Les réfugiés ukrainiens sont quelques milliers à avoir pris le chemin de l'exil. Quelles sont les conditions d'accueil, d'intégration de ces populations ? Le numéro de rentrée de Profession Education leur a consacré trois témoignages.
Alors que commence le huitième mois de guerre suite à l’invasion d’une partie de l’Ukraine par les troupes russes, le Sgen-CFDT est allé à la rencontre de
, acteur majeur dans l’accueil de réfugiés. Entretien avec , directrice régionale France Horizon des Pays de Loire.L’invasion de l’Ukraine par la Russie a poussé une partie de la population à fuir les zones de combats.
La France a joué son rôle dès le début du conflit en accueillant des réfugié·e·s, 96 304 adultes et enfants au 8 juillet dernier, des réfugié·e·s ukrainien·ne·s qui bénéficient d’une protection temporaire et d’une allocation pour demandeur·se d’asile (ADA). France Horizon s’est mobilisé dès les premiers jours de la guerre. Sur les 1 588 hébergements d’urgence ouverts depuis le 1er mars 2022, 519 sont toujours actifs au 5 août.
Quel rôle joue
dans l’accueil des réfugiés ukrainiens ?L’association a été parmi les premières sollicitées en France. Les services de l’État ont contacté la délégation début mars pour savoir si nous pouvions héberger une vingtaine de personnes dans notre centre de la Pommeraye. Par solidarité, nous avons décidé d’accueillir davantage de réfugiés. Quelques jours plus tard, un premier bus de 63 personnes est arrivé…
Quelle a été votre action dans les premiers instants de leur arrivée ?
La mission de
est de proposer à ces familles un accompagnement social global, mais on ignorait si cet accompagnement allait durer – tout dépendait du conflit.Il fallait très vite évaluer l’état physique et psychologique de ces réfugiés, renouveler les traitements médicamenteux en urgence. On a réglé cela en moins de 24 heures
À leur arrivée, l’urgence, c’était la santé, du fait notamment du traumatisme de l’exode. L’agence régionale de santé (ARS) a fini par intervenir et nous avons été très épaulés par les services de l’État, notamment le préfet et le sous-préfet de Maine-et-Loire.
Il fallait très vite évaluer l’état physique et psychologique de ces réfugiés, renouveler les traitements médicamenteux en urgence. On a réglé cela en moins de 24 heures en travaillant tout le week-end après leur arrivée le vendredi soir. Il nous a fallu également en seulement quelques heures, gérer les autotests Covid et isoler les personnes positives. Le lundi matin, des infirmières du CHU d’Angers sont venues refaire les tests. L’urgence passée, on a décidé de laisser les réfugiés se poser.
Quel est le profil de ces personnes réfugiées ?
Ce sont principalement des femmes avec leurs enfants et parfois leurs animaux de compagnie, des personnes âgées et des étudiants étrangers, les hommes étant restés au pays pour combattre – mais même si elles étaient dans le même bus, les familles ne se connaissaient pas. Elles étaient volontaires pour partir mais elles n’ont pas choisi la destination…
Ce sont principalement des femmes avec leurs enfants et parfois leurs animaux de compagnie, des personnes âgées et des étudiant·e·s étranger·e·s
Peu étaient passées par des camps de transit. Lorsque les bus sont arrivés à Paris, elles ont été réparties partout dans l’Hexagone. Les premiers bus arrivés en France étaient pleins, les derniers le sont moins.
La plupart de ces familles n’avaient pas de ressources, aussi ont-elles été aidées financièrement par
, via des financements de l’État et des chèques services (une allocation de subsistance de 7 € par jour par adulte et de 4 € par enfant) en attendant qu’elles aient accès à l’ADA – même si elles ne souhaitaient pas demander l’asile.La solidarité a-t-elle fonctionné ?
La population et certaines entreprises ont aussi été très généreuses.
Spontanément, nous avons reçu énormément de dons de vêtements et sous-vêtements, de chaussures, de jouets, mais aussi des denrées via la Banque alimentaire. Les Restos du cœur ont également participé à cette solidarité. Des municipalités ont contribué à l’organisation, en partenariat avec les grandes surfaces : chacun pouvait donner aux caisses et les invendus pouvaient être donnés pour les réfugiés ukrainiens. La population et certaines entreprises ont aussi été très généreuses.
