AESH (c'est-à-dire accompagnante des élèves en situation de handicap) depuis dix ans en lycée professionnel, Élodie suit deux élèves cette année. Elle parle de son travail durant le confinement et évoque le retour en présentiel.
AESH en temps de confinement, quel quotidien ? quelles difficultés rencontrées ? quels points positifs ? Élodie dresse un bilan de cette traversée… plutôt en solitaire.
Un extrait de cet entretien, réalisé par Jean-Luc Evrard, a paru dans le dossier « Déconfinement : le combat continue » du no 275 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.
Durant le confinement, as-tu eu des missions, et de quels types étaient-elles ?
J’avais toujours pour mission d’accompagner les deux élèves en situation de handicap que je suis cette année, l’un à temps partiel et l’autre à temps complet. Je devais les contacter par téléphone pour m’assurer qu’ils arrivaient bien à faire leurs devoirs et également pour savoir comment ils allaient, vérifier leur « bien-être ».
Tes activités ont-elles évolué depuis la phase de déconfinement ?
Je suis toujours en télétravail. On est en période de déconfinement, mais le lycée n’a pas repris, donc je continue de suivre mes élèves par téléphone, par mail ou par visio.
Ce travail est-il coordonné ? Ou chaque AESH fait-il ce qu’il peut avec son élève ?
Je sais que chaque AESH fait ce qu’il peut, certains n’ont pas le matériel pour travailler. Moi, j’utilise mon téléphone, car mon ordinateur personnel n’a pas de caméra ! Or, pour nos élèves, le fait de se voir quand on échange est essentiel.
Outre le téléphone, qui reste mon principal outil de travail, je fonctionne par mail. La tâche primordiale est d’empêcher que les élèves décrochent, mais un de mes élèves refuse mes appels. Malgré mes SMS et les nombreuses relances, rien n’y a fait… En revanche, avec mon autre élève, qui est en terminale, cela se passe bien : on communique souvent, et on arrive à travailler ensemble pratiquement tous les jours.
La tâche primordiale est d’empêcher que les élèves décrochent…
À ton avis, lors de la reprise en présentiel, des choses vont-elles changer dans ta manière de travailler, d’accomplir ton métier ?
Concernant le retour au lycée, il y a une inquiétude de part et d’autre, je pense… Une peur chez l’élève et la peur en tant qu’AESH, parce qu’au final, on ne sait pas trop où on va.
Durant cette période, pour l’élève avec qui j’ai réussi à rester, une sorte de fusion s’est faite, une relation plus forte qu’auparavant. Dans mon expérience en tout cas, j’ai constaté que l’élève, quand il est demandeur, appelle. Il fait cette démarche.
… au final, on ne sait pas trop où on va.
Avec l’élève qui n’a pas décroché, tu as le sentiment d’une plus grande proximité…
Oui, il y en avait déjà une parce que cela va faire cinq ans que je m’occupe de lui, mais il y a une relation de confiance qui s’est nettement renforcée.
Sais-tu quand aura lieu la reprise ? La semaine prochaine, le 2 juin ?
Le CFA a repris mais on n’a pas d’informations concernant le lycée… Elles tomberont un peu à la dernière minute.
Pendant cette période, comment avez-vous travaillé entre AESH ?
Chacun de son côté, comme toujours… J’ai quelques contacts téléphoniques avec une autre AESH, mais sinon, chacun s’occupe de ses élèves. Il n’y a pas tellement d’échanges. J’ai des contacts avec les profs, mais avec les collègues AESH, très peu.
Il n’y a pas tellement d’échanges.
Avec les profs, et aussi avec la Vie scolaire, je suppose ?
Oui, parce qu’on doit donner un compte-rendu hebdomadaire sur les élèves qu’on suit. On doit dire comment ça se passe, s’il y a un décrochage…
Veux-tu ajouter quelque chose ?
On appelle les élèves, mais nos responsables professionnels ne nous contactent pas pour prendre de nos nouvelles, connaître nos difficultés…
Déjà, nous n’avons pas été préparés à cette situation, donc c’était laborieux au niveau matériel. Ensuite, les informations n’étaient pas au niveau. On appelle les élèves, mais nos responsables professionnels ne nous contactent pas pour prendre de nos nouvelles, connaître nos difficultés…
Cela te donne l’impression d’être plus isolée que d’autres personnels…
Ah oui, complètement !
Tu penses, par exemple, que les profs ont des nouvelles plus fréquentes de l’inspection académique ?
De l’inspection, je ne sais pas, mais du lycée, oui ! Déjà, en temps normal, je reçois très peu les mails du lycée. Là, j’ai reçu les infos pour tout ce qui touchait au Covid-19. Mais cela ne couvre pas tous nos besoins d’infos, on reste toujours dans le questionnement.
Cela m’a demandé beaucoup plus de travail personnel. Et pour l’élève aussi, il y a une charge de travail bien plus importante.
Pour ma part, si je fais un bilan de mon investissement, j’ai un élève avec qui je travaille, mais la situation de télétravail est très dure pour lui parce qu’il manque le contact et les explications des profs. J’ai donc investi davantage de temps que les trois heures dues sur ordinateur. Cela m’a demandé beaucoup plus de travail personnel. Et pour l’élève aussi, il y a une charge de travail bien plus importante. En plus, il y a des explications qu’on ne peut pas donner comme on le fait quand on est côte à côte. Je sais que mon élève réclame beaucoup de visios aux profs, mais tous n’en font pas…
Quelle en est la raison ? C’est un choix ?
Je l’ignore… Les profs gèrent leurs cours et leur matière, ils les transmettent par mail ou par pronote… Nous, en tant qu’AESH, on suit, on ne peut pas dire au prof qu’il faut qu’il fasse une visio. Par rapport au contexte habituel de cours où c’est le prof qui explique d’abord, on est obligé de remplir les deux fonctions en même temps : comprendre soi-même le contenu du cours et l’expliquer à l’élève, ce qui prend énormément de temps par téléphone.
D’où la surcharge de travail dont tu parlais tout à l’heure ?
Complètement, d’autant plus que je me suis retrouvée à devoir gérer plusieurs matières en même temps. Et pour les élèves, il y a un déficit énorme au niveau des explications.
Tu te sens donc plus fatiguée que d’habitude…
Largement ! Parce qu’il n’y a pas de coupure réelle entre le travail et la vie personnelle ; on est toujours entre les murs de la maison alors que, quand on va au lycée, on a un autre environnement. Par exemple, pendant les quinze jours de vacances, je n’ai pas eu l’impression d’être en congés. Il n’y a pas eu de coupure pour moi, ni pour l’élève d’ailleurs.
il n’y a pas de coupure réelle entre le travail et la vie personnelle…
As-tu des contacts avec les familles ?
pour mon élève décrocheur, le problème est justement que je n’arrive pas davantage à joindre la famille.
Pour l’élève avec qui cela se passe bien, les contacts avec la famille ne sont pas nécessaires, mais je pourrais en avoir. En revanche, pour mon élève décrocheur, le problème est justement que je n’arrive pas davantage à joindre la famille.
Illustrations
Pixabay : © PIROAD © qimono © ElisaRiva