À qui et à quoi sont destinés les "ajustements" de programmes de Mathématiques, Français et Enseignement moral et civique des cycles 2, 3 et 4 ? On est en droit de s'interroger...
satisfaire une frange de l’opinion
Il y a, au regard des « ajustements » des programmes des cycles 2, 3 et 4 de Mathématiques, Français et Enseignement moral et civique (EMC), lieu de s’interroger : à qui et à quoi sont-ils destinés ? Il est difficile de penser, étant donnés le calendrier appliqué et la méthode employée, que ce soit pour les enseignants, alors même que les programmes sont un de leurs principaux outils de travail.
Le calendrier imposé, un passage en CSE le 12 juillet pour une mise en œuvre au 1er septembre, avec des repères annuels publiés durant l’été, montre bien que ces ajustements ne sont pas en lien avec le métier enseignant. Et si c’était le cas, cela démontrerait le peu de considération du ministère pour ses personnels, sommés de passer leurs vacances à réécrire leurs séances d’enseignement.
La méthode montre aussi que ces ajustements ne sont pas destinés aux enseignants. En effet, un texte institutionnel aussi important que les programmes de 2015 demande, on le sait, un temps d’appropriation, en appui sur les ressources déjà importantes proposées par le biais d’Éduscol, qui dépasse une seule année scolaire.
Alors, à qui ces ajustements sont-ils destinés ?
Il semble bien que ce soit pour l’opinion publique, ou pour une certaine frange de celle-ci.
Les déclarations de la présidente du CSP ont mis en avant des modifications en réalité tout à fait secondaires. Que le « prédicat » disparaisse, que l’on réintroduise la conjugaison « à toutes les personnes » du passé simple, ne sont que des points de détail par rapport aux exigences tellement plus nécessaires, que sont l’apprentissage du raisonnement ou la formation précoce de l’esprit critique ! On ne voit pas bien d’ailleurs en quoi ces changements correspondent au « bon sens » revendiqué par des acteurs majeurs du système éducatif, dont on serait en droit d’espérer un peu plus de rigueur.
Dans la communication « à usage de l’opinion », il y a aussi la dictée quotidienne et la Marseillaise – tout sauf des nouveautés, puisque le ministère précédent, sous des formes diversifiées, les revendiquait aussi, de façon, il est vrai, moins injonctive, respectant le professionnalisme des enseignants.
les programmes ne sont pas un dossier de presse
Dans les ajustements des programmes d’EMC, on trouve aussi ce parfum de vieille « instruction civique » dans sa pire formulation (apprendre par cœur les institutions, les symboles…), la disparition des dilemmes moraux et de l’expression « discussion à visée philosophique et démocratique ». On peut craindre qu’il ne s’agisse plus d’apprendre à penser par soi-même, mais avant tout à obéir et respecter l’autorité : « Appliquer les règles collectives sans discussion » en est l’illustration.
Le ministère pense-t-il sérieusement que si chaque élève peut réciter les 10 règles de la laïcité, alors il n’existera plus de problème de laïcité à l’École ?
Vouloir redonner confiance en l’École est un objectif que le Sgen-CFDT et la Fep-CFDT partagent. Mais les programmes, qui ne sont pas un dossier de presse, ne sont pas le bon support. Pour atteindre cet objectif, c’est plutôt du côté de la lutte contre les inégalités sociales et scolaires qu’il conviendrait d’investir, car ce sont elles et non le prédicat qui minent sourdement l’école.
des effets délétères majeurs
Cette démarche a en outre des effets délétères majeurs.
En voulant flatter l’opinion on prend le risque, au contraire, d’instiller un climat de défiance et d’accentuer les clivages et des tensions exacerbées et stériles, l’actualité nous l’a bien montré.
En voulant flatter l’opinion on en vient à mépriser la professionnalisme des enseignants, en leur déniant la spécificité de leur vocabulaire, en renforçant les injonctions descendantes pour donner le sentiment que la maison est tenue.
En voulant flatter l’opinion enfin, on cherche à rétablir une temporalité traditionnelle de l’institution qui ne favorise pas, loin de là, la réussite de toutes et tous. Sur le fond des textes présentés, le CSP s’est en effet livré à une réécriture des programmes qui, couplée avec les repères de progressivité à venir, sacrifie et la logique de socle commun et la logique de cycle, c’est à dire d’apprentissages progressifs et adaptés à chaque élève au profit d’une vision mécanique des savoirs fondamentaux dont il faudrait assurer la maitrise pour tous aux mêmes échéances imposées. Chaque élève est supposé conforme à son voisin, et le savoir qu’il recevra le sera aussi, ce qui pour le ministère semble être la condition suffisante pour régler tous les problèmes d’inégalités de réussite.
La consultation du CSE apparaît d’autant plus formelle que ces sujets ont été placés en toute fin d’ordre du jour, comme pour escamoter autant que possible tout débat.
En conséquence le Sgen-CFDT et la Fep-CFDT ont fait le choix, tant la situation est anormale, de boycotter la séance du CSE du 12 juillet.