Le bien-être au travail est une notion qui suscite adhésion ou méfiance. Mais de quoi parle-t-on au juste ? Profession Éducation, pour son dossier de rentrée « Agir pour être bien dans son travail » a questionné l'économiste Claudia Senik.
Directrice de l’Observatoire du Bien-être au travail (Cepremap), est professeure d’économie à Sorbonne Université et à l’École d’économie de Paris. Elle est membre du comité d’experts CFDT / Fondation Jean-Jaurès.
Qu’entend-on par « bien-être au travail » ?
La recherche portant sur le bien-être subjectif analyse, par le biais d’enquêtes assez standardisées, ce que les gens disent de leur satisfaction. Outre une première question synthétique, « Êtes-vous satisfait·e de votre travail en général ? », et des questions sur les conditions de travail et les risques psychosociaux (RPS), on examine des facteurs de bien-être regroupés en quatre leviers.
La recherche portant sur le bien-être subjectif analyse, par le biais d’enquêtes assez standardisées, ce que les gens disent de leur satisfaction.
L’autonomie interroge la latitude décisionnelle dont on dispose — le double-bind (fixer au travailleur un objectif ambitieux sans lui donner les moyens de s’organiser pour l’atteindre) étant le pire scénario possible. On note que les salariés sont plus heureux dans les organisations de petite taille, avec une chaîne hiérarchique courte.
Les perspectives de progression dans la carrière jouent également : peut-on espérer évoluer en matière de compétences, de responsabilités, de salaire ?
Le capital social, lui, caractérise les relations avec les collègues, le management, et les motifs de reconnaissance, de confiance, d’inclusion, de coopération.
Enfin, le sens du travail – du fait du réchauffement climatique et des tensions géopolitiques – devient un levier de plus en plus important : le travail permet-il de progresser à titre personnel ? Mais aussi, plus globalement, est-il aussi utile à la société ?
À ces quatre leviers, il faut ajouter la question de la rémunération qui détermine le pouvoir d’achat du travailleur, et symboliquement, reflète la valeur accordée par la société au travail et aux compétences.
le diagnostic porte sur l’organisation (ses points forts et ses points faibles), et non sur la personne même du travailleur.
Ces questionnaires sur le bien-être subjectif au travail permettent d’évaluer le degré de satisfaction tiré de son travail, et le poids des facteurs. Mais le diagnostic porte sur l’organisation (ses points forts et ses points faibles), et non sur la personne même du travailleur.
Cet indicateur ne se substitue donc pas aux autres…
Il n’est pas question de s’émanciper totalement des mesures objectives (exposition au bruit, aux substances toxiques…) sur les conditions de travail dont on sait si elles sont bonnes ou mauvaises pour les salariés.
En revanche, il est intéressant de voir, organisation par organisation, ce qui compte ou non en matière de bien-être au travail : ici, la hiérarchie est trop rigide ; ailleurs, les demandes d’un certain type de salariés ne sont pas assez prises en compte… Cela permet d’écouter, de réaliser des études précises plutôt que de mesurer des catégories générales partout de la même manière.
Dans chaque organisation, il y a des problèmes spécifiques et une culture propre liée notamment à des habitudes communes de travail qu’on ne peut mesurer qu’avec des questions subjectives : ainsi, dans le sondage Gallup sur l’engagement des salariés (cf. ci-dessous Ressources complémentaires), la réponse à la question « Avez-vous au moins un·e très bon·ne ami·e au travail ? » dit beaucoup sur le climat de travail !
Dans chaque organisation, il y a des problèmes spécifiques et une culture propre liée notamment à des habitudes communes de travail qu’on ne peut mesurer qu’avec des questions subjectives
Comment est reçue la notion de bien-être au travail selon les secteurs public et privé ?
Un salarié heureux au travail va rester, être plus motivé et plus productif. Les entreprises privées s’intéressent d’autant plus à la question du bien-être au travail que le problème de rotation de la main-d’œuvre s’est accru et que certains secteurs d’activités peinent à recruter.
Un salarié heureux au travail va rester, être plus motivé et plus productif.
