Terra Academia (TA) a pour objectif d’étudier l’évolution des besoins en matière de compétences et de métiers, à l’échelle locale et nationale. TA veut créer, développer, rendre plus attractives les filières de formation consacrées à la transformation écologique.
TA, née sous l’impulsion du groupe VEOLIA…
Terra Academia, Kezako ?
Terra Academia (TA), peut-être en avez-vous ,entendu parler ? TA: association loi 1901 créée le 27 juillet 2023, à l’initiative de la société VEOLIA. Jean Michel BLANQUER préside son conseil d’administration (ex ministre de l’Éducation nationale). Classée dans la catégorie des clubs et cercles de réflexion, VEOLIA présente cette association comme une école et un accélérateur des compétences et des métiers nécessaires à la transformation écologique. Selon son président, Terra Acadomia dispensera des formations « sur mesure ». Dédiées à la transition écologique des territoires, leur objectif vise à dépasser le modèle « d’une école classique » dispensant des cours sur une année scolaire. Le projet promet :
- des parcours en formation initiale pour les jeunes,
- mais aussi des cursus en formation continue pour les moins jeunes,
- des parcours dits de « sensibilisation », non diplômants.
TA s’est dotée d’un conseil scientifique, dirigé par l’actuelle directrice générale de l’Institut Agro (IA), et d’un responsable scientifique, académique et du développement durable ex-directeur de l’Institut Mines-Télécom Business School (l’école de management du groupe d’écoles d’ingénieurs Institut-Mines-Télécom). Le Conseil scientifique regroupe une coalition de personnalités politico – économiques – académiques, publiques ou parapubliques qui affichent l’ambition de construire des actions concrètes au service des territoires. En revanche, l’association ne dispose d’aucun enseignant : TA se chargera de l’ingénierie de formation, son offre de formation reposant sur des enseignants, chercheurs et professionnels vacataires.
Ceci explique pourquoi, après une campagne intense de communication dans la presse et les médias en ligne, TA commence à agréger auprès de VEOLIA d’autres membres fondateurs tels qu’EDF, DASSAULT SYSTEME ou ADEO, et développe activement des partenariats académiques de l’enseignement privé et public. Cela a amené à la création en mars 2024 de son premier « campus » non parisien sur le site de l’université d’Artois. C’est dans ce cadre que, dans ses instances du premier semestre 2024, la direction générale de l’IA (Institut Agro) a exprimé sa volonté que l’IA devienne au plus vite partenaire de TA, dans le cadre d’une convention cadre concernant ses 3 écoles internes (Montpellier, Dijon, Rennes-Angers).
Interrogations autour de Terra Academia
La perspective d’un partenariat entre l’IA et TA a suscité de grandes interrogations, craintes, voire oppositions des personnels et étudiants, qui ont été relayées via les élus aux différentes instances internes ainsi qu’à la tutelle (DGER-direction générale de l’enseignement et de la recherche), et ce dans une rare unité intersyndicale. De différentes natures, ces craintes dépassent le cas du seul IA car les messages véhiculés par ce type de projet nous semblent lourd de menaces pour l’avenir de l’enseignement supérieur agronomique et vétérinaire public.
Créé en 2022 en concertation avec le ministère de l’Agriculture et celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche, l’IA est un regroupement d’écoles publiques d’enseignement supérieur et de recherche agronomiques ayant précisément pour mission d’accompagner la transition agroécologique de l’agriculture, de l’alimentation, et des territoires ruraux. Son projet stratégique pose explicitement le rôle de l’institut dans l’accélération des transitions écologiques et sociétales, dans ses domaines de compétences. Un partenariat présenterait le risque de mettre l’Institut Agro en compétition d’image et de rôle avec Terra Academia.
Terra Academia, révélateur de la déconnection de ses promoteurs
La présentation de TA par ses fondateurs et promoteurs suscite aussi l’étonnement, si ce n’est l’exaspération, devant le fait que des personnalités politiques et fonctionnaires de premier rang, sensées bien connaitre l’enseignement enseignement supérieur, le présentent encore comme limité à des successions de cours/TP/TD sur une année… Comme nombre d’établissements du supérieur, l’IA n’a heureusement pas attendu TA pour développer les formations sur projets, continues à la carte, multi-acteurs, de contrats pro, par apprentissage ou dématérialisées, les ouvertures de modules à des auditeurs extérieurs, les sessions de formation pour et dans les entreprises, etc…
Présenter TA comme un modèle innovant en la matière, montre la déconnexion des décideurs face aux réalités des engagements des établissements publics d’enseignement et de recherche, et est ressenti par nombre de collègues comme une signe d’un certain mépris à leur égard associé à un discours promouvant l’idée selon laquelle le secteur privé serait, par essence, plus réactif, davantage conscient des réalités du monde et plus apte à la professionnalisation des formations que le secteur public, cela apparait malhonnête de discréditer ainsi l’enseignement public aux yeux des professionnels comme des citoyens et étudiants. Enfin, un partenariat de TA avec les établissements publics apparait pour le moins acrobatique, car c’est bien au sein de cet « écosystème inadapté » que TA souhaite trouver des partenaires et vacataires pour mener ses formations.
