Amine Amar est Inspecteur général de l’administration de l’Éducation nationale et de la Recherche. Interview réalisée par Franck Loureiro, parue dans Profession Éducation, le mensuel du Sgen-CFDT, n° 265 de décembre 2018.
Vous avez réalisé en 2015 un rapport sur l’emploi contractuel LRU dans l’Enseignement supérieur et la Recherche (ESR). À l’occasion de ce rapport, quels constats marquants avez-vous pu faire sur l’emploi scientifique, en général, en France ?
Le premier constat est celui d’un recours relativement limité par les établissements et les organismes de recherche des procédures de recrutement dérogatoires prévues, pour les universités, par l’article L. 954-3 du Code de l’éducation et pour les organismes de recherche par l’article L. 431-2-1 du Code de la recherche. En effet, environ 1 840 recrutements de contractuels avaient été opérés sur la base de ces deux dispositions. Ce bilan très modeste mériterait d’être mis à jour.
Par ailleurs, les établissements ont très diversement mobilisé cette possibilité, pourtant peu contraignante, de recrutement de contractuels. Il a généralement été utilisé comme un dispositif d’appoint permettant, par exemple, de recruter des enseignants de langues là où les titulaires faisaient défaut. Cet usage à la marge et assez consensuel assure une forme de « paix sociale » dans les établissements.
Enfin, l’emploi scientifique n’a pas particulièrement bénéficié de ces dispositifs qui ont majoritairement concerné les fonctions d’enseignement et administratives.
Pour autant, il ne faut pas exclure que les pratiques évoluent et que les potentialités de ces dispositions soient davantage exploitées à l’avenir, à la fois d’un point de vue quantitatif et qualitatif.
Les nouveaux modes de financement de la recherche sont-ils selon vous les seuls responsables de la hausse de la précarité des personnels de l’ESR ?
La part de plus en plus importante des appels à projet dans le financement des activités de recherche a eu un impact sur le recrutement de personnels contractuels. Ces financements bornés dans le temps conduisent à des attitudes prudentes en la matière. Il est cependant difficile d’établir une corrélation évidente entre ces modes de financement et la hausse de la précarité. Peu d’études robustes sont disponibles sur ce sujet. Le sentiment de précarité n’est pas toujours appuyé sur une réalité statistique. Ainsi, la lecture des bilans sociaux semble indiquer que les taux de personnels contractuels ne varient pas significativement d’une année à l’autre. Une analyse plus précise des trajectoires d’agents contractuels sur plusieurs années serait utile pour passer du ressenti à la réalité.
Quel équilibre peut-on trouver entre la nécessité d’offrir aux agents contractuels des perspectives d’emploi sécurisantes et celle de maintenir un recrutement prioritairement statutaire ?
Force est de constater que, depuis une quinzaine d’années, l’emploi public en général, et dans l’ESR de façon plus singulière, a connu d’importantes transformations. Le recrutement d’agents titulaires, s’il reste largement majoritaire, n’est plus la seule voie de droit commun d’accès aux emplois publics. Progressivement, le législateur a élargi et conforté la place du recrutement contractuel. Dès l’instant où il ne s’agit plus d’un mode exceptionnel de recrutement, le « statut » du contractuel doit faire l’objet d’une prise en charge au long cours. C’est ainsi que logiquement se développent des droits spécifiques relatifs à la carrière (les rendez-vous salariaux), à la protection sociale ou encore à la formation. On assiste donc, à côté des emplois de titulaires, à l’émergence d’une catégorie de plus en plus structurée et encadrée : les emplois contractuels. Si ce régime dual d’emplois est adapté aux évolutions des missions et des modalités de financement, notamment dans le domaine de la recherche, il convient de souligner qu’il peut, à terme et progressivement, poser la question de la substitution de la logique du recrutement statutaire par celle du recrutement contractuel jugé plus souple et disposant désormais de garanties (possibilités accrues de bénéficier de CDI) suffisantes. Un tel glissement ne peut s’opérer subrepticement. Il mérite un débat clair et dépasse de beaucoup le seul champ de l’emploi scientifique.