Par Hairiya Hassani, coordinatrice et porte-parole du Collectif des étudiants étrangers de Mayotte, et Daniel Gros, retraité de l'Éducation nationale, ancien conseiller principal d’éducation au lycée de Mamoudzou (2012-2017), référent du Collectif des étudiants étrangers de Mayotte.
Les dispositions concernant les populations étrangères se durcissent dans l’ensemble du monde. L’arbitraire politique se déploie partout sans trop de scrupules. À Mayotte, île minuscule confinée à l’autre bout du monde entre l’Afrique et Madagascar, il atteint une démesure dépassant l’imagination. Non seulement la législation déroge aux principes régnant en métropole, mais la loi n’est plus ni respectée ni appliquée.
Ainsi chaque année, les jeunes lycéens non français inscrits en classe de terminale doivent-ils à la fois préparer leur bac et procéder à leur régularisation administrative. Les services de la préfecture traitent les demandes en une moyenne de 18 mois, les délais pouvant dépasser deux, voire trois années en vertu de refus successifs souvent mal motivés. Aussi, les jeunes gens qui n’ont pas de retard dans leur scolarité n’ont-ils aucune chance d’être régularisés à temps pour rejoindre l’établissement d’enseignement supérieur dans lequel ils ont été affectés. D’autant plus que, par une disposition propre à Mayotte, l’étranger en situation régulière ne peut quitter le département pour la métropole ou les autres îles d’outre-mer sans visa.
Suite à des luttes poursuivies sans relâche depuis trois ans, des aménagements avaient été proposés par le préfet, consignés dans un protocole applicable en 2018 et paraphé par le vice-rectorat de Mayotte et la préfecture. Ce document chargeait le vice-rectorat et les directions des lycées de repérer les lycéens et bacheliers concernés, d’en dresser la liste, de vérifier quelques pièces administratives et de transmettre les noms aux services de la préfecture après le 31 mars.
Cette année, hélas, un collectif spécialement animé par des mobiles xénophobes assiège la préfecture depuis le mois de mars et bloque le service de l’immigration par une occupation des lieux nuit et jour, sans que l’État ne rétablisse le droit des usagers à la continuité du service public. Mieux, il semble que le gouvernement ne voie pas d’un mauvais oeil cette situation et qu’il espère en tirer des bénéfices qui nous échappent. En effet, l’ambassade française à Moroni, capitale des Comores voisines, a également cessé de délivrer des visas aux étudiants engagés dans un cursus en France. Le Collectif des étudiants étrangers a envoyé une lettre ouverte au préfet de Mayotte fin août, restée sans réponse à ce jour. L’Élysée, Matignon, et le ministère concerné, destinataires en copie, n’ont pas daigné s’émouvoir.
Lettre ouverte à monsieur le préfet de l’île de Mayotte.
Monsieur le Préfet,
Nous, le Collectif des étudiants étrangers de Mayotte, vous adressons une requête en urgence et vous demandons de trouver une solution à la situation dramatique qui s’abat sur Mayotte.
Depuis le mois de mars, le bureau de l’immigration et de l’intégration de la Préfecture s’est plié aux pressions d’un groupuscule qui a pris les étrangers pour cible. Depuis fin juillet, le service est totalement fermé si bien que nous pouvons prévoir que dans moins d’une année, toute la population d’origine étrangère vivant sur Mayotte sera en situation irrégulière. Les étrangers malades ont perdu leur droit à la Sécurité Sociale, les étrangers salariés ont perdu leur travail et sont condamnés à l’emploi dissimulé et à l’exploitation. Ces personnes sont nos frères et nos soeurs, nos parents.
Nous-mêmes, jeunes majeurs et nouveaux bacheliers, nous sommes dans l’incapacité matérielle de finaliser nos dossiers de poursuite d’études malgré les engagements passés.
Nous vous rappelons qu’un protocole avait été établi entre le Vice-Rectorat et vos services visant à faciliter la régularisation des bacheliers dans les délais impartis, protocole que vous n’avez pas respecté. Durant toute l’année scolaire, des fonctionnaires du Vice Rectorat, des personnels dans les lycées, ont travaillé sans relâche pour identifier les élèves concernés et établir les dossiers requis. Nous-mêmes, Collectif des étudiants étrangers de Mayotte, avons abattu un gros travail d’information et de conseil. Tout cela en vain. Au début du mois de juillet, suite à une médiatisation, nous avons été reçus par le bureau de l’immigration et de l’intégration. Une bienveillance apparente nous fut réservée, de la bonne volonté fut manifestée, et des jeunes gens ont été convoqués. Hélas, vous n’avez pas été en mesure d’assurer l’accès à la préfecture car vous semblez ne plus le contrôler.
À votre demande, nous avons renoncé à nos projets de manifestations. Pour quel bénéfice alors que le lendemain de notre rencontre, nous, le Collectif des étudiants étrangers de Mayotte, avons été agressés dans les locaux de la CImade où nous sommes hébergés sans qu’une parole d’appel à la raison ne soit prononcée ? Pour quel bénéfice alors qu’il a suffi qu’un groupuscule qui a pris les étrangers pour cible manifeste devant les grilles de la préfecture pour empêcher le bureau de l’immigration et de l’intégration de fonctionner ?
A notre grande stupeur, nous, Collectif des étudiants étrangers de Mayotte, avons appris par voie de presse que ce groupuscule coupable de voies de faits contre une association, a été reçu par monsieur le Secrétaire général de la préfecture et que des garanties lui auraient été données que le service de l’immigration et de l’intégration resterait fermé. A notre grande stupeur car monsieur le Secrétaire général de la préfecture est précisément la personnalité à l’initiative du protocole co-signé par la préfecture et le vice-rectorat et garante de son application.
Nous, le Collectif des étudiants étrangers de Mayotte, vous demandons instamment que l’état de droit soit de nouveau appliqué à Mayotte.
Aucun des enfants de Mayotte n’est responsable de la situation que vous leur faites payer. Nous sommes en France depuis notre petite enfance, l’école de la République nous a instruits, nous avons appris ses lois et ses valeurs. Nous sommes fiers d’avoir grandi dans un pays qui rayonne dans le monde pour son humanisme et son universalité.
Nous sommes des jeunes majeurs ou le deviendrons dans l’année, nous avons apporté la preuve de notre volonté d’intégration, par notre réussite scolaire et notre succès au baccalauréat et par notre capacité à nous regrouper pour vous rappeler nos droits et vos obligations.
Nous n’avons besoin que d’un titre de séjour, et pour certains d’entre nous un visa, pour poursuivre nos études dans les établissements où nous avons été affectés.
Nous avons apporté la preuve de notre volonté d’intégration dans la République, à vous de faire en sorte que les services de l’Etat fonctionnent à Mayotte, et principalement le service de l’immigration et de l’intégration.
Recevez, Monsieur le préfet, l’assurance de notre plus haute considération.
Le Collectif des Étudiants Étrangers de Mayotte.