Quatre personnels de direction témoignent.
LAETITIA CIBRARO
il me semble important de côtoyer d’autres personnels de direction, de confronter nos expériences et d’évoquer les difficultés que nous rencontrons.
J’ai décidé d’intégrer un Groupe d’Analyse de la Pratique dès que cette opportunité s’est présentée pour plusieurs raisons. Tout d’abord j’ai toujours exercé mon métier de personnel de direction en qualité d’adjointe et mes missions sont donc plus techniques et plus tournées vers la vie intérieure du lycée dans lequel je travaille que si j’étais proviseure. Mes contacts avec mes collègues sont donc insuffisants selon moi ou plutôt ils me manquent alors qu’il me semble important de côtoyer d’autres personnels de direction, de confronter nos expériences et d’évoquer les difficultés que nous rencontrons.
Ma participation au GAP m’a permis de tisser des liens forts avec plusieurs collègues car nous parlons avec sincérité lors de nos échanges, nous parlons de vécus problématiques voire douloureux qui nous conduisent jusqu’à la vérité de chacun d’entre nous, nous partageons de véritables moments d’intimité si je puis m’exprimer ainsi, sans litotes ni langue de bois.
Un certain nombre des collègues participant aux séances du GAP qui se tiennent une fois par mois au lycée Marie Curie sont issus de promotions récentes, tout comme moi. Sans doute que la formation qui nous est dispensée pendant une année est lacunaire ou tout au moins trop courte ; nous avons besoin du regard dépassionné d’un thérapeute ou d’un professionnel pour aborder les questions de la prévention et de la gestion des conflits, avec les enseignants, entre enseignants, avec les parents d’élèves, la question de l’application du droit, etc.
Nous craignons toujours d’exposer nos doutes et nos difficultés à notre hiérarchie
Nous craignons toujours d’exposer nos doutes et nos difficultés à notre hiérarchie, que ce soit parfois auprès du chef d’établissement avec lequel on travaille quand on est adjoint, du PVS ou du cabinet de la DSDEN car nous avons peur d’être jugés de façon défavorable, de paraître peu professionnels et que nos mutations futures soient malaisées car nous aurions laissé effleurer des questionnements ou des fragilités à certains moments. Pour parler clairement, nous sommes pétris de trouille (« que va-t-on penser de moi si j’explique que je ne sais pas quoi faire dans cette situation ou si je ne parviens plus à mener de front vie professionnelle/vie personnelle ? » et nous taisons nos tracas ou angoisses, même à de proches collègues. En effet, dans un secteur concurrentiel, à quel(s) autre(s) personnel de direction se fier ?
Enfin un lieu dans lequel la parole peut se libérer et dans lequel nous ne sommes plus en concurrence les uns avec les autres.
Le fait que l’ensemble des participants au GAP soient tenus à une discrétion absolue et ne soient pas autorisés à divulguer les propos ou anecdotes qui leur sont narrés est primordial. Enfin un lieu dans lequel la parole peut se libérer et dans lequel nous ne sommes plus en concurrence les uns avec les autres. Enfin un espace dans lequel nous n’avons pas à nous méfier des affiliations syndicales des uns ou des autres et où les enjeux de pouvoir, aussi ridicules soient-ils si on y réfléchit bien, sont absents. Le modérateur insiste sur notre écoute, qui se doit d’être bienveillante et attentive, et sur notre volonté de nous débarrasser de nos préjugés.
Nous connaissons certains des collègues présents car ils appartiennent au même bassin que nous alors que certains nous sont inconnus. Nous avons entendu des échos très favorables d’une telle et déplorables à propos d’un tel. Peu importe. Dans cet espace-temps défini, nous sommes égaux. Nous nous rendons compte que nous cherchons des solutions chacun dans notre coin alors que la réflexion d’autrui nous nourrit et nous permet d’avancer dans notre propre cheminement professionnel.
Nous sommes libres de critiquer le fonctionnement de notre institution mais de façon constructive. Notre parole est libérée et peut être vive, les larmes ne sont parfois pas loin, ce qui permet de dédramatiser des conflits qui nous semblaient inextricables ou de mettre à jour une souffrance causée par l’exercice de notre métier. Grande est par exemple la surprise de certains quand ils découvrent que le harcèlement moral qu’ils ont subi, en donnant force exemples et détails, résonne très fort chez un ou une collègue, qui a vécu une situation analogue il y a quelques années. Leur sentiment de culpabilité en est sensiblement amoindri.
