Ferroudja Allouache est maîtresse de conférences en Littératures française et francophones à l’université de Paris 8 Vincennes – Saint-Denis, co-responsable de son département et chargée de mission des Cordées de la réussite. Témoignage.
Une Université-Monde
L’une des missions que s’est donnée l’université Paris 8, dès sa création en 1969, a été d’accueillir un public différent de celui des autres universités : étudiants salariés, sans baccalauréat, étudiants étrangers en provenance de pays dits du Tiers-Monde, étudiants ayant fui les dictatures de Grèce et d’Amérique latine et, ces dernières années, des réfugiés politiques. 30% des étudiants étrangers sont ainsi présents sur le campus, réalité qui a valu à Paris 8 la dénomination d’université-Monde en 2010. Sont également accueillis les étudiants en échanges internationaux (Erasmus+, accords bilatéraux…).
Cette réalité, qui en constitue le creuset inter-multiculturel, est celle que je côtoie depuis plusieurs années en tant que détachée du secondaire au département de Communication/français langue étrangère (COMFLE) et, récemment, en tant que maitre de conférence en littératures française et francophone.
Une tradition d’accueil
La tradition d’accueil continue d’exister au Dépt. COMFLE où je donne encore deux cours de méthodologie de l’expression écrite et orale à des étudiants français, francophones ou étrangers : Diversité linguistique et francophonie (1e semestre) et Communication interculturelle et pédagogie (2e semestre). Ces cours sont ouverts à tous les étudiants, de la Licence au Doctorat, et ce, quelle que soit la discipline et le niveau. Ils visent le perfectionnement des compétences écrite et orale, le renforcement des techniques d’écriture qu’exige l’université et qui ne sont pas toujours acquises : commentaire de textes, élaboration d’un raisonnement, recherches d’information, reformulation d’idées, appropriation des savoirs…
Accompagner les publics les plus fragiles
Je m’occupe du public de Licence, sans doute le plus fragile tant l’abandon, dès l’entrée à l’université, semble presque une évidence pour la plupart. Tout se passe comme si le passage du secondaire vers le supérieur constituait une barrière infranchissable, surtout pour les élèves ayant obtenu des bacs professionnel ou technologique (STMG). Déboutés en BTS ou IUT, ils se retrouvent à l’université, souvent dans une discipline non choisie.
Quel dispositif mettre en place pour éviter, autant que faire se peut, le décrochage ou l’abandon abrupt d’étude ?
Comment les accompagner pour que l’ancrage dans la vie étudiante soit efficace et que l’expérience acquise leur permette de la transférer et/ou de l’exploiter dans leur orientation future ?
Ateliers
Former à l’autonomie, au travail collectif et individuel. Créer un espace de dialogue.
Mes cours se déroulent sous forme d’ateliers permettant aux étudiants français de réaliser des projets avec des pairs étrangers, européens, voire des réfugiés. Chaque cours (39h/semestre) a pour ambition leur ancrage dans l’université, leur intégration/acculturation dans la formation choisie ou non (cours, réorientation…), la connaissance du fonctionnement de la Licence. Il s’agit de former le public à l’autonomie (gestion du temps et du calendrier universitaire, prise de notes…), au travail collectif et individuel, à la recherche d’informations (jeu de piste thématique dans la BU, micro-trottoir dans le campus, enquêtes auprès d’autres étudiants sur des concepts abordés en cours : le rapport aux langues, à la culture, à l’interculturel), à l’écriture créative avec un écrivain.
Échanger/ changer
Afin de développer l’esprit critique, textes littéraires, documents sonores ou visuels sont mobilisés pour leur faire acquérir le « langage légitime » (Bourdieu) et prendre conscience des usages sociaux du langage. Le pari consiste alors à créer un espace de dialogue où la confiance permet à chacun d’échanger, de prendre position sans crainte d’être jugé. Dialoguer est la première étape de la prise de conscience pour entrer dans un véritable échange avec l’autre (P. Freire).
En échangeant, les étudiants changent, bougent. Cela ne va pas sans heurt : des débats, naissent des tensions, des conflits parfois difficiles à gérer. Chacun entend défendre ses idées ou se mure dans le silence lorsqu’il est renvoyé à ses propres interrogations, peurs existentielles. C’est alors que prend tout son sens la notion d’interculturalité.
Nota Bene : ce témoignage a également été publié dans le cadre du numéro 50 – anniversaire – de la revue francilienne des Sgen-CFDT Quoi de neuf ? consacré à l’éducation prioritaire.