La réforme de l'apprentissage conduite à marche forcée suscite beaucoup d'inquiétude dans les CFA agricoles publics (qui scolarisent plus de 70% des apprentis dans l'enseignement agricole).
Le 6 juillet le Sgen-CFDT a exprimé ses inquiétudes face aux deux Ministres recevant les organisations syndicales, Stéphane Travert, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation et Muriel Pénicaud, Ministre du Travail. Les deux Ministres ont exprimé des propos rassurants. Le Sgen-CFDT jugera sur pièce.
La loi sur l’apprentissage vient d’être publiée au JO
La loi «pour la liberté de choisir son avenir professionnel » portant sur l’ Apprentissage est parue au JORF du 6 septembre 2018. Elle génère nombre de questions chez les usagers et chez les acteurs de la formation. Le Sgen-CFDT a été reçu par les Ministres, Stéphane Travert et Muriel Pénicaud, le 6 juillet 2018 en audience intersyndicale.
Les principes généraux de la loi
L’objectif affiché est d’augmenter le nombre d’apprentis et de personnes bénéficiant d’une formation professionnelle. Ces formations sont reconnues car elles permettent une bonne insertion. Elles touchent des jeunes parfois en rupture avec le système scolaire traditionnel. Le Sgen-CFDT souhaite aussi une progression du nombre d’apprentis et est favorable au développement de l’apprentissage. Cette voie de formation basée sur l’alternance a effectivement fait ses preuves en matière de pédagogie et d’insertion.
Développer l’apprentissage
La loi veut développer l’apprentissage par une ouverture simplifiée des unités ou des centres de formation par apprentissage. La France est le dernier pays d’Europe à exiger une autorisation administrative préalable pour ouvrir un centre. Cette obligation cesse d’exister mais il y aura une régulation et un dialogue avec les Conseils Régionaux et les autorités académiques . Une certification qualité sera désormais exigée comme pour les CFPPA.
Pour le Sgen-CFDT, la croissance du nombre d’apprentis ne doit pas se faire au détriment des formations professionnelles initiales scolaires. Il faut pouvoir offrir à la diversité des jeunes une offre de formation plurielle et adaptée à leur profil. L’objectif final est de réduire le nombre de jeunes sans diplômes. Contrairement à une rumeur répandue, n’importe qui ne pourra pas ouvrir un CFA.
Un circuit de financement de l’apprentissage bouleversé
On constate aujourd’hui des niveaux de financement par formation très inégaux. On constate aussi que les budgets de l’apprentissage ne vont pas toujours uniquement vers l’apprentissage. Le financement se fera désormais par contrat d’apprentissage signé. Ainsi, pour tout contrat signé entre un jeune et une entreprise, la formation sera directement financé au CFA. Pour compenser les groupes à petits effectifs et à besoins pédagogiques particuliers des ajustements sont prévus et les coûts moyens en cours d’évaluation vont être utiles à ces ajustements. Le “hors quota” de 13% est maintenu.
Le Sgen-CFDT veillera à ce que le montant de ce forfait couvre bien l’ensemble des coûts directs et indirects liés à la formation et interviendra à chaque fois qu’il sera nécessaire pour alerter les financeurs. Le Sgen-CFDT reconnaît que la gestion opérée par les régions n’était pas toujours exempte de critiques.
Sur les « métiers rares » (à petits effectifs), la Ministre du Travail, Muriel Pénicaud, s’est engagée à ce que le coût du contrat intègre cette contrainte spécifique que l’on rencontre assez fréquemment dans l’enseignement agricole. Les branches professionnelles tiendront compte de cette singularité.
Dans les territoires ruraux isolés avec des petites sections, un fonds de soutien de 250 millions d’euros sera déployé. Durant une période transitoire, l’agence “France Compétence” aidera financièrement les centres en difficulté. Enfin, pour encourager l’apprentissage, des aides directes seront versées aux employeurs et aux apprentis. En parallèle, l’âge légal maximal pour devenir apprenti est reculé à trente ans (29 ans à l’entrée).
Pour le Sgen-CFDT, ces mesures en faveur des zones rurales répondent à une vive inquiétude qui s’est exprimée notamment dans les CFA agricoles. La pertinence de ces dispositions devra être rigoureusement évaluée à l’aune de l’expérience car le défi reste de taille. Ces points modifient considérablement le paysage actuel de l’apprentissage. Ces évolutions vont nécessiter la présence dans les CFA de développeurs pour recruter des jeunes et assurer la promotion de nos formations. Enfin, pour cette rentrée 2018, les acteurs intervenants dans l’apprentissage ont besoin d’être mieux informés et soutenus car cette réforme est loin d’engendrer l’adhésion des personnels concernés.
De nouveaux acteurs vont intervenir
Les conseils régionaux conserve la responsabilité de l’investissement. Les partenaires sociaux au sein des branches définiront les diplômes ou les formations à dispenser. L’État demeurera le garant de la qualité des formations, de la certification ; Les diplômes conservent leur caractère national. Cette nouvelle disposition vise à impliquer davantage la profession dans la formation surtout pour les secteurs et filières en tension comme l’AEQ (agroéquipement) ou l’AA (agroalimentaire).