On peut espérer que tout ce qui a été distribué aux familles ukrainiennes les a aidées à mieux vivre leur exil. Cette mobilisation de tous les instants a été extraordinaire ! On a reçu des dons de produits d’hygiène ou, pour la rentrée scolaire, de quoi équiper les enfants (crayons, stylos…). L’afflux de dons a même fini par poser un problème de stockage – on a parfois dû en déléguer la gestion aux municipalités.
La solidarité s’essouffle un peu actuellement, compte tenu du problème de pouvoir d’achat, mais aussi parce que la guerre et l’accueil des réfugiés sont moins visibles : l’emballement médiatique des débuts est retombé.
Ces familles parlent-elles de la guerre ?
Au début, les adultes avaient besoin de raconter ce qui se passait dans leur pays. Comme les enfants étaient, quant à eux, plutôt fermés, on a mis en place des cellules psychologiques avec le centre médico-psychologique (CMP).
Un lien est maintenu avec les membres de la famille restés sur place, notamment les pères qui font la guerre, ceci via différentes applications et outils. Toutes les familles disposent d’un téléphone portable et le conseil départemental s’est mobilisé, d’une part, pour que des opérateurs fassent don de carte SIM, d’autre part, pour financer des tablettes afin de faciliter les échanges.
Un lien est maintenu avec les membres de la famille restés sur place, notamment les pères qui font la guerre
Petit à petit, on a moins entendu parler de la guerre, et les familles ont eu besoin de vivre l’instant présent et de s’intégrer en France.
Pour autant, on propose une prise en charge psychologique immédiate, notamment lorsque le père ou le mari a été tué. Outre les psychiatres et les CMP, on oriente également vers la permanence d’accès au soin et à la santé (Pass) du CHU d’Angers, qui accueille les personnes ne bénéficiant pas de couverture maladie, en particulier pour faire face à la détresse de certains.
Comment s’est passée la transition entre les sas collectifs et la mise à disposition de logements ?
Les premières structures d’accueil, les hébergements collectifs d’urgence, des sortes de « sas » d’acclimatation, devaient accueillir ces familles de façon provisoire, avant leur transfert dans des logements recensés par la préfecture auprès des bailleurs sociaux – des habitants ont eux aussi fait remonter les disponibilités d’appartements dans tout le Maine-et-Loire.
Début juin, les « sas » collectifs ont été démantelés petit à petit à mesure que des logements étaient attribués, parfois en zone rurale, du fait de la tension du logement à Angers et dans son agglomération. Certaines familles ont été déçues, car elles pensaient rester dans la commune où elles avaient d’abord été hébergées et ont parfois refusé ce départ, mais on leur a fait comprendre qu’elles n’avaient pas le choix.
continue d’accompagner socialement ces familles par des visites, notamment de travailleurs sociaux chargés de les épauler dans leur quotidien.Qu’en est-il de l’accès à un emploi de ces réfugiés ?
Les réfugiés ukrainiens, qui avaient d’emblée le droit de travailler, ont parfois pu être recrutés.
Certaines personnes sont diplômées, mais comme il n’y a pas d’équivalence de leurs diplômes en France, elles ont dû se résoudre à exercer un autre métier.
leur a mis à disposition les offres d’emploi disponibles via le réseau d’employeurs. Comme notre public était majoritairement composé de femmes, elles ont pu facilement accéder aux secteurs du maraichage, de l’aide aux personnes et de l’entretien de maison et de locaux professionnels.
Comment se passe la scolarité des élèves réfugiés ukrainiens ?
À leur arrivée, on les a laissés se reposer pendant un bon moment, ce qui a pu surprendre, notamment certains élus. Mais
C’était pour eux une première expérience d’intégration et de contact avec des jeunes de leur âge.
Notre objectif était de sécuriser au maximum l’accueil de ces familles et surtout des enfants.
Dans la mesure où les enfants n’allaient pas demeurer dans les sas collectifs, nous avons préféré attendre leur transfert vers un logement pérenne et ne pas les déraciner une nouvelle fois. Il ne faut pas oublier que ces enfants sont non francophones pour 98 % d’entre eux ! Notre objectif était de sécuriser au maximum l’accueil de ces familles et surtout des enfants. Dans des écoles, ils ont pu bénéficier très rapidement de l’aide des enseignants de français langue étrangère (FLE).
Les travailleurs sociaux ont accompagné les familles lors de l’inscription qui a pris, au maximum, 48 heures. Les mairies ont facilité les choses, tout comme les équipes scolaires.
