Le ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative a présenté de manière unilatérale, à l’Assemblée nationale puis dans des communications médiatiques le dispositif 2S2C, mettant les communes, les personnels de l’Éducation nationale devant le fait accompli.
Le jeudi 4 juin, il a choisi, avec la ministre des Sports, la commune de Vincennes pour louer le dispositif et sa mise en œuvre.
Petit billet d’humeur sur ce moment de communication politique.
D’où j’écris ?
Dans ce billet d’humeur, je vais articuler plusieurs points de vue :
- parent d’élèves qui ont été scolarisés dans l’école jumelle de celle qui était visitée, d’enfants qui ont apprécié les centres de loisirs et les ateliers municipaux proposés,
- militante syndicale CFDT dans le département lors de la mise en œuvre de la réforme des rythmes scolaires en 2013, avec des travaux communs avec Interco-CFDT Val-De-Marne,
- et aujourd’hui responsable nationale d’une fédération de syndicats rassemblant les personnels de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports.
Ces différentes casquettes me permettent de penser, sans caricature ni esprit de polémique, que l’exemple vincennois n’est pas réplicable facilement partout. Ce n’est pas parce que c’est possible ici, que c’est (facilement) possible partout. Un exemple, aussi réussi soit-il, ne dit pas tout le réel. Il ne s’agit pas de dire que les ministres n’auraient pas dû visiter cette belle école, qui a fêté récemment son centenaire, ni y louer le travail des personnels de l’Éducation nationale et des personnels municipaux qui enseignent, animent, accompagnent au quotidien les enfants.
L’exemple vincennois n’est pas réplicable facile-ment partout. Ce qui y est possible vient de loin…
Il s’agit de rappeler que ce qui est possible ici vient de loin, suppose un patrimoine bien particulier et que ce sont surtout les conditions de possibilité qu’il faut écouter, observer pour se demander comment permettre à d’autres acteurs ailleurs de faire ce qu’ils peuvent pour développer une offre périscolaire et extra-scolaire de qualité, source d’épanouissement et d’émancipation des enfants, qui respecte les spécificités des différents temps, la professionnalité des différents métiers.
Je ne reviens pas ici sur des critiques déjà exprimées par le Sgen-CFDT sur le dispositif 2S2C, et qui valent aussi pour les enseignements artistiques (éducation musicale et arts plastiques).
Un territoire éducatif riche
Vincennes est une ville avec depuis longtemps le plus fort taux de couple à deux actifs du Val-De-Marne, quel que soit le nombre d’enfants dans le ménage. Cela n’est pas dû au hasard mais à l’histoire politique et patrimoniale publique de la commune.
Une part importante du budget municipal consacrée aux politiques éducatives…
Le choix y a été fait de consacrer une part importante du budget aux politiques éducatives pour les enfants, dès le plus jeune âge, et les jeunes : crèches municipales en nombre, centre de loisirs dans chacune des écoles avec à chaque fois des horaires étendus et jamais le moindre reproche à des parents qui auraient besoin de déposer tôt et de venir chercher tard leurs enfants. C’est possible grâce à un patrimoine immobilier maintenu, entretenu, agrandi : des écoles centenaires, d’autres plus récentes, toutes conçues pour permettre des espaces pour les centres de loisirs.
Un patrimoine immobilier maintenu, entretenu, agrandi…
Il faut compter aussi avec les nombreux gymnases. Pour ne citer que l’école visitée par les ministres, elle dispose de son propre gymnase rénové à neuf l’été dernier, et à moins de 300 mètres, un autre gymnase municipal avec piste d’athlétisme est disponible.
