Au moment où les nouvelles formations spécialisées santé, sécurité et conditions de travail (F3SCT) se mettent en place dans le cadre des CSA, les mandaté.es du Sgen-CFDT présentent quelques problématiques et priorités à envisager pour l'enseignement supérieur et la recherche publique.
Dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche, comme dans chaque champ professionnel et chaque communauté de travail, nous rencontrons des problématiques spécifiques en termes de santé, d’hygiène, de sécurité et de conditions de Travail qui sont traitées en « formation spécialisée ».
Formation spécialisée (F3SCT) pour quoi faire ?
La nouvelle formation spécialisée F3SCT qui se met en place et remplace les CHSCT depuis le 1er janvier 2023 va permettre aux militantes et militants mandatés d’attirer l’attention sur quelques-unes de ces problématiques et sur des facteurs qui contribuent fortement non seulement à la dégradation des conditions de travail mais également à une perte d’efficacité dans la réalisation de toutes les taches dans nos établissements comme dans l’accomplissement de nos cœurs de métiers. Alors même que les missions des agents sont au service de la société et que les enjeux sociétaux à relever sont immenses.
Gouvernance et restructuration des établissements : ne pas oublier la santé des agents
Fusion, Comue, associations, établissements expérimentaux… On a pu constater ces dernières années les bouleversements incessants, le plus souvent à marche forcée, parfois erratiques et sans dialogue réel avec les représentant.es des personnels, sans volet social, liées aux réformes successives et dont les conséquences sur les agents sont toujours présentes. Ces évolutions ont augmenté de fait les réorganisations des services. Du fait de la centralisation du pouvoir sur les équipes présidentielles, il a été régulièrement difficile voire empêché de les aborder en CHSCT. A présent, il semble qu’elles soient exclusivement de la compétence du CSA (Comité social d’administration, remplace le Comité technique (CT) au 01/01/2023), ce qui contraint à une attention accrue au lien qu’il y aura à construire avec les questions de santé et de bien-être au travail. Les process sont donc à expliciter, fluidifier et renforcer.
Emploi et fonctionnement des établissements
Nous assistons à une précarisation des personnels de plus en plus importante avec un phénomène de turn over, en particulier sur les fonctions support, ce qui entraîne une perte de compétences au sein des services et une perte de mémoire sur les dossiers. Ce turn over favorise le recrutement de personnels non familiarisés ni socialisés à l’ESR et aux spécificités de celui-ci.
Outre cette précarisation des personnels qui génère une instabilité des process de travail et de la capitalisation des connaissances, on observe une déspécialisation des fonctions auparavant distinctes entre compétences administratives et compétences d’enseignement et de recherche et de technique, les deux étant auparavant pensées comme complémentaires et non concurrentes.
Du fait de l’accroissement des tâches de gestion (bilans Ressources Humaines, financiers, recrutement, logistique…) sur les personnels enseignants, enseignants-chercheurs, chercheurs et ingénieurs/techniciens et aussi d’une centralisation des fonctions supports qui entretiennent de moins en moins un rapport de travail direct avec les personnels enseignants et les exigences métier, les conflits sont accrus qui ne peuvent être raisonnablement compensées par des formations « rustine » à la gestion administrative, et financière, à la gestion des ressources humaines, à la gestion des conflits, « au management »…
Une gestion décorrélée des contraintes du réel du travail – et aux procédures sans cesse changeantes liées aux réformes et au turn over – prend le pas sur les finalités de métier (enseignement et recherche) et une rationalisation descendante empêche la réflexion et l’arbitrage sur les objectifs métier et sur la qualité.
Une gestion décorrélée des contraintes du réel du travail et des outils de gestion imposés sans discussion.
Les outils de gestion sont imposés par l’administration sans discussion (ni temps pour celle-ci) avec les personnels enseignants, chercheurs et ITRF/ITA des fonctions soutien en charge de leur renseignement ni mêmes avec les agents des fonctions support de proximité en charge de les mettre en œuvre. On constate ainsi des attendus de justification administrative et gestionnaire imposés aux personnels enseignants, chercheurs et ITRF/ITA des fonctions soutien sans que ceux-ci en perçoivent la pertinence et la finalité ni ne puissent la discuter ou co-construire. Il y a ainsi absence d’analyse partagée des besoins.
Les outils mobilisés contraignent à une analyse quantitative et morcelée qui nuit à l’analyse qualitative et globale du système étudié.
En outre, la multiplication des tâches attendues des enseignants-chercheurs, chercheurs et ITRF/ITA génère un travail morcelé et un vécu d’empêchement du métier, générateur de conflits, stratégies d’évitement, asymétrie des prises en charge collectives.
Une complexité administrative et réglementaire croissantes ainsi qu’à une course infernale à l’excellence et à la recherche de subventions.
Recherche publique
Du côté du fonctionnement des établissements nous assistons à une complexité administrative et réglementaire croissantes ainsi qu’à une course infernale à l’excellence et à la recherche de subventions. Ceci renforce une mise en concurrence des établissements et des composantes. Il n’est pas nouveau de constater que la recherche publique devient de façon de plus en plus marquée un lieu où il faut aller à la recherche de financements pour mener à bien des projets, pour travailler en quelque sorte. Cela renforce le vécu de transformation du métier puisque les personnels enseignants et chercheurs deviennent pour leurs recherches – subordonnées au temps court et à l’affectation de moyens y compris les plus minimes pour lesquels les attributions pourraient être facilitées – entrepreneurs d’eux-mêmes. La Loi sur la Programmation de la Recherche (LPR) a amplifié encore cet état de fait, durcissant encore plus la compétition entre équipes, entre chercheurs pour obtenir le financement des travaux de recherche. Cela génère aussi, ajouté à la précarisation, une interrogation de plus en plus prégnante des étudiants à vouloir s’engager dans un doctorat.
