La CFDT a participé à l’exfiltration de syndicalistes afghans et de leur famille de leur pays lors de l’arrivée des Talibans. La solidarité internationale s’organise mais la situation dans le pays est vraiment critique pour les habitants surtout pour les femmes et les filles.
Le Sgen-CFDT a rencontré Zakria Khalil, enseignant, membre du syndicat afghan NUAWE pour recueillir ses propos sur la situation de son pays. Face à la situation, la communauté internationale ne peut être qu’inquiète face au non respect des droits humains et notamment pour les femmes, les filles.
Qu’est-ce qui a provoqué l’arrivée des talibans au pouvoir dans votre pays ?
C’est à la fois la montée des talibans et l’effondrement de la république qui était en place.
Un système est toujours détruit par le pouvoir en face de lui. Les problèmes internes du gouvernement afghan ont fait que le système s’est affaibli.
Alors le groupe d’opposition, les talibans, en a profité.
Avant leur arrivée, dans notre pays, la gouvernance avait atteint son apogée de faiblesse. Le gouvernement était gangrené de gens corrompus et par des mafias, des personnes qui avaient même accès à l’armée.
Sans régler les problèmes internes du pays, les gens qui se disaient « dirigeants » accédaient à des postes important au sein d’un gouvernement. Cela a continué d’affaiblir le pouvoir en place. La difficulté des pourparlers de paix par le gouvernement et les désaccords divers ont été les principaux problèmes qui ont déstabilisé la population de Kaboul.
Après la chute d’un certain nombre de provinces, dont Herat, l’une des provinces les plus sûres, les talibans ont pris progressivement le contrôle du pays.
Le gouvernement qui était en place à Kaboul a alors remis le pouvoir aux talibans sans guerre ni effusion de sang, et le président a quitté le pays.
Quelles sont les différences avec leur arrivée il y a vingt ans ?
Pendant ces vingt ans, le gouvernement a été soutenu par la coopération internationale.
Beaucoup de travail a été fait pour le bien-être et le développement du pays. Pourtant des problèmes ont persisté y compris le problème de la sécurité. Désormais, il n’y a plus de système politique officiel en Afghanistan, on fonctionne sur la base de compromis.
Aucun pays ne reconnaît les talibans, même le peuple afghan lui-même les déteste.
En matière de sécurité, les talibans étaient la cause de l’insécurité continuelle en Afghanistan durant toute la période précédant leur prise de pouvoir. Maintenant, ils sont au pouvoir. Les Afghan.es n’ont plus de sécurité y compris psychologique parce que les talibans commettent secrètement des actes terroristes.
L’insécurité règne.
Dans les sphères sociales et économiques, personne ne peut faire ce qu’il veut, même en matière d’habillement et de maquillage pour les femmes.
Personne n’est libre et ils créent des différences entre les sexes. Les talibans sont allés à l’extrême dans leurs décrets sur les vêtements des femmes et leur a instauré la nécessité de porter le hijab. Cela viole les droits humains des femmes.
L’économie a atteint le point zéro. La pauvreté est endémique dans le pays, il n’y a pas d’emplois. Si un salarié travaille, les salaires ne sont pas toujours payés. Les écoles de filles sont fermées. Les enseignantes sont au chômage.
Quelles sont les conséquences sur la scolarisation et plus particulièrement sur celle des filles ?
Avec l’arrivée des talibans, toutes les écoles universitaires ont été complètement fermées. Après un certain temps, seules les écoles de garçons ont été ré ouvertes. Les écoles de filles, elles, sont restées fermées. Certains élèves qui sont autorisés à aller à l’école doivent continuer à étudier selon les principes des Talibans et porter des vêtements prescrits par eux. Leur liberté de pensée est nulle.
L’éducation est pourtant essentielle pour l’humanité et elle constitue un droit humain fondamental. Tout être humain a droit à l’éducation mais cela nous est refusé à tous en Afghanistan, en particulier aux filles. Elles ne sont pas autorisées à étudier du tout. Les garçons, les jeunes qui sont autorisés à étudier doivent continuer à étudier selon les principes des Talibans, des principes qui les privent de liberté sociale et intellectuelle.
On parle de captivité intellectuelle.
L’éducation fondée sur les principes talibans est catastrophique pour les droits de l’homme. Ce n’est pas du tout acceptable par la communauté internationale.
Les filles sont au cœur de ce problème parce que la moitié de la société est composée de femmes. Elles sont privées de leurs droits humains et de leur éducation et poussées à l’ignorance en abandonnant l’école. On veut ainsi les soumettre au mariage précoce et à la maternité. Ces principes talibans font partie de leurs objectifs sinistres.