Cette école a une école jumelle. Les deux rassemblent 600 enfants (déjà un beau collège). Elles forment un groupe scolaire dans un bâtiment Troisième République qui abrite outre les salles de classe :
- une cantine,
- deux cours de récréation,
- deux préaux extérieurs,
- deux salles polyvalentes de grande capacité,
- des sanitaires nombreux,
- des lavabos à chaque étage,
- un évier dans quasi toutes les salles de classe,
- deux escaliers par couloirs,
- deux entrées,
- une infirmerie,
- de nombreuses salles visitées par les ministres permettent, sans jamais utiliser une salle de classe, d’avoir un centre de loisirs qui ne ferme guère que deux semaines en août à la faveur des regroupements d’ALSH,
- un espace jeunes.
Les espaces du centre de loisirs ont des installations spécialisées : danse, théâtre, poterie…
Il y a les lieux, un patrimoine ancien, et entretenu, conservé même lorsque la commune était vieillissante. Ce maintien est un choix politique possible plus facilement dans une commune qui est aussi riche économiquement.
Des ressources humaines…
Mais il y a aussi les ressources humaines. Deux grosses écoles avec chacune un directeur ou une directrice déchargé.e de classe, et des enseignant.e.s assez stables côté Éducation nationale. Des directeurs et directrices, animateurs et animatrices de centre de loisirs, un agent d’accueil, une assistante sanitaire, des personnels de cantine employé.e.s par la mairie. Et à leurs côtés, des intervenant.e.s en arts et en sports sont régulièrement sollicités pour intervenir en classe et dans le centre de loisirs dans un travail régulier entre tous ces professionnel.le.s de l’éducation (enseignement et animation).
Tout cela facilite le respect du protocole sanitaire dans le cadre scolaire, l’accueil en même temps dans le cadre périscolaire des enfants pour des activités de loisirs, physiques et sportives, artistiques et évidemment y injecter du civisme, car, enfin, les animateurs et animatrices sont des éducateurs. Avec elles et eux, les enfants ne reçoivent pas un enseignement scolaire mais ils apprennent au cœur des activités qu’ils mènent, ils grandissent, ils se reposent, se dépensent… cette éducation parfois qualifiée de non formelle, cette éducation populaire, elle est complémentaire de l’éducation réalisée par l’Éducation nationale.
2S2C : la continuation un peu autrement d’un projet éducatif de territoire vivant…
Pour cette commune, la mise en œuvre du 2S2C n’est jamais que la continuation un peu autrement, dans une période complexe pour toutes et tous, d’un projet éducatif de territoire vivant. Vivant au point d’avoir fait le choix de rester à la semaine de 4 jours et demi parce que c’était la demande majoritaire des familles et parce que la mairie sans doute ne voulait pas se priver des compétences des animateurs et animatrices recrutés en 2012-2013. Opportunément le ministre de la semaine de 4 jours n’a pas noté toutes ces spécificités vincennoises. Ou en tous cas, cela n’a pas été mis en évidence médiatiquement.
Une commune n’est pas la France
Toutes les communes ne peuvent réaliser cela du jour au lendemain, sans appui financier, sans recruter des animateurs et animatrices (et cela ne s’improvise pas), sans accompagnement pour construire les projets éducatifs, l’articulation des temps et des professionnels, les recrutements, la formation…
Tenir compte des contraintes…
Comparons les budgets municipaux, certes les choix mais aussi les contraintes.
Tenons compte du marché du travail en tension dans le domaine de l’animation. En 2012-2013, les communes voisines qui avaient tardé à recruter des animateurs et animatrices (parfois par pure opposition politique au gouvernement d’alors) ont eu plus de mal à trouver du personnel pour organiser les TAP, les centres de loisirs.
Comparons les patrimoines scolaires et sportifs des communes. Non loin de Vincennes, je me souviens de cette militante directrice d’une école maternelle au cœur d’une ZUP. Il y avait là très peu d’espace pour le centre de loisirs. Il a fallu déployer des trésors d’organisation et de diplomatie pour trouver une forme de convention afin que le centre de loisirs puisse utiliser les salles de classe. Là, dans le contexte sanitaire que nous connaissons, il est très certainement impossible d’accueillir plus d’enfants que ceux qui peuvent l’être en classe avec un.e enseignant.e.