Vous êtes l’éponge, c’est votre rôle. Mais quand et qui essore l’éponge ?
Je terminerai par l’anecdote suivante : j’ai eu la chance d’effectuer une partie de mon stage professionnel lors de mon année de titularisation au département RH de l’Hôtel de Région de Lyon et notamment dans le service de prévention des risques psycho-sociaux. Le chef de service à qui j’expliquais que, alors adjointe d’un LP où les élèves étaient très difficiles et certains enseignants en grande souffrance je recevais beaucoup de professeurs en larmes ou des gamins dans des contextes familiaux catastrophiques, et que j’avais l’impression d’être une éponge, m’avait répondu : « Vous êtes l’éponge, c’est votre rôle. Mais quand et qui essore l’éponge ? »
A l’époque sa réponse m’avait plongée dans des affres de perplexité. Oui, qui essorait l’éponge que j’étais devenue ?
Avec le recul, je pense qu’au vu de la souffrance sociale existante et des enjeux majeurs qui incombent à l’institution scolaire, nous serons amenés à gérer de plus en plus de situations humaines complexes sinon dramatiques.
Nous sommes passionnés par la chose publique et par les enfants qui nous sont confiés.
Les GAP doivent donc se généraliser et seraient ainsi une réponse formidable de l’institution à la demande des personnels de direction à être accompagnés et écoutés dans l’accomplissement de leurs missions. Notre métier nous est communément présenté comme celui d’un DRH de proximité aux casquettes multiples.
Il n’y aura de DRH de proximité performants et motivés dans la durée que si notre institution nous accorde sa pleine confiance et nous permet le travail de réflexion, de prise de recul et de solidarité du GAP. Nous pilotons des collèges et des lycées. C’est une mission ardue, un défi quotidien et enthousiasmant. Nous voulons durer et faire du bon travail, être efficients. Nous sommes passionnés par la chose publique et par les enfants qui nous sont confiés.
Les éponges n’ont pas fini d’avoir besoin d’être essorées.
FRANÇOIS DUBUT, PRINCIPAL DU COLLÈGE LE VERGERON MOIRANS, ISÈRE
Pourquoi ai-je choisi de participer à un Gap :
J’avais dans l’idée que notre métier nécessite des temps de dialogue partagés sans contraintes hiérarchiques.
Nous travaillons souvent isolément, il me semble que nous pouvons progresser collectivement au travers d’actions de ce type.
D’autre part, au moment de mon choix je me trouvais en difficulté avec deux adjoints successifs. Je me sentais déstabilisé et je me posais des questions quant à mon positionnement.
Quels sont les effets positifs :
Au bout de deux séances sur dix programmées, il est un peu tôt pour faire un bilan.
Toutefois je ressens un certain apaisement de pouvoir échanger avec d’autres collègues, car nous constatons que nous partageons des difficultés communes et nous sommes en mesure de proposer des solutions dans le cadre d’un dialogue de très bonne qualité.
Propositions :
Il est actuellement difficile de faire des propositions d’évolutions.
Il me semble que ce groupe a été bien réfléchi en terme de constitution du groupe, de choix d’intervenant et d’organisation temporelle.
Je pense qu’il faudrait pouvoir proposer ce type d’action sur 2 sites de l’académie, sans en venir à des regroupements départementaux qui présenteraient le risque d’un manque de diversité des participants.
MARIE MICHEL
A l’origine, un étonnement :
jeune professeure et discutant avec des amis du domaine de l’éducation spécialisée, du médico-social, de l’animation, j’étais la seule à qui il n’était pas proposé (ou imposé) des temps de relecture de pratique professionnelle. À les écouter, j’en sentais la pertinence pour réfléchir sur la posture professionnelle et se confronter avec d’autres à des questions sur le sens du métier. Puisque cela n’existait pas à l’Éducation Nationale, nous avions monté une petite association avec des amis enseignants, qui proposait des temps de relecture et d’échange 3 samedis par an. Ces rencontres ont été précieuses pour réfléchir sur ma manière d’être enseignante, avec les élèves, avec les collègues, dans l’institution.