Les choses ont été plus compliquées pour les adolescents au niveau collège. La temporalité scolaire n’étant pas la même en Ukraine et en France, beaucoup de collégiens et de lycéens ont donc continué à suivre en visio et à domicile les cours de professeurs ukrainiens, ceci pour préparer et passer leur examen à distance – mais sans doute ces collégiens et lycéens intègreront-ils les établissements scolaires français à la rentrée de septembre.
Comme il n’y a pas de places dans les crèches, l’accueil des moins de trois ans a été un peu plus compliqué à leur arrivée, mais la solidarité a fonctionné, les femmes qui ne travaillaient pas gardant les enfants de celles et ceux qui avaient un emploi. Et maintenant que les familles sont logées, elles doivent pouvoir bénéficier des structures locales d’accueil des enfants en bas âge.
Et la barrière de la langue ?
L’ukrainien est éloigné du français, mais
a fait le choix de ne pas lâcher les personnes tant qu’elles ne sont pas autonomes – d’où l’idée de les faire suivre par des travailleurs sociaux.la barrière de la langue et le manque d’équivalence des diplômes posent de vrais problèmes
Des collectifs se sont créés avec des traducteurs bénévoles ukrainiens qui interviennent à la demande des établissements scolaires. Les parents ukrainiens déjà implantés sont aussi venus en renfort et par solidarité ont donné un coup de main. Mais il est vrai que la barrière de la langue et le manque d’équivalence des diplômes posent de vrais problèmes : ces réfugiés ukrainiens étaient autonomes dans leur pays, ils n’avaient pas de problèmes de dépendance, n’étaient pas dans une situation de précarité…
Qu’en est-il des étudiants ukrainiens ?
Si les jeunes filles ukrainiennes de 18-20 ans sont souvent venues avec leur mère, la plupart des étudiants ukrainiens sont restés au pays pour combattre.
En fait, les étudiants arrivés en France sont, pour la plupart, des étudiants africains, rarement francophones, boursiers en Ukraine pour y suivre des études, notamment de médecine. Lorsqu’ils ont, eux aussi, fui les combats et sont arrivés en France, l’Europe a considéré qu’ils n’étaient exposés à aucun risque dans leur pays d’origine et les y a donc reconduits en attendant que l’Ukraine aille mieux et qu’ils puissent reprendre leur cursus universitaire. Mais la gestion de cette situation a été forcément compliquée.
Comment ces familles se projettent-elles sur la fin de cette guerre ?
Au départ, elles pensaient que ce n’était qu’une histoire de quelques semaines, un ou deux mois maximum, persuadées qu’elles étaient que l’Europe allait intervenir pour faire cesser les combats – ce qu’elle n’a pas fait.
Certains réfugiés ont commencé à développer des problèmes psychologiques lorsqu’ils ont compris que le conflit se prolongerait et qu’ils allaient devoir rester. On a ainsi mis en place des suivis pour ces personnes. Pour autant, et même si la guerre dure, la France ne les encourage pas à déposer une demande d’asile – pour l’heure, nous n’avons noté que deux demandes d’asile, la plupart des familles étant dans l’optique de rentrer un jour en Ukraine.
plus le temps passera, plus les demandes d’asile se multiplieront, ce qui est humain : les familles vont s’installer, vont trouver du travail, les enfants vont maîtriser la langue…
Les réfugiés ont actuellement une autorisation provisoire de séjour valable trois mois, et renouvelable, mais à
nous pensons que plus le temps passera, plus les demandes d’asile se multiplieront, ce qui est humain : les familles vont s’installer, vont trouver du travail, les enfants vont maîtriser la langue… Les dernières personnes qui ont quitté l’Ukraine ont fait le choix de rester dans des pays limitrophes, mais malgré tout, on est susceptible d’accueillir de nouveaux collectifs à l’avenir.Qu’en est-il des relations de ces réfugiés ukrainiens avec les Russes ?
Ces familles n’ont pas de haine particulière à l’encontre des Russes. On a pu en discuter facilement.
a ainsi travaillé avec des interprètes russes (les langues ukrainienne et russe sont très proches), et il n’y a pas eu d’animosité.C’est au niveau politique que cela se joue. Les familles que nous accompagnons ne comprennent pas ce que veut le président Poutine, ne comprennent pas pourquoi ce président est encore au pouvoir et peut agir ainsi avec les pleins pouvoirs. Ce n’est pas de la haine envers les Russes. Les familles russes qui étaient dans les centres d’accueil ont eu peur lorsque les Ukrainiens sont arrivés, mais au bout du compte, cela s’est très bien passé.
Cet entretien a paru dans le no 286 – Juillet-août-septembre 2022 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.