Violences sexistes et sexuelles au travail : que faut-il savoir des obligations de l'employeur ? comment agir quand on est victime ou témoin ? qu'en est-il du respect des droits de la personne mise en cause ? en tant qu'agent·e, que doit apporter la formation sur ce sujet ?

Pour répondre à ces questions sur les violences sexistes et sexuelles au travail (VSST), nous avons sollicité
qui, en tant que juriste, spécialiste des discriminations et des VSST, intervient comme experte auprès de la CFDT.Corapporteure de l’étude « Le sexisme dans le monde du travail. Entre déni et réalité » (cf. Ressources complémentaires ci-dessous),
, au sein du cabinet conseil Æquality qu’elle a fondé, a l’expérience de la conduite d’enquêtes internes menées sur des questions de harcèlement, de discrimination en milieu professionnel.Un extrait de cet entretien a paru dans le dossier « Égalité professionnelle femmes-hommes. Que prévoit le nouveau plan national d’action ? », Profession Éducation, no 299 de Janvier-février-mars 2025.
Quels sont les principaux freins au développement des carrières des femmes dans la fonction publique ?
Ils découlent d’abord des choix d’orientations scolaire et professionnelle qui en partie sont fondés sur des stéréotypes : orienter davantage les garçons en filières technique ou scientifique et les filles en filières littéraire ou sociale joue sur la ségrégation professionnelle, laquelle va aussi expliquer les écarts de carrière et de rémunération.
La maternité reste un frein central et toujours sous-estimé : les différences de carrière varient considérablement du premier au troisième enfant, ce qui pose notamment la question des structures publiques d’accueil de la petite enfance, aujourd’hui en recul.
Ensuite, la difficulté à évoluer professionnellement – l’effet « plafond de verre » – est consécutive à certaines pratiques d’évaluation : la fonction publique tend à se rapprocher du système individuel d’appréciation de la performance qui comprend nombre de biais sexistes.
Les écarts de rémunération entre les femmes et les hommes s’accroissent ainsi tout au long de la carrière. Les conditions de travail pèsent également sur l’évolution professionnelle et sur la capacité à mener une carrière complète, la pénibilité du travail des femmes étant complètement invisibilisée. D’autres facteurs désavantagent les femmes : le mode de rémunérations ou l’absence de transparence salariale avec les primes et les heures supplémentaires ; les statuts avec une forte augmentation des emplois contractuels ; la part considérable de temps partiels… Enfin les grilles de classifications comportent des biais sexistes qui entrainent une sous-évaluation des emplois à prédominance féminine en termes de rémunération et d’évolution de carrière. Évidemment, les violences sexistes et sexuelles au travail participent aussi aux écarts de carrière entre femmes et hommes.
Y a-t-il une évolution des mentalités concernant les violences sexistes et sexuelles au travail ?
les femmes restent bien plus exposées
Malgré les efforts de prévention et de lutte contre ces violences, les femmes restent bien plus exposées que les hommes : de manière indirecte, l’énergie dépensée à se protéger contre des représentations sexistes, et donc à devoir toujours plus faire leurs preuves, va avoir des incidences sur leur santé, leur investissement et leur motivation au travail ; et de manière directe, si les situations ne sont pas traitées rapidement et correctement, les victimes vont souvent quitter leur emploi, perdant l’opportunité de progresser et de capitaliser sur l’expérience acquise professionnellement.
Ces violences restent d’autant plus importantes qu’il y a des risques nouveaux et des régressions liés en particulier à la consommation de pornographie de plus en plus tôt via les réseaux sociaux et les téléphones mobiles. Alors que l’on parle de consentement, de réciprocité et d’égalité réelle, une culture viriliste se forge en parallèle, produisant des effets de backlash et des postures de forte résistance.
Le corpus juridique pour combattre les violences sexistes et sexuelles au travail est-il suffisant ?
Notre corpus juridique est solide. La question est celle de sa mise en œuvre et de la véritable prise en compte des VSST, notamment dans la prévention des risques.
La circulaire du 11 juin 2024 rappelle qu’en matière d’obligations de santé et de sécurité, l’employeur public est soumis au Code du travail, et les principes généraux de prévention énoncés comprennent les risques liés aux harcèlements moral et sexuel et aux agissements sexistes.
Du côté des procédures, les administrations doivent mettre en place un dispositif de recueil et de traitement des signalements d’actes de violence, de discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes.