Puis, quelques exemples dans l’Éducation Nationale :
un groupe d’analyse de la pratique a été organisé (et financé) dans le lycée où j’exerçais. Sans y participer, j’avais de très bons échos de ce groupe et les participants y trouvaient une grande aide pour leur pratique.
Changement de casquette, je deviens « personnel de direction » :
lors de la formation de stagiaire, un psychologue nous parle de l’adolescence et des groupes d’analyse de la pratique qu’il propose pour les personnels enseignants et éducatifs dans les établissements scolaires. La promotion de personnels de direction stagiaires demande alors si ce dispositif efficace pour des enseignants ne pourrait pas être proposé à des personnels de direction…
En fin d’année, les 3 syndicats personnels de direction de l’académie proposent une année de GAP pour les personnels de direction volontaires, j’ai la chance, avec 3 autres ex-stagiaires perdir, d’en faire partie.
Une nécessité :
Il me semble qu’un temps de relecture de pratique doit obligatoirement être proposé aux personnels de l’Éducation nationale. Comment tenir dans ces métiers sans avoir un lieu pour déposer ce qui nous bouscule, nous questionne ? Sans cela, deux solutions : le blindage ou la fuite de responsabilités.
Lors d’une séance d’une heure et demie, une ou deux personnes apportent une situation concrète. Avec l’aide du psychologue qui nous accompagne, nous essayons de comprendre ce qui se joue entre les acteurs, nous essayons de clarifier les responsabilités et les libertés de chacun. Nous essayons d’élaborer des réponses possibles. Ce travail nous fait expérimenter l’importance de la parole et de l’écoute, la puissance de la réflexion collective ; il nous renvoie chacun à des situations locales avec lesquelles nous pouvons faire des liens.
Le GAP n’est pas magique, il ne résout pas toutes les questions quotidiennes qui se posent à nous. Mais dans le feu de l’action, nous savons qu’il y aura un lieu plus tard pour revenir sur ce qui a été difficile, pour oser en sécurité se remettre en question. J’ose croire que petit à petit (nous commençons juste) ce travail nous aidera à comprendre ce qui se joue dans des situations complexes et à prendre soin de la manière dont nous les vivons.
SABINE PACAUD, PRINCIPALE ADJOINTE AU COLLÈGE DE CROLLES
Pourquoi est-ce que j’ai souhaité faire partie d’un GAP ?
J’ai passé le concours de personnel de direction il y a deux ans. Lors de notre formation statutaire, le principe du GAP nous a été présenté. C’est d’ailleurs un temps de partage considéré comme allant de soi dans l’univers des professionnels de l’éducation relevant du ministère de la santé.
Nous sommes plusieurs à avoir immédiatement ressenti le besoin d’un tel groupe. Nous pressentions que parfois nous pourrions nous trouver très seuls pour prendre certaines décisions. Avoir recours à des collègues et en quelque sorte à un protocole d’analyse de nos réactions était très rassurant.
Quels sont les effets positifs que j’en retire ?
En tout premier le soulagement de partager certaines interrogations, certaines peurs, et de voir que la plupart des collègues présents, face à certaines situations, ont besoin de s’interroger et de recourir à d’autres professionnels.
C’est un vrai temps d’échange qui me permet petit à petit d’affiner une grille d’analyse pour (peut-être) éviter les plus gros écueils.
Quelles propositions pour rendre plus efficients ces GAP ?
Le groupe est très équilibré (hommes / femmes – adjoints / chefs – anciens / nouveaux – lycées / collèges) ; c’est un point fort car cela aiguise les outils d’analyse et permet réellement de faire un pas de côté. Il reste que malgré tout on peut ressentir une peur de jugement de la part de certains collègues ; peut être que cela freinera certains témoignages. Lorsque l’on est amené à travailler avec quelqu’un, on peut hésiter à lui confier ses interrogations.
L’existence d’un seul groupe sur l’académie pose réellement problème à ceux qui viennent de loin.
Pour aller plus loin
> Groupes d’analyse de la pratique professionnelle : expérimentation de l’Académie de Grenoble
> Interview de Jean-Louis Beratto : « ce n’est pas pensable qu’on laisse des gens seuls là-dedans ! »
> Risques Psycho-Sociaux, les cadres aussi sont concernés !