Éditorial paru dans Profession Éducation, le mensuel du Sgen-CFDT, n° 247 septembre 2016.
Le processus des primaires a pour conséquence première de faire démarrer la campagne électorale six mois plus tôt. C’est une bonne chose : la démocratie, on l’oublie trop souvent, se fonde au moins autant sur la pratique du débat public que sur les élections libres. Et l’ampleur des défis – économiques, éducatifs, écologiques, sociaux – rend plus que jamais nécessaire la délibération collective. Malheureusement, l’entrée en scène des « impétrants » a pour l’instant été plus prodigue en testostérone qu’en matière grise. La menace terroriste et la peur de l’avenir ont favorisé des postures martiales ou radicales qui se réduisent à une pantomime caricaturale.
Nous avons besoin d’une année électorale utile.
Nous avons besoin d’un débat républicain qui ne se recroqueville pas sur les vieux thèmes régaliens ou sur des valeurs toujours trop abstraites, mais qui permette enfin la construction d’un projet de société. Les personnels du service public sont plus particulièrement en attente de réponses sur le sens de leur travail, sur la nature de leurs missions et même sur leur place dans la société qui se construit. Ce sont ces questions, ce sont leurs questions que le Sgen CFDT veut porter dans la campagne électorale qui s’ouvre et que les dossiers de Profession Éducation présenteront dans les mois prochains.
FAIRE ÉVOLUER LE BACCALAURÉAT POUR BÂTIR LA « SOCIÉTÉ APPRENANTE »
La première question que nous posons, dès ce numéro, est celle de l’évolution du baccalauréat. Il ne s’agit pas de ripoliner l’antique totem républicain, mais de savoir comment on le fait évoluer pour permettre la construction d’un « BLMD » (bac, licence, master, doctorat), c’est-à-dire d’un système de formation cohérent qui emmène les élèves et les étudiants de la sortie de l’enseignement obligatoire jusqu’à l’insertion professionnelle, et qui le fait en garantissant l’égalité des chances.
Cette question sur le baccalauréat, les candidates et les candidats devront y répondre. Chacun sait que le bac doit changer, mais personne n’ose le dire : se saisir du sujet serait donc un acte politique significatif. Mais surtout, derrière la question de la transformation du premier grade universitaire se cachent plusieurs enjeux fondamentaux.
En premier lieu, il y a celui du travail des personnels, à qui on demande de compenser les incohérences et les carences du système – en matière de pédagogie, d’orientation, d’accompagnement. L’organisation des différents acteurs de ce « BLMD » est aussi à interroger : veut-on qu’ils s’ignorent, voire qu’ils se concurrencent, ou qu’ils coopèrent intelligemment ?
Il en est de même pour leur mission : s’agit-il de sélectionner et de dégager une élite, ou de travailler à la réussite de tous les étudiants pour atteindre le plus haut niveau possible de formation ? Plus encore, il va falloir se prononcer sur l’articulation entre enseignement et formation tout au long de la vie, entre enseignement et recherche enfin, pour dire comment on s’engage dans la construction de la « société apprenante » que nous appelons de nos vœux.
RÉHABILITER LA PÉDAGOGIE
Le Sgen-CFDT entend également interroger les candidates et les candidats sur le mauvais traitement qu’on réserve dans notre pays à la pédagogie.
Non seulement nous investissons trop peu dans la formation et encore moins dans la recherche pédagogique, mais la qualité de pédagogue ne fait l’objet d’aucune reconnaissance sociale, quand elle n’est pas moquée et dénigrée par les réactionnaires de tout bord. Une espèce de « sottise nationale » qu’il y a pourtant urgence à dépasser.