Un décret de 2020 indique à quoi doit ressembler ce dispositif. Quand on compare les arrêtés émis par ministère entre 2021 et 2024, certains ont trois pages, d’autres en comptent quinze. Parfois, il n’y a pas d’arrêté. On constate aussi une grande disparité des mises en œuvre du dispositif d’un ministère à l’autre, avec l’emploi de terminologies différentes (ici, on parle de « diagnostic », là d’« enquête interne»…) et au final une grande variabilité en matière de transparence concernant les étapes du dispositif, depuis le signalement jusqu’à l’éventuelle sanction disciplinaire. Pour une victime de VSS, ce flou est particulièrement insécurisant !
on constate […] une grande variabilité en matière de transparence concernant les étapes du dispositif
Aussi le décret devrait être amélioré. Il faudrait une coordination entre les ministères des personnes qui ont à traiter ces sujets et une évaluation de la mise en œuvre et de l’efficacité des dispositifs. De manière générale, il y a peu d’études sur la prise en charge des VSST. En 2014, un sondage Ifop pour le Défenseur des droits montrait que la majorité des victimes ne signalaient pas les situations subies par peur des représailles. Après #MeToo, après l’adoption des textes cités, il serait utile de savoir où on en est…
Quelle est la place de la formation ?
Elle est essentielle pour créer une culture partagée à tous les niveaux d’intervention : de la prévention à la possible sanction, en passant par le traitement du signalement via la cellule d’écoute, l’accompagnement et la protection de la victime, la mise en œuvre de l’enquête administrative. Pour ce faire, elle doit concerner tou·te·s les agent·e·s, y compris l’autorité hiérarchique dont va dépendre la décision de convoquer la commission disciplinaire. Il faut donc savoir de quoi l’on parle (c’est quoi une VSS, quand y a-t-il VSS, que fait-on quand on est victime, témoin…) ; comment doit agir l’employeur, selon quels principes, quels moyens (obligations de santé et de sécurité, quel dispositif mis en place, avec qui, quelles compétences, quelle méthodologie d’investigation, quelles étapes…). En ce sens, la récente Décision-cadre sur l’enquête en matière de harcèlement sexuel du Défenseur des droits est très utile.
La formation, idéalement, doit faire évoluer les mentalités, inciter les gens à se questionner, se remettre en question ou remettre en question des idées reçues.
Surtout, elle doit être de nature juridique : partir des définitions légales, interroger la terminologie et les tournures juridiques utilisées ; expliciter la distinction par exemple entre droit administratif, obligations du fonctionnaire, code pénal, entre sanctions pénale et disciplinaire ; s’appuyer sur les décisions du tribunal administratif ou du Conseil d’État pour des cas précis… tout cela permet de construire une culture juridique et d’éviter les débats de comptoir – « on peut plus rien dire », « c’était pour rire », « maintenant, on va vivre dans une société aseptisée », voilà des arguments auxquels sont confrontés les juges et il est pertinent d’analyser leurs réponses.
le droit pénal […] n’est pas celui qu’applique l’employeur
Mais en matière de formation sur les VSS au travail, il n’y a pas à s’appesantir sur le droit pénal car ce n’est pas celui qu’applique l’employeur. Il est indispensable aussi de faire tomber des préjugés tels « seul le juge pénal est apte à trancher si une personne est coupable », « le présumé coupable a droit à la présomption d’innocence », « c’est la parole de la victime contre celle du mis en cause »… Il faut clarifier les logiques et les rôles : l’employeur examine s’il y a une faute professionnelle, un manquement aux obligations du fonctionnaire. Il est seul habilité à prendre une sanction disciplinaire, qui peut aller jusqu’à la révocation. Parce qu’il y a indépendance des procédures, il est dans son rôle quand il diligente une enquête administrative, quand il décide d’une mesure conservatoire de suspension à l’encontre d’un agent mis en cause, quand il convoque une commission disciplinaire. La présomption d’innocence, notion pénale, n’est pas bafouée. Ni non plus le principe du contradictoire, c’est-à-dire la possibilité pour la personne mise en cause de donner sa version des faits – lequel intervient lors de la commission disciplinaire, mais n’est pas obligatoire durant l’enquête administrative. Bien sûr, dans le cas où la sanction semble injuste à la personne incriminée, elle est en droit de saisir le tribunal administratif.