Des réformes en cascade : des équipes fragilisées
Prenons l’exemple remarquable à tous points de vue des Inspé (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation) : le statut particulier de ces composantes universitaires et les incessantes réformes de la formation et du recrutement des enseignants depuis une dizaine d’années ont fragilisé les équipes et détérioré les conditions de travail et d’étude des personnels et des étudiants. La lassitude et l’épuisement des équipes sont préoccupants, et rien ne garantit pour les années à venir de meilleures perspectives.
Prévention des risques psycho-sociaux (RPS), un enjeu majeur de la formation spécialisée
Il y a trop souvent un déni de ces situations par les tutelles qui choisissent de rester sourdes aux signaux bas bruit.
La prévention des RPS liés au contexte et à l’évolution de l’ESR qui viennent d’être précisées doit être une priorité : nombre d’agents ou de collectifs sont en souffrance dans de très nombreux établissements, ces constats sont documentés par des enquêtes. Il y a trop souvent un déni de ces situations par les tutelles qui choisissent de rester sourdes aux signaux bas bruit, mais aussi une absence de réponses concrètes et convaincantes en termes de prévention à la suite d’un diagnostic validé par une enquête ou un rapport. La prévention des RPS, que ce soit au niveau du collectif, de l’individu ou des situations de crise est souvent mal maîtrisée par manque de sensibilisation, de formation ou de moyens voire parfois de volonté. Les situations peu ou pas traitées s’enveniment et s’enkystent, nuisent à la production pédagogique et de recherche. Il y a enfin une réelle difficulté pour les personnes à faire prendre en compte médicalement (via une imputabilité au service) un état de santé dégradé d’agents qui sont en souffrance. Ce phénomène est amplifié par le fait que le médecin de prévention est de fait en situation de dépendance par rapport à l’employeur public qui prend in fine les décisions après avis du comité médical.
Une lecture appauvrie des approches Qualité de vie au travail (QVT)
Le développement des approches de QVT (prévention primaire des RPS) et l’adhésion des établissements de l’ESR à ces dispositifs ne doit pas se substituer à une prévention efficiente des RPS en relation avec l’accord cadre de 2013. Le dispositif de signalement des actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes dans la fonction publique, institué par décret en 2020, peine à se mettre en place, les établissements ne se précipitent pas vers ce dispositif, ou s’en servent juste comme simple affichage, au détriment des agents en souffrance. La publication de l’arrêté du 28 juillet 2022 devrait aider les établissements à s’approprier ce dispositif, y compris en nommant comme référent.e pour chaque établissement un.e représentant.e du personnel mandaté en F3SCT.
On observe régulièrement une lecture appauvrie des thématiques de QVT engageant des aménagements « cosmétiques » de contexte (machines à café and co.) et non structurels sur, en particulier, la qualité du travail (sa nature, son sens, sa reconnaissance…).
Quels leviers et quelles formes de régulation ?
Les tutelles ne disposent d’aucune méthode objective pour détecter ces situations
Nous observons également un comportement des décideurs des établissements qui consiste à médicaliser et individualiser des problématiques qui sont essentiellement de l’ordre de l’organisation du travail et donc du collectif. Devant la multiplication des situations nocives pour la santé des personnels provoquée par les établissements peu sensibilisés à la prévention des RPS et qui « rendent malade » leurs personnels, les tutelles ne disposent d’aucune méthode objective pour détecter ces situations et d’aucun levier pour inciter ces établissements à agir pour la protection de la santé de leurs personnels. Les établissements soumis au code du travail sont plus en avance sur le sujet que ceux dépendants de la fonction publique d’État et il serait souhaitable de remédier rapidement à cet état des choses pour le bien des agents.
Dans le cas de désordres graves se pose en effet la question des leviers externes de régulation (les leviers internes étant limités par la présidentialisation des établissements et la majorité acquise dans les instances). Ceux-ci semblent très limités et en termes de moyen d’action et de sanction et en termes de temporalité de régulation.
Mobilité
La question de la mobilité est également un aspect central de la souffrance au travail. Certaines universités « cheptelisent » leurs effectifs au sein de leurs composantes (bénéficiant de supports de postes dont le nombre est sanctuarisé) ce qui ne laisse que peu d’échappatoires ou de zones de respiration aux collègues, notamment enseignants et chercheurs, en cas de conflit ou situation génératrice de souffrance. Ce phénomène se retrouve également dans les organismes de recherche au sein de leurs différentes structures (instituts, laboratoires…). Les Lignes de gestion (LDG) mobilité en vigueur dans les établissements de l’ESR (universités, organismes de recherche…) et les campagnes de mobilité interne sont trop souvent mises en avant par les ressources humaines pour différer l’exfiltration d’un agent en souffrance dans son collectif de travail. L’agent enchaîne des arrêts maladie à répétition en attendant une éventuelle possibilité d’avoir une nouvelle affectation à une prochaine campagne de mobilité. Cette situation ne semble pas poser problème à son employeur, tout en en niant l’imputabilité au service !
Une meilleure circulation des personnels au sein de l’établissement atténuerait nombre de situations problématiques.
En forme de conclusion provisoire
Il est à la fois urgent et indispensable que toutes ces problématiques soient prises en compte, analysées et corrigées. La formation spécialisée, quelle soit ministérielle, d’établissement, nationale et locale pour les établissements nationaux, doit être partie prenante et actrice pour tous ces enjeux.