Et aussi là se trouve un autre malaise : un partenariat avec TA se traduira obligatoirement par un surcroit de charge de travail pour la communauté éducative de l’IA, puisque toute développement d’activité de formation pour TA dans notre domaine serait assuré par les personnels de l’IA. Or l’activité d’enseignement des enseignants-chercheurs présente déjà une surcharge conséquente dans le cadre de leur mission de formation initiale et continue .
Nos écoles n’ont pas attendu Terra Academia pour agir
Les promoteurs du partenariat mettent en avant que le développement de nouvelles activités avec TA faciliterait l’accès de l’IA à des financements complémentaires conséquents (Agence nationale de la recherche , France 2030 etc.), Or même si c’était le cas, ces financements ne sauraient donner lieu au renforcement pérenne des moyens humains faisant cruellement défaut pour assurer, dans des conditions déjà dégradées au fil des ans, le cœur de notre métier : la formation des ingénieurs agronomes, en alimentation, horticoles et du paysage.
Un partenariat avec TA décuplerait-il l’accès à financements de thèses de doctorat au service de l’indispensable activité de recherche de nos écoles ?
Là encore, celles-ci n’ont pas attendu TA pour construire des projets nationaux ou européens avec des partenaires privés sur des thématiques finalisées. Nos écoles doctorales hébergent des bourses sur contrat d’entreprises ou en dispositif CIFRE, et le crédit impôt recherche est largement mis en œuvre au profit de projets de recherche associant nos laboratoires à des entreprises privées (pour certaines déjà fondatrices de TA). Notre fondation d’établissement gère efficacement ces démarches qu’elle encourage, et qui passent par des contrats clairs quant aux bénéfices retirés des différentes parties. Quelle garantie de liberté académique aurions-nous dans le cadre d’un tel partenariat ? Nos questions à ce sujet restent sans réponse précise à ce jour.
Mesure-t-on le risque, pour nos établissements d’enseignement supérieur et de recherche publique, en termes d’image auprès des citoyens, mais aussi d’attractivité auprès des jeunes, qui précisément ambitionnent de se former aux transitions écologiques. Mesure-t-on le risque de perte d’indépendance et donc de crédibilité qu’un tel partenariat privilégié avec un consortium d’entreprises, susceptible de s’élargir sans notre accord à de nouveaux fondateurs dont l’activité serait controversée du point de vue environnemental, climatique, sociétal ou géopolitique, nous ferais courir ?
Terra Academia : solution ou problème ?
Les promoteurs du projet mettent en avant qu’un partenariat avec TA ouvrirait l’IA à un consortium d’acteurs de divers domaines professionnels, pour certains non traditionnels pour nous, (énergie, retraitement, environnement, automobile/transport etc..) ce qui ouvrirait plus d’opportunités d’emploi à nos étudiants dans les métiers de la transition écologique en manque de main d’œuvre. Nous vendre cette idée c’est ignorer qu’au sein de nos écoles d’ingénieurs, l’analyse multi-acteurs/filières et les actions multi-échelles sont déjà au cœur des réformes des formations et que nos établissements font depuis longtemps la part belle aux acteurs professionnels en tant que parties prenantes des formations ou du pilotage (conseil d’administration) des établissements. Compte-tenu de nos ressources humaines limitées, nous ne voyons pas en quoi un partenariat avec TA nous permettrait d’élargir réellement nos domaines d’intervention.
De plus, s’il est avéré que les transitions écologiques des territoires passeront par la montée en compétences des étudiants de niveau technique à bac+2/3, nous observons que nos étudiant.es ingénieur.es des filières agronomiques se placent aujourd’hui d’eux-mêmes, en fonction de leurs aspirations et des besoins des secteurs professionnels, dans une grande variété d’entreprises (ou autres structures), de filières et de domaines.
Par essence, en construisant leurs cursus sur l’analyse des systèmes qui caractérisent les domaines du vivant, nos écoles inscrivent leurs formations dans l’acquisition des compétences nécessaires pour apporter des réponses aux enjeux posés par le dérèglement climatique, la perte de biodiversité et la sécurité alimentaire et la montée des inégalités sociales, et conduire des démarches de transition agroécologique, à la lumière des recherches menées dans de nombreux domaines. Pour progresser encore avec cette ambition, le facteur limitant n’est pas un manque de réseau professionnel : il est clairement au niveau des plafonds d’emploi de nos établissements publics.
Le Sup a besoin de plus de moyens, pas de Terra Academia
Un partenariat avec TA permettrait-il à l’IA d’être plus impactant en répondant mieux aux demandes de formation sur nos territoires ? Nos différents campus travaillent d’ores et déjà avec leurs acteurs de leurs territoires respectifs, autant de « terrains de jeux », plus ou moins spécifiques à chacune des écoles qui compose l’IA, parfaitement adaptés à la réalisation des projets d’étudiants, des évènements thématiques, voire de formation continue.
