Bilan d'étape de la mobilisation du Sgen-CFDT, réalisé par sa secrétaire générale, Catherine Nave-Bekthi, le 24 mai 2020... Quelles perspectives ?
Bilan d’étape de la mobilisation du Sgen-CFDT, réalisé par sa secrétaire générale, Catherine Nave-Bekthi, le 24 mai 2020, au terme de la dixième semaine de confinement, quinze jours après une reprise partielle du travail en présentiel.
Bilan d’étape qui pose la mesure des enjeux en matière de conditions de travail qui seront sans doute durablement impactées par des contraintes sanitaires nouvelles et évolutives et qui auront des retombées sociales, économiques non négligeables.
Cet entretien a paru dans le dossier « Déconfinement : le combat continue » du no 275 (mars-avril-mai 2020) de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.
Quel mot te vient spontanément à l’esprit pour caractériser la manière dont tu as vécu cette crise ?
Intensité. L’engagement militant, mais aussi personnel et affectif, a été très intense dès les premières incidences de l’épidémie de Covid-19 sur le système d’éducation et de formation fin février.
Bilan d’étape sur le vécu des personnels et leurs attentes
Quels retours le Sgen a-t-il eu des conditions de travail dans ses différents champs de syndicalisation, et quelles actions a-t-il menées ?
La présence de tous les militant·e·s Sgen-CFDT auprès des agent·e·s malgré le confinement, a permis d’avoir des retours nombreux sur les conditions de travail dans tous nos champs de syndicalisation, et d’agir à différents niveaux.
Il y a d’abord eu des questions de protection de la santé. Nous sommes intervenus auprès des ministères, localement auprès des autorités académiques et des directions d’établissement pour que les personnels ayant des vulnérabilités de santé puissent obtenir des autorisations spéciales d’absence (ASA) afin de limiter les risques de contamination, avant même le confinement et les décisions de fermeture.
Il y a d’abord eu des questions de protection de la santé.
Ensuite, se sont posées des questions autour de la bascule en travail à distance, et aussi sur les conditions de maintien d’activités en présentiel (informaticien·ne·s, gestionnaires pour assurer par exemple les paies, agent·e·s des Crous auprès des étudiant·e·s souvent les plus précaires, personnels sociaux et de santé, cadres et enseignant·e·s – notamment pour l’accueil des enfants de soignant·e·s…).
Ensuite, se sont posées des questions (…) sur les conditions de maintien d’activités en présentiel…
Pour le travail à distance, la marche était haute car nos administrations n’étaient pas prêtes. Les personnels ont très rarement un équipement professionnel. On ne peut donc pas réellement parler de télétravail. Le management du travail à distance est aussi une affaire complexe et les relations hiérarchiques n’ont pas toujours été sereines. Nous intervenons donc régulièrement sur le sujet : conditions du travail à distance maintenant et revendications pour améliorer les choses à court et moyen termes.
Pour le travail à distance, la marche était haute car nos administrations n’étaient pas prêtes.
Au tout début du confinement et à l’approche de son évolution, et de la réouverture de certains sites, nous avons dû intervenir pour couper court à des velléités d’organiser des réunions en présentiel au-delà du raisonnable. Nous soutenons aussi les équipes militantes et les collectifs de travail qui rencontrent des difficultés dans la mise en œuvre des protocoles sanitaires pour protéger la santé des personnels comme des usager·e·s.
Bilan d’étape sur les éléments positifs et négatifs durant cette période
Y a-t-il eu des aspects positifs, nouveaux qui ont émergé ?
Du côté des aspects positifs, il y a les solidarités, de la créativité pour faire face à une situation inédite : tant de la part des agent·e·s publics, que de salarié·e·s, d’employeur·e·s, d’artisan·e·s-commerçant·e·s. Nous en avons toutes et tous été témoins, et d’une manière ou d’une autre bénéficiaires…
Dans nos champs professionnels, les agent·e·s ont inventé des manières de travailler entre eux, avec les élèves et étudiant·e·s pour que le fil ne soit pas rompu ou le moins possible malgré le confinement. Ils ont dû trouver leur voie au milieu d’injonctions parfois contradictoires.
les agent·e·s ont inventé des manières de travailler entre eux·elles, avec les élèves et étudiant·e·s
D’un point de vue syndical, l’ensemble de notre réseau militant a un engagement sans faille pour accompagner, soutenir les agent·e·s, faire circuler les informations, construire les interventions les plus efficaces possibles que ce soit localement ou nationalement. Il y a eu beaucoup de partage, de mutualisation. Il y a eu des pincements au cœur, des regrets, notamment lors de la dernière semaine de mai qui aurait dû être celle de notre congrès fédéral… désormais reporté d’un an.
Il y a eu des pincements au cœur, des regrets, notamment lors de la dernière semaine de mai qui aurait dû être celle de notre congrès fédéral…
Y a-t-il eu des problèmes, et de quelle nature ?