Non loin de Vincennes, je me souviens que le lycée dans lequel j’enseignais et la municipalité avaient une convention permettant d’utiliser les installations sportives du lycée pour des activités sportives de clubs municipaux même lorsque le lycée était fermé… parce que les équipements de la commune n’étaient pas suffisants.
Développer les temps périscolaires et extra-scolaire ne se décrète pas, il faut des alliances éducatives sur les territoires.
Le contexte sanitaire a imposé depuis le 11 mai 2020 un protocole pour rouvrir les écoles. Ce protocole, tout le monde le demandait pour rassurer les élèves, leurs familles, les personnels sur les conditions de reprise alors que dans plusieurs régions le virus du Covid19 circulait encore beaucoup. Il a pour conséquence que peu d’élèves peuvent être accueillis simultanément pour recevoir en présentiel un enseignement collectif dans les établissements scolaires.
Le Sgen-CFDT l’avait dit tôt puisque nos militant.e.s directeurs et directrices d’écoles et personnels de direction nous ont vite indiqué que l’accueil ne pourrait concerner que 20 à 50 % des élèves selon les établissements. Nous avions tôt alerté le gouvernement sur la nécessité de dire clairement à toute la population quelles seraient les contraintes. Car oui, ce sont des contraintes fortes. Mais qui, début mai, compte-tenu des informations et connaissances dont nous disposions sur la maladie, aurait accepté autre chose ?
Dans ce cadre, on peut comprendre que les pouvoirs publics souhaitent articuler accueil scolaire et périscolaire afin de faciliter la vie des familles dans une période déjà compliquée pour chacun et chacune. Mais cela ne se décrète pas nationalement. Cela se travaille localement entre acteurs éducatifs, et doit être soutenu par l’État.
Soutenir financièrement mais aussi accompagner les acteurs localement…
L’État peut soutenir financièrement, et c’est fait (quoiqu’insuffisamment quand ont lit les associations d’élus locaux). Mais il peut aussi accompagner les acteurs localement.
Cela suppose de s’appuyer sur les personnels des services déconcentrés JSCS. Les conseiller.ère.s d’éducation populaire et de jeunesse, les professeur.e.s de sport, les inspecteurs et inspectrices jeunesse et sports sont à même d’aider à la construction de projets éducatifs de territoire avec tous les acteurs locaux. Encore faudrait-il faire le choix de la confiance et du soutien aux acteurs locaux. Encore faudrait-il renoncer à la prééminence d’une logique strictement scolaire qui conduit d’ailleurs à l’inquiétude de professeur.e.s qui ont l’impression que leur enseignement est ainsi externalisé. Encore faudrait-il donner aux personnels JS une charge de travail raisonnable et priorisée sur cette mission d’accompagnement de la construction des politiques éducatives pour aider au rebond après le confinement.
On se prive de l’expertise des personnels Jeunesse et Sports qui peuvent utilement aider à construire, dynamiser des alliances éducatives…
Les deux ministres Blanquer et Maracineanu semblent avoir du mal à voir comment mobiliser l’expertise des personnels JS.
Dans la période, on se prive de fait de personnels qui connaissant les différents acteurs sur le territoire peuvent utilement aider à construire, dynamiser des alliances éducatives. Ils ont été mis à mal par le décret sur les rythmes de 2017 qui a balayé le travail sur les PEDT et depuis 2013 de nouveau sur les rythmes éducatifs. Ces mêmes agents croulent aujourd’hui sous le travail lié à la mise en œuvre chronophage de dispositifs et la validation de labels. Ils aspirent à retrouver sens à leur travail, il y aurait matière à le faire, mais la volonté est-elle au rendez-vous ? On en doute pour le moment tant la communication autour de slogans et de labels prime sur le sens et la reconnaissance de celles et ceux qui font au quotidien le service à la population.