Pour autant, l’IA, comme les autres établissements d’enseignement supérieur agronomique publics, sont des opérateurs à vocation nationale, et membres d’alliances universitaires internationales ; à ce titre ils n’ont absolument pas à s’afficher comme des « campus de territoire » ni à privilégier la formation au profit des acteurs de ces territoires : leurs formations doivent être au service des acteurs du pays entier, de l’Europe et du monde.
Enfin, comment se positionnerait un partenariat privilégié avec TA vis-à-vis des entreprises engagées dans la Fondation de l’IA, présenté depuis sa création comme le projet structurant le mieux adapté au développement de projets de partenariats équilibrés et très ouverts avec le secteur privé, dans sa grande diversité ? Pourquoi passer par TA pour développer des projets avec les entreprises qui souhaiteraient effectivement développer des projets de formation dans les territoires dans lesquels nous tissons déjà nos réseaux ? Pourquoi passer par l’adhésion à un nouvel organisme privé, aux formations lucratives, plutôt que d’investir dans des moyens renouvelés aux écoles et universités publiques pour développer ces activités ? Difficile de ne pas entrevoir un positionnement idéologique en faveur du privé, et au détriment du public dans une telle opération.
Opération de com en vue
Alors, que peut donc justifier une telle priorité à contractualiser avec TA ? L’ambition serait-t-elle à regarder du côté de la communication des entreprises fondatrices quant à l’ampleur financière de leur action au service des transitions écologiques des territoires plutôt que du côté de la pertinence et l’efficacité des investissements à conduire dans l’enseignement supérieur agronomique pour former aux transitions des territoires ? Le service public d’enseignement supérieur a-t-il vocation à entrer dans une dynamique au service d’entreprises à but lucratif ? Est-il pertinent de donner caution pédagogique et scientifique à TA, renforcer ainsi ses candidatures aux appels d’offre par exemple du programme d’investissement France 2030, et lui permettre in fine de récupérer des moyens publics au bénéfice des entreprises privées, tout en concurrençant les établissements et institutions de recherche publiques dans ces mêmes appels d’offre ?
Non habilitée à délivrer des diplômes, TA a aujourd’hui besoin de s’adosser à des établissements d’enseignement supérieur habilités. Toutefois la perspective de demander à terme une accréditation propre à délivrer des diplômes reconnus par l’Etat demeure. Ceci se traduirait par le droit à un soutien financier de l’Etat à l’image des nombreuses écoles privées qui fleurissent et développent leurs effectifs étudiants depuis une décennie dans le secteur agronomique et vétérinaire. Les enveloppes publiques étant à la baisse, cela signifie des budgets toujours plus contraints pour les établissements d’enseignement supérieur publics, indépendants et adossés à la recherche publique.
Rappelons que la récente création d’une école privée vétérinaire fut acté par le gouvernement malgré l’opposition unanime des acteurs du domaine public, qui préconisaient un accroissement des moyens des écoles publiques existantes. Au final, le système mis en place impose à nos écoles publiques de mettre à disposition de la nouvelle école vétérinaire privée une partie de ses moyens pédagogiques : ses hôpitaux et indirectement ses enseignants vus que, comme Terra Academia, l’école privée ne disposait pas d’enseignants titulaires à son ouverture. Ce montage s’avère constituer un moyen de faire financer une partie de la formation et de la recherche d’entités privées, ainsi que la sélection de ses futurs employés, par les fonds publics et au détriment de l’activité conduites par les établissements d’enseignement et de recherche publics.
Une initiative bâtie au seul bénéfice de ses fondateurs ?
Nous savons l’importance de travailler en bonne intelligence avec le secteur privé ; c’est clairement au bénéfice de l’ancrage professionnel de nos formations, de débouchés pour nos jeunes et d’aide au financement de nos travaux et formations. Nous associer avec le secteur privé ne nous pose pas de problème dès lors que nous choisissons nos partenaires et les actions mises en place, que l’indépendance, la vision de l’avenir de nos instituts sont respectées, et que les bénéfices directs et indirects de nos actions sont tangibles et justifiables auprès de nos étudiants, de leurs familles et des entreprises liées à nos domaines de compétences.
Au contraire, le projet Terra Academia nous semble construit avant tout au bénéfice des entreprises fondatrices, et contribuer à faire une nouvelle entaille dans le dispositif de formation supérieur public français, voué à une inexorable érosion si nous n’y mettons pas fin. Cela contribue à une perte de moyens, d’image et d’attractivité accélérée de nos établissements, au profit du développement de l’enseignement privé couteux pour les usagers et inégalitaire pour nos jeunes et leurs familles, axé sur des « solutions et actions » dictées par l’aval et organisées par des experts, au mépris de l’indépendance statutaire des enseignants-chercheurs. Dans un contexte marqué par des besoins d’investissements publics majeurs pour mener les transitions écologiques et climatiques de façon juste et plus égalitaires, refusons l’érosion progressive des moyens de nos établissements publics, et battons-nous contre les tentatives de reprise en main du secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche par les intérêts privés.
Article rédigé par les élu.es CFDT Education Formation Recherche Publiques au CNESERAAV. Pour nous contacter, cliquez ici.