Comment les enseignants peuvent-ils exercer leur profession en Afghanistan ? Sont-ils payés ?
Avec la prise de contrôle de l’Afghanistan par les talibans, non seulement les écoles de filles ont été fermées, mais le programme d’études a changé et la profession enseignante s’est figée dans ses principes et ses idées. Les enseignants n’ont aucune liberté pédagogique. Ils sont tenus de suivre le programme qui leur a été donné par les talibans.
Avant la prise de pouvoir des talibans, les enseignants faisaient constamment partie du système éducatif du 21ème siècle. Ils avaient appris des méthodes d’enseignement internationalement reconnues et très utiles pour améliorer le système éducatif. Pour les talibans, ces méthodes d’origine étrangères sont à bannir, alors ils les ont toutes abolies.
Les Talibans adhèrent et supervisent leurs principes d’enseignement, qui reflètent leur propre idéologie du terrorisme.
Malgré ces défis, l’enseignant, s’il a de bonnes compétences pédagogiques, peut continuer à exercer son métier. Le public de l’enseignant est divers.
Les élèves peuvent leur dire la vérité sur leur vécu et ainsi les protéger des mauvaises pensées. Les enseignants peuvent continuer à exercer en suivant des cours de développement professionnel dans des centres de leur région, mais ce n’est pas sans risque.
Les enseignants peuvent aussi exercer leur carrière d’enseignant en ligne, ce qui est une option très efficace pour les filles pour le moment.
Dans la discussion sur les droits des enseignants, nous devons dire qu’ils ont de nombreux problèmes économiques.
Beaucoup d’ enseignantes ne travaillent plus. De nombreux enseignants employés ne reçoivent pas leur salaire tout au moins la somme convenue. Même lorsqu’ils reçoivent des salaires, il y a des problèmes bancaires et monétaires et il leur est difficile de recevoir leur salaire intégralement et à temps.
Y a-t-il des écoles clandestines ? Quelles sont les conséquences pour le personnel s’il est surpris ?
Les écoles en ligne dites écoles Reagan pour filles sont créées dans leurs propres maisons. Elles sont gérées par des écoles privées. Les enseignants et les élèves que je contacte enseignent tous secrètement à certaines familles et à leurs filles. Ils ont même un professeur au foyer dans certains cas.
Comment les syndicalistes peuvent-ils jouer leur rôle en Afghanistan aujourd’hui ?
En Afghanistan, les travailleurs sont sous pression et leurs salaires sont ponctionnés. Les enseignants et les autres travailleurs sont tous confrontés à des défis professionnels.
C’est précisément le mouvement syndical qui peut soutenir les travailleurs. Le rôle du syndicat dans de telles circonstances peut être d’appeler à la justice pour les travailleurs. L’Afghanistan est membre des Nations Unies et membre de l’Organisation internationale du Travail.
Le monde devrait donc soutenir le Syndicat afghan du travail conformément aux principes et normes internationaux et syndicaux.
Défendre la dignité des travailleurs, y compris des enseignants, et lutter pour leur intégrité matérielle et intellectuelle est une question syndicale. C’est ce que les syndicats Français, la CSI et l’Internationale de l’éducation ont fait pour soutenir les enseignants et les travailleurs afghans. Cela peut servir d’exemple à d’autres syndicats dans le monde entier.
Qu’attendez-vous de la communauté syndicale internationale par rapport à la situation de votre pays ?
La communauté syndicale internationale a toujours soutenu le syndicat afghan SUAWE et n’a refusé aucun soutien. Nous les remercions notamment pour notre exfiltration car nous étions menacés.
L’indépendance du mouvement syndical afghan est menacée, en particulier celle des syndicats d’enseignants.
Nous attendons des syndicats internationaux qu’ils défendent le syndicat afghan avec toute leur aide et qu’ils élèvent la voix pour la justice. Si les syndicats afghans et les travailleurs sont dominés par les talibans, cela aura des conséquences incontrôlables. Je crois que les organisations internationales de travailleurs ont jeté les bases, nous espérons que les résultats seront satisfaisants.
À quoi serviront les fonds collectés en solidarité avec l’Afghanistan ?
Ces fonds recueillis, notamment ceux versés par les syndicats Sgen-CFDT, vont servir à soutenir et renforcer les capacités des syndicats à soutenir les travailleurs. Nous utiliserons aussi ces fonds pour faire entendre la voix des travailleurs et travailleuses afghans de par le monde. C’est ainsi et grâce à ces actions que nous pourrons mettre en place une pression sur le régime en place. Ainsi le collectif pourra triompher.