Les conseils régionaux garderont à leur disposition un fonds modeste pour encourager des formations spécifiques, pour soutenir des territoires peu attractifs et accompagner les UFA ou CFA en difficultés, pour s’adapter aux spécificités des territoires.
Pour le Sgen-CFDT, les conseils régionaux et les branches devront procéder à un dialogue permanent. Le Sgen-CFDT revendique la création d’une instance tripartite dans chaque région regroupant les branches, le conseil régional et les directions régionales (autorités académiques). La loi le permet et encourage la signature de conventions entre organismes et institutions. Enfin, les branches sont diversement structurées. Pour le Sgen-CFDT, le défi pour les branches est de taille, car elles doivent endosser de nouvelles responsabilités ; or, la solidité de leur organisation manque d’homogénéité.
Exonération de taxe d’apprentissage pour les exploitants agricoles
Au regard de la situation extrêmement tendue de la trésorerie de certaines exploitations agricoles, il y aura exonération de la taxe.
Les CFA agricoles publics sont-il en danger ?
La loi ne fait pas de différence entre CFA public et privé. Ces acteurs seront traités de la même façon. Le Sgen-CFDT aurait souhaité un renforcement du financement de l’apprentissage public : les amendements dans ce sens ont été rejetés.
Actuellement, les CFA agricoles publics forment plus de 70 % des apprentis. Ils occupent une position dominante qui n’exclut pas des fragilités et des tensions dans la recherche d’équilibres budgétaires parfois délicats à trouver.
L’objectif affiché de la loi est bien de faire progresser le nombre d’apprentis et de mieux utiliser le financement de l’apprentissage.
Pour l’enseignement agricole, le Sgen-CFDT estime qu’il est vraisemblable que les CFA (et/ou UFA) des EPLEFPA puissent bénéficier de cette progression. Au regard de la redistribution des rôles et de la responsabilité des acteurs, un certain nombre de CFA devraient pouvoir se développer et d’autres, peu nombreux, être fragilisés. Il est donc mensonger d’affirmer que 4000 emplois vont être supprimés.
Une autre menace pèse : il est également possible que certaines branches et certaines entreprises choisissent, à moyen terme, de développer des CFA gérés directement par la profession, à l’image de certains CFA de l’automobile et de la métallurgie. On ne peut totalement exclure une situation de mise en concurrence.
Pour le Sgen-CFDT, nos centres ont de l’expérience et sont reconnus pour leur savoir-faire. Aujourd’hui, rien ne permet d’affirmer que ce nouveau défi est perdu d’avance. L’affirmer serait méconnaître la compétence des formateurs et leur engagement. Cependant on ne peut que déplorer la pression supplémentaire qui risque de peser sur ces agents. Ces contractuels, précarisés, parfois mal rémunérés, ont besoin d’être soutenus et reconnus. Dans cette réforme conduite à marche accélérée, leurs conditions de travail sont peu pris en compte. Pour le Sgen-CFDT, cette réforme ne doit ni entraîner une dégradation des conditions de travail, ni de suppression de postes. Il y a un changement de culture profond qui va demander de la concertation, de la formation et de l’accompagnement.
Vers une OPCO agricole à l’écoute des territoires ?
Suite au rapport Bagorski-Marx rendu le 6 septembre 2018, la Ministre du Travail préconise que toutes les entreprises des branches agricoles et agroalimentaires se regroupent en un seul Opérateur de Compétences (OPCO). Ce nouvel organisme pilotera et financera l’apprentissage autour des métiers de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Ce nouveau fonctionnement prévoit le passage de 20 OPCA à 11 OPCO.
Dans la plupart des régions, la branche agricole ne souhaitera pas mettre en place des CFA pilotés directement par des professionnels. Récemment, les représentants de la branche agricole de la région Auvergne-Rhône-Alpes ont déjà annoncé qu’ils ne souhaitent pas mettre en place de nouveaux CFA qu’ils piloteraient.
Apprentissage: vers une péréquation forte?
Si les seules sources de financement de cette future OPCO agricole et agroalimentaire se réduisaient aux cotisations des entreprises du secteur, les volumes seraient faibles. La Loi a prévu un fonds de péréquation pour que les branches riches financent les branches pauvres.
Un accompagnement renforcé de la part des DRAAF
La mission d’inspection de l’apprentissage est de fait supprimée par la loi. Cette mission est transformée en une mission de médiation conduite par les acteurs des branches. Pour le Sgen-CFDT, les postes occupés par les inspecteurs en charge de l’apprentissage ne doivent pas disparaître. La mission de ces agents doit être orientée désormais vers de l’accompagnement et du conseil au CFA. Ces postes ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel de la réforme et pour répondre à des contraintes budgétaires (AP 2022) entre autres.
Pour en savoir plus : Réforme de l’apprentissage, faut-il s’inquiéter ?