelles et sexiste en relation avec le plan sur l’égalité professionnelle : il sera opportun de se saisir de ces textes et mettre en place une véritable prévention de ce volet des risques psycho-sociaux pour lesquels les établissements peinent à mettre en place des actions.
Il conviendra également d’accompagner les agents, avec souvent des actions judiciaires pour lesquelles les représentant.es du personnel ne sont pas forcément préparés : par exemple en envisageant des formations dédiées.
Le mur des congédiés
C’est ainsi qu’à l’université Sorbonne-nouvelle, devant une situation tendue, littéralement enkystée et sans perspective, des militantes et militants de la section Sgen-CFDT ont mis en place un espace d’échange et ont pu recueillir une série impressionnante de témoignages qui ont été traduits en situations de travail portées à la connaissance de toutes et de tous, dans le respect des personnes et de la loi, via un padlet que les agents peuvent consulter et enrichir.
D’autres organisations syndicales représentatives ont décidé de participer à cet espace pour former une intersyndicale.
Sans volonté de la part de la direction de l’établissement et devant une situation dégradée en terme de dialogue social et d’écoute, s’est donc affirmé le besoin de sortir les griffes via ce mur des congédiés où les agents peuvent s’exprimer.
Pour la première fois, depuis cette initiative, des cadres et des directeurs d’Unité de Formation et de Recherche (UFR) et de services commencent également à s’exprimer sur ces situations qui génèrent malaises et souffrance au travail.
Cela s’appelle libérer la parole.
Libérer la parole : vers une démarche de qualité ?
Ailleurs et dans un autre registre, mais au départ pour répondre aux mêmes besoins en termes de santé au travail, à CentraleSupélec (Université Paris-Saclay), sous l’impulsion d’un audit puis d’interventions Sgen-CFDT y compris jusqu’au cabinet ministériel, un groupe de travail spécifique avait pu être activé en 2016 avec la coopération d’une psychologue du travail extérieure à l’établissement.
Un questionnaire précis avait été élaboré. Il a pu garantir aux participant·es la confidentialité car il est essentiel de protéger les personnes. Rempli en ligne, il pouvait être envoyé directement à la psychologue du travail, ou bien être déposé dans une urne sur les différents campus. Une permanence risques psycho-sociaux avait été mise en place pendant toute la durée de retour du questionnaire. Le taux de participation d’environ 45% a été suffisant pour traiter les retours et permettre une restitution dans les instances de l’établissement en décembre 2016. Puis auprès des personnels au début 2017.
Le diagnostic avait fait émerger de nombreuses préoccupations, parfois différentes d’un campus à l’autre, et fait apparaître une défiance importante des personnels vis à vis de la direction, ainsi qu’une dégradation de la qualité de vie au travail, associée à un sentiment de déclassement et à une perte de responsabilités.
« Ce travail, soulignait Marie-Christine, l’une des militantes Sgen-CFDT de l’établissement, a fait émerger la nécessité de se parler car on ne vit pas les choses de la même façon en fonction de son service, son campus ou sa situation professionnelle. Le questionnaire a permis de libérer la parole et, en juillet 2017, une cellule de veille sociale a été lancée. Des agents volontaires, capteurs, ont été formés pour écouter celles et ceux qui souhaitent s’exprimer davantage et les amener si besoin à activer la cellule de veille sociale. » Il est important pour vaincre les réticences de s’assurer de la qualité de la démarche : confidentialité, intervention de professionnels de la santé. Voir à ce sujet notre reportage.
Construire une culture commune de la prévention des risques psycho-sociaux
Diagnostiquer les souffrances en utilisant les documents et registres obligatoires (3), réussir à signaler des situations et à faire fonctionner le devoir d’alerte lorsqu’une situation de travail est manifestement dangereuse pour les personnes, trouver le moyen de libérer la parole, imposer une démarche de qualité, autant de pistes à décliner pour répondre à un enjeu qui reste très présent : réussir à prévenir les risques psycho-sociaux.
Il serait intéressant de disposer, de créer des procédures d’alerte protégeant les agents, comme par exemple en favorisant la dématérialisation des Registre santé et sécurité au travail (RSST).
C’est aussi obliger les établissements à reconnaître les situations où le travail rend malade.
Les accidents de travail en lien avec des RPS ont été identifiés comme seconde cause des arrêts de travail suivant une étude réalisée en 2019 (4).
Rappeler le rôle des préventeurs et proposer des temps de formation
Il sera important pour 2022 de rappeler le rôle des préventeurs et des professionnels de la santé, ce que sont des documents et registres obligatoires pour la santé au travail, de rappeler ce que sont des situations de RPS et quelles peuvent en être les causes.
A partir de ces éléments, il faudrait par exemple proposer à toute position d’encadrement des temps de formation associés à la prévention des risques psycho-sociaux , à l’égalité professionnelle et à la prise en compte des situations de handicap.
Suite à la réunion à la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) du 21/10/2021, la CFDT Fonction Publique a publié un article dans lequel elle écrit :
« Le respect de la réglementation par les employeurs reste un vrai sujet, qui ne sera pas épuisé par ce plan et qu’il faudra traiter. La CFDT rappelle que le rapport Lecocq-Cotton-Verdier du 18/09/2019, à l’origine de ce premier plan santé au travail dans la Fonction publique, envisageait clairement la mise en œuvre de mesures contraignantes à l’endroit de employeurs pour les inciter à respecter leurs obligations en matière de santé et sécurité au travail. »
C’est pourquoi, afin d’enrichir cette réflexion au sein des équipes syndicales, nous souhaitons proposer au début 2022 à nos correspondant.es Sgen-CFDT des établissements de l’ESR un temps d’échange et de formation sur ces questions précises avec des retours d’expérience, un partage d’outils mais aussi un regard sur les nouvelles instances qui vont se mettre en place au lendemain des élections professionnelles de décembre 2022. A suivre…
N’hésitez pas à contacter les militantes et militants du Sgen-CFDT !
Notes :
(1) Les fonctions publiques remplaceront à partir de fin 2022 les Comités Techniques et CHSCT par des Comité Sociaux Administratifs et des Commissions Spécialisées Sécurité et Conditions de Travail (CSSCT) qui remplaceront les CHSCT et auront les mêmes missions (www.inrs.fr/demarche/cssct/ce-qu-il-faut-retenir.html)
(3) Registre santé et sécurité au travail (RSST), Document unique de prévention des risques professionnels (DUERP).
(4) Malakoff Médéric Humanis présente les résultats de son Étude Absentéisme 2019.