N’oublions pas que la pédagogie est d’abord un métier, le métier de tous les enseignants et éducateurs. Comment peut-on prétendre résoudre le malaise qui taraude ces professions si on continue de mépriser ce qui constitue le cœur de leur activité ? De même que les diatribes contre l’assistanat sont une agression contre ceux dont le métier, et l’honneur, est de porter assistance à toutes les détresses sociales, les rodomontades antipédagogiques sont une attaque contre ceux dont le métier est d’éduquer et de former. Mais il ne suffira pas de changer le discours pour réhabiliter la pédagogie. Il y a des actes à poser, des politiques à mener. Il faut par exemple développer le financement de la recherche en pédagogie. Il faut également consolider et développer la formation pédagogique, de la maternelle à l’université, en formation initiale et plus encore en formation continue. Il faut enfin reconnaitre l’investissement pédagogique des personnels dans l’évaluation et le déroulement de carrière. Miser sur la pédagogie, c’est croire en l’éducabilité de tous et donc en la promesse républicaine d’une société plus démocratique et plus égalitaire. À chacun de se prononcer, donc.
UN EMPLOI PUBLIC ATTRACTIF SUR TOUT LE TERRITOIRE
Le mépris de la pédagogie n’est sans doute pas pour rien dans les difficultés de recrutement des métiers de l’éducation et de l’enseignement. Voilà un autre des défis de la prochaine législature : assurer l’attractivité de tous les emplois publics sur l’ensemble du territoire. C’est une condition de l’égalité d’accès au service public, et c’est aussi un dû aux personnels des établissements les plus difficiles, qui se retrouvent bien souvent à travailler en équipes incomplètes et avec un fort turn-over.
L’accord sur les parcours professionnels, les carrières et rémunérations (PPCR) donne des éléments de réponse par la revalorisation des traitements et des déroulements de carrière : il faudra déjà s’engager à l’appliquer complètement, dans toutes ses dimensions. Mais il va falloir aller plus loin pour certains postes, certaines fonctions et surtout certains établissements. L’accompagnement professionnel, pas seulement pour les débutants, doit devenir la règle : il n’est pas normal qu’on laisse les contractuels sans formation, les personnels en difficulté sans soutien, et surtout que ceux qui travaillent dans les territoires les plus défavorisés ne se sentent pas pleinement et quotidiennement soutenus par la République. Voilà un autre chantier sur lequel les candidates et les candidats sont attendus.
POUR UNE GOUVERNANCE DÉMOCRATIQUE
Le Sgen-CFDT les interpelle enfin sur la gouvernance des services publics. Ce thème que nous étions longtemps seuls à mettre en avant semble s’imposer dans le débat public et dans l’agenda des politiques. Mais il reste bien des ambigüités à lever. La première porte sur l’autonomie des établissements – scolaires, universitaires, scientifiques et autres.
Il n’y a certes plus grand monde pour mettre en cause la nécessité de l’accroitre : on ne gère pas un service public d’éducation, de formation, ou de recherche comme on gère l’administration préfectorale. L’autonomie, c’est avoir confiance dans la professionnalité des équipes, et miser sur les ressources du travail collaboratif, en particulier à l’heure de la révolution numérique. L’autonomie est également la condition de l’innovation, qu’il est temps d’admettre comme une dimension normale de la pratique de nos métiers.
Mais encore faut-il que cette autonomie s’accompagne d’une démocratisation de fonctionnement, et que la déconcentration ne soit pas un simple transfert de l’autoritarisme au niveau local. L’autonomie que nous souhaitons, c’est bien celle des collectifs de travail avec une ouverture aux usagers et aux diférents partenaires, notamment les collectivités territoriales. L’autonomie doit bien sûr s’accompagner des moyens nécessaires pour l’assumer. Mais elle doit surtout être l’occasion de développer un dialogue social local, par lequel les personnels doivent conquérir une capacité d’agir sur leurs conditions de travail. Cela suppose des organisations du travail moins rigides, ainsi que les espaces de dialogues nécessaires pour en discuter au plus près des agents. Cela suppose donc une nouvelle conception de l’encadrement, dont le rôle ne peut plus se résumer à la seule loyauté envers la hiérarchie.
Ce que nous attendons, pour résumer, c’est un projet ambitieux et concret pour le service public, mobilisateur pour ses personnels et répondant à la demande d’égalité de nos concitoyens.