Des problèmes, il y en a eu aussi. Certains étaient conjecturables. Le Sgen-CFDT avait été force de proposition, lorsqu’en 2016 il était question de cadrer le télétravail à l’Éducation nationale et dans l’Enseignement supérieur et la Recherche… mais le ministère n’avait pas été assez réceptif. Dès 2013, nous avions souligné qu’on ne pouvait réformer les obligations de service des enseignant·e·s sans prendre en compte l’impact des outils numériques sur les manières et possibilités nouvelles de travailler et de communiquer avec les élèves et les familles, nous demandions déjà que l’employeur se préoccupe de l’équipement informatique des personnels. On nous avait alors poliment dit que le sujet était important, mais que le ministère n’était pas prêt pour avancer.
Dès 2013, (…), nous demandions déjà que l’employeur se préoccupe de l’équipement informatique des personnels.
Et puis, c’est indéniable, à situation inédite, il y a aussi eu des problèmes moins prévisibles. Le gouvernement n’ayant manifestement pas anticipé – ne le pouvant peut-être pas totalement – la durée du confinement et de la fermeture des établissements, beaucoup de décisions ont tardé : organisation des examens, des concours, des opérations collectives… chaque atermoiement, modification de décision ayant un impact immédiat sur la charge de travail, les perspectives des agents, des élèves et étudiant·e·s. Cela accroît autant l’intensité du travail que les tensions.
… à situation inédite, il y a aussi eu des problèmes moins prévisibles.
Conclusions à tirer de ce bilan d’étape
Ces aspects, positifs comme négatifs, désignent-ils de nouveaux combats à mener pour le système d’éducation, de recherche et de formation ? Et qu’en est-il des « anciens » combats ?
Le nouveau combat, celui qui est devant nous de manière assez immédiate, c’est la construction de fonctionnements hybrides et respectueux des conditions de travail et des expertises professionnelles de tou·te·s les agent·e·s. Il n’est pas exclu qu’en septembre, des contraintes sanitaires imposent encore de ne pouvoir accueillir en présentiel et simultanément autant d’agent·e·s, d’élèves, étudiant·e·s et stagiaires qu’avant le 16 mars 2020.
Le nouveau combat, (…), c’est la construction de fonctionnements hybrides et respectueux des conditions de travail et des expertises professionnelles de tou·te·s les agent·e·s.
Pour autant, nous ne pouvons laisser la jeunesse sans structures éducatives et de formation à même de les accompagner dans la construction de leur avenir, dans l’acquisition de connaissances, de compétences leur permettant de s’émanciper. Mais ce qui frappe sans doute, c’est que tant du côté des aspects positifs que des problèmes rencontrés, nous retrouvons des combats que le Sgen-CFDT ne découvre pas : impact de la révolution numérique, urgence du combat écologique pour préserver la planète, les écosystèmes et faire émerger un mode de développement soutenable, enjeux de la lutte contre les inégalités, de la prévention du décrochage, inégalités entre femmes et hommes dans le travail professionnel et dans le travail domestique et parental… Les « anciens » combats ne s’effacent pas. Le Covid-19 ne fait pas table rase du passé.
Les « anciens » combats ne s’effacent pas. Le Covid-19 ne fait pas table rase du passé.
Cependant, la crise sanitaire que nous traversons est pour partie aussi écologique, économique, sociale et politique. Elle risque fort de se prolonger dans une crise résolument économique et sociale même lorsque le risque sanitaire passerait au second plan. Bref, il y a aussi des enjeux systémiques qui nous obligent à tout revisiter, parfois à faire des articulations que nous ne voyions peut-être pas si clairement auparavant, à revoir des priorités, des urgences.
il y a aussi des enjeux systémiques qui nous obligent à tout revisiter…
Quel va être le rôle du Sgen-CFDT durant cette période de déconfinement ?
Dans cette période de déconfinement progressif, de retour au travail en présentiel et de maintien d’une forte dose de travail à distance, le rôle des militant·e·s du Sgen-CFDT va continuer à être du côté de l’accompagnement, de la mise en réseau pour ne pas être isolé·e, du soutien, des interventions auprès des autorités locales ou nationales autant que de besoin. Nous allons continuer de porter la priorité sur l’accompagnement des plus fragiles pour que les inégalités creusées par le confinement soient réduites, ne pèsent pas sur le devenir des élèves et étudiant·e·s.
le rôle des militant·e·s du Sgen-CFDT va continuer à être du côté de l’accompagnement, de la mise en réseau pour ne pas être isolé·e, du soutien, des interventions auprès des autorités locales ou nationales…
Dernier point de ce bilan d’étape : un des enseignements de cette crise n’est-il pas qu’il est temps que les décideur·e·s écoutent le terrain et construisent avec l’expertise syndicale ?
Il serait bon qu’un tel enseignement soit retenu par le gouvernement et les différents ministères. La période a été intense en matière de dialogue social, mais sans doute plutôt du côté de l’écoute que de la co-construction. Nous avons eu beaucoup de réunions (en visioconférence), nous avons beaucoup écrit, mais in fine nous découvrons encore trop souvent les décisions dans des propos médiatiques des ministres.
La période a été intense en matière de dialogue social, mais sans doute plutôt du côté de l’écoute que de la co-construction.
Illustrations
Catherine Nave-Bekhti © Anne Bruel – CFDT
© geralt / Pixabay
© mohamed_hassan / Pixabay
© Clker-Free-Vector-Images / Pixabay