Daniel Kaplan est le cofondateur et le dirigeant de la Fondation internet pour une nouvelle génération (Fing), créée en 2000, un think & do-tank qui « produit des idées neuves et actionnables pour anticiper les transformations numériques ».
Il est également membre du Conseil national du numérique.
La Fing ambitionne d’anticiper la transformation numérique. Quel est votre mode de fonctionnement ?
La Fing a vocation à nourrir les acteurs économiques et sociaux d’idées neuves et « actionnables », au croisement des possibilités et pratiques du numérique, et des grandes questions de société. Nous avons trois activités : la prospective, pour poser les questions auxquelles il faudra répondre demain ; le think tank, pour produire des pistes d’action innovante ; et l’engagement d’actions, pour produire du changement.
Le numérique n’a longtemps été appréhendé qu’au travers des outils qu’il proposait. À présent, il est aussi traité sous l’angle des sujets de société. Nous voulons donc aider les acteurs à s’approprier ces sujets, à mieux comprendre leur terrain.
Pour nous, le numérique n’est pas seulement un ensemble de technologies ou un secteur, il est aussi une culture, un ensemble de pratiques et de manières de coordonner les activités humaines. C’est pourquoi nous n’organisons pas notre travail autour de thématiques techniques (par exemple le « big data »), mais plutôt autour d’enjeux sociaux, économiques, environne- mentaux…
#futureduc, une de nos « expéditions » – car il s’agit bel et bien, pour nous, d’explorer les nouveaux continents de l’innovation, ambitionne de faire émerger et de partager des visions originales pour l’École du monde francophone (France, Suisse, Canada) à l’ère numérique.
Un autre projet, Transitions2, porte sur l’écologie et le numérique : quel est leur lien ?
Comment relier ces deux transformations qui évoluent en parallèle ? Tout d’abord, rappelons que la transition est le passage d’un système complexe (un territoire, un secteur économique, le système éducatif) d’un régime à peu près stable et connu – mais devenu inadapté – à un autre état.
Il s’agit donc de décrire à la fois l’état final (souhaitable) et le chemin qui y mène. Or de ce point de vue, ces deux grandes transitions contemporaines (selon nous) sont dans des situations inverses. La transition écologique sait décrire son but (depuis au moins la fin des années soixante-dix), mais visiblement pas son chemin, puisqu’on ne progresse que très peu. La transition numérique, c’est le contraire : elle transforme tout, tous les jours, avec notre participation plutôt joyeuse, mais bien malin qui saurait en dire le but…
En juin, Transitions2 a organisé une journée en mode « connecteur recherche ». Qu’est- ce que c’est ?
Le « connecteur recherche », c’est un travail entre chercheurs et acteurs pour voir quelles sont les préoccupations ou les intentions communes. Nous avons un protocole précis de travail collectif pour que ça apporte à chacun et, idéalement, qu’il en ressorte des projets en commun.
Comment travaillez-vous, par exemple, avec le monde de l’éducation ?
Dès 2001 nous avons produit une réflexion sur le cartable électronique, laquelle a été très reprise. Elle a même abouti au schéma directeur des espaces numériques de travail (ENT). Nous cherchions alors à traiter la question sous l’angle de l’« environnement de travail » plutôt qu’en termes d’équipement, et à banaliser l’usage et les outils du numérique à l’école.
Nous en tirons un bilan à moitié satisfaisant parce que, dans la plupart des cas, l’ENT a été réduit à un cahier de texte et à un carnet de correspondance électronique, alors qu’il faudrait développer les échanges entre élèves, voire entre professeurs. L’ENT est finalement devenu un outil pour faire fonctionner le système tel qu’il est, et pas pour le changer. Le poids du système et des conservatismes (y compris de la part des enseignants) a été le plus fort.
L’éducation aborde le numérique d’abord comme un problème (y compris lorsqu’il s’agit d’en encourager le développement !), jamais, ou presque, comme quelque chose de léger, joyeux, prosaïque. C’est pour cette raison que je combats de plus en plus les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement (Tice) et l’idée même de technologies spécifiques à l’éducation : en général, elles aboutissent à transformer des outils simples qui fonctionnent bien pour tout le monde, en des outils compliqués qui ne marchent pas, ou qui s’éloignent tellement de l’expérience « normale » du numérique que leurs utilisateurs s’en détournent.