Témoignage d’Emmanuelle Savignac, anthropologue, professeure d’université à Paris 13, candidate au CSA de son établissement et secrétaire fédérale du Sgen-CFDT.
Un métier où l’enjeu est d’apprendre
On ne devient pas enseignante et chercheuse par hasard mais le plus souvent par vocation du fait de l’intérêt porté à ses objets de recherche. C’est un métier où l’enjeu est d’apprendre : apprendre à soi-même et apprendre aux autres.
La relation aux étudiant.es y est centrale avec un enjeu fort de mise au travail.
L’enjeu est que les processus d’analyse et de recherche les travaillent, littéralement. Qu’ils ne soient pas passifs face aux connaissances qui sont mises à leur disposition. On ne leur demande pas d’ingérer et de reproduire des modèles théoriques ou analytiques – même si on leur demande de les connaître – mais d’apprendre à les mobiliser et agencer, voire en fabriquer de nouveaux. L’idée est que, partant pour le monde de la recherche (elles et ils sont rares !) ou pour d’autres organisations de travail ils sachent formuler un problème, documenter un contexte, proposer une démarche d’analyse et dégager des pistes de solution. Il me semble que l’université essaie de tenir là quelque chose d’important. Pour moi, enseigner, faire de la recherche et accompagner, ça va ensemble.
Temps empêché et tensions
Mais c’est aussi un métier où le temps pour la recherche est de plus en plus empêché par la multiplication des attendus de suivi des étudiant.es, la gestion administrative, les investissements institutionnels si on veut peser un peu dans les politiques de l’établissement, la multiplication des documents visant à justifier son activité ou la permettre (on remplit parfois un document de 15 pages pour financer du café lors d’un colloque). Il faudrait pouvoir mettre bout à bout l’ensemble des sollicitations des enseignant.es chercheur.es à justifier leur activité pour voir à quel point cela empêche le travail de fond. Une majorité de collègues a un très fort ressenti d’empêchement de leur travail, avec le sentiment de s’éloigner peu à peu de ce qui les a conduit.es à choisir ce métier.
Précisons que nous évoluons dans un milieu très concurrentiel où, compte tenu de la qualité des dossiers lors des concours, on a un peu l’impression d’avoir gagné au loto quand on décroche un poste.
La raréfaction des postes crée de vraies tensions.
La raréfaction des postes crée de vraies tensions : au sein des composantes des établissements ou entre elles, avec des cas de souffrance avérée pour les doctorant.es et post-doctorant.es qui sont contraint.es à abandonner un projet de carrière après des études longues et un investissement fort.
Mon engagement au Sgen-CFDT : authenticité et conviction
Je me suis engagée au Sgen-CFDT du fait d’un dialogue social à Sorbonne nouvelle où j’ai été conduite, en tant que vice-présidente du personnel, à travailler régulièrement avec les organisations syndicales sur des dossiers épineux comme la déprécarisation des contractuels de l’université ou les risques psycho-sociaux. On m’avait proposé cette fonction car mes objets de recherche portaient sur le travail et ses transformations.
Je n’ai pas hésité une seconde.
J’y ai fait la rencontre de collègues investi.es dans des questions qui engageaient du collectif et pas seulement des enjeux personnels ou catégoriels, avec pour la plupart une vraie authenticité et conviction dans cette démarche. Par la suite, quand on m’a proposé de rejoindre le Sgen-CFDT avec qui j’avais pu établir de réelles relations de travail en obtenant des résultats concrets, je n’ai pas hésité une seconde.
Souffrances et violences au travail
Emploi des doctorant.es, amélioration des conditions de travail, obtention des moyens promis, simplification administrative, restauration d’une politique de la confiance et non du contrôle et de la justification, restauration d’une vraie autonomie sur les enjeux scientifiques et pédagogiques : la liste est longue de ce qu’il faut porter syndicalement pour demain.
Pour ma part je poursuis la réflexion au sein d’un groupe de collègues autour des souffrances et violences au travail.
Ce qui a donné lieu à un numéro de revue*, à un colloque et bientôt à un autre numéro de revue porté par mes collègues cette fois-ci. On espère bien poursuivre sur ce thème régulièrement laissé de côté puisque ce qui est demandé aux universitaires c’est de la performance et du contrôle. Autrement dit du silence sur ces questions-là.
Prenez contact avec les candidates et candidats du Sgen-CFDT !
* Référence : Violences et passions en milieu universitaire, sous la direction de Florence Giust-Desprairies et Emmanuelle Savignac, Nouvelle revue de psychosociologie, n°33, 2022/1, Erès.