Dans le secteur public, qui rencontre aussi des problèmes de recrutement, où l’embauche de contractuels pose la question de l’insécurité de l’emploi que connaissait davantage le secteur privé, c’est une approche nouvelle mais qui commence à entrer dans les mœurs. Pour exemple, l’enquête lancée cette année par le ministère de l’Éducation nationale pour établir un baromètre du bien-être des personnels.
s’engager en publiant les résultats des analyses collectées a un effet disciplinant pour l’employeur.
La démarche d’évaluer le bien-être au travail peut éveiller la méfiance par peur d’une opération de communication, d’une sorte de well-being-washing ; c’est peut-être parfois le cas, mais s’engager en publiant les résultats des analyses collectées a un effet disciplinant pour l’employeur.
Depuis quand la sphère politique s’intéresse-t-elle à cet indicateur ?
En 2009, la France a largement contribué à le populariser avec le rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse commandé par le président Sarkozy aux économistes
, et .Depuis les années 2010, l’idée que pour évaluer l’impact des politiques publiques, il faut aussi mesurer le bien-être des gens est devenue complètement légitime, y compris pour le monde politique.
Quel est le lien entre santé au travail et bien-être ?
Pour l’OMS, la santé est « un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
Quand on place la santé parmi les variables explicatives du degré de satisfaction dans la vie ou au travail, on voit que c’est étroitement corrélé. Dans les deux sens d’ailleurs : une mauvaise santé va diminuer le sentiment de bien-être, et une insatisfaction au travail avoir des répercussions sur la santé.
Les études longitudinales montrent que moins de satisfaction au travail induit un mal-être, des problèmes de santé et un départ de l’entreprise. C’est une alerte. Le bien-être au travail est un peu le versant positif de la santé mentale négative (stress, anxiété, dépression…) : il donne la capacité d’agir, de s’engager, de trouver du sens à ce qu’on fait…
Pouvez-vous présenter l’Observatoire du Bien-être et nous dire quelle place y occupe le travail ?
L’Observatoire du Bien-être a été créé en 2016 au sein du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), association qui fait le lien entre la recherche et la décision politique.
Le thème du bien-être, de la satisfaction, du bonheur, comme on l’a vu, a pris au cours des dix dernières années une place importante dans la recherche et dans les discours publics. Au cours de mes travaux, j’avais découvert une sorte de paradoxe français dans la mesure où les Français sont en général moins satisfaits de leur vie que ce qu’on pourrait attendre. Donc avec
, nous avons trouvé important de mettre en œuvre un observatoire pour comprendre le bien-être des Français, son évolution, les différences entre les groupes sociaux…L’Observatoire fournit une analyse descriptive du bien-être et rend cet aspect de la réalité française visible aux yeux de tout le monde.
En général, la recherche est plutôt abstraite, alors qu’il est aussi intéressant de produire des informations sur la France pour comprendre ce qu’il se passe, par exemple en temps de Covid : comment les gens ont-ils réagi ? Comment s’en est-on sorti ? Qui va bien et qui ne va pas bien ? Comment la mise en place du télétravail a-t-elle été vécue ?, etc. L’Observatoire fournit une analyse descriptive du bien-être et rend cet aspect de la réalité française visible aux yeux de tout le monde.
Il a aussi une approche comparative, en allant regarder ce qui se passe dans les autres pays.
Quant au travail, il occupe une place essentielle dans les facteurs généraux de bien-être, comme vous pouvez le voir à travers les différents rapports publiés, le premier ayant précisément porté sur les Français et l’argent. Dans ce champ de recherche, l’argent est le sujet qui motive le plus les gens. Et quand on dit argent, on pense nécessairement au travail, dans ses dimensions matérielle (le revenu, le pouvoir d’achat) et symbolique (le capital social, le sens).
Parmi les facteurs de satisfaction dans la vie, énormément passent par le travail : selon qu’on en a ou pas, selon qu’il est précaire ou non, selon le pouvoir d’achat qu’il donne, les perspectives de progression qu’il permet, selon les relations avec les autres (est-on reconnu ? Est-on isolé ? A-t-on quelqu’un sur qui compter ?…).
Cet entretien a paru dans le dossier « Agir pour être bien dans son travail » du no 286 – Juillet-août-septembre 2022 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.