Dans le cadre la Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche, le Sgen-CFDT souhaite qu'une attention particulière soit portée à la situation des enseignants-chercheurs dont la diversité des missions n'est pas reconnue dans la progression de carrière.
Dans le cadre la prochaine Loi de Programmation Pluriannuelle pour la Recherche, une délégation CFDT a été reçue le 23 mai 2019 au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche par le groupe de travail n°2 traitant de l’attractivité des emplois et des carrières scientifiques. À cette occasion, le Sgen-CFDT a souhaité porter une attention particulière à la situation des enseignants-chercheurs (EC), en particulier à celle des maître.sse.s de conférences (MCF). Pour le Sgen-CFDT, le projet de loi de programmation pluriannuelle pour la recherche doit être une occasion d’avancer concrètement sur plusieurs mandats essentiels :
- réduire les inégalités de traitement et de reconnaissance entre catégories ;
- corriger les phénomènes de plafond de verre ;
- reconnaître l’engagement dans l’ensemble des missions autres que la seule activité de recherche et de publication.
La carrière universitaire souffre d’un manque d’attractivité qui s’explique à la fois par l’indigence du niveau des rémunérations et par un manque criant de reconnaissance de certaines missions dans le déroulé de carrière. Alors que la charge des enseignants-chercheurs ne cesse de s’accroître, leur carrière se joue sur la seule activité de publication (I). Pour redonner du sens et de l’attrait à l’exercice du métier dans la multiplicité de ses facettes, la reconnaissance de la diversité des missions doit se traduire par la possibilité d’accéder aux corps et grades les plus élevés (II).
I/ Constats
Des missions toujours plus nombreuses
Il est communément admis que les enseignants-chercheurs ont une double mission d’enseignement et de recherche. Mais les missions qui leur incombent sont en réalité bien plus étendues. L’article 2 du Décret n°84-431 du 6 juin 1984, précise qu’ils concourent à l’accomplissement des missions du service public de l’enseignement supérieur prévues par l’article L. 123-3 du code de l’éducation et des missions de la recherche publique telles que mentionnées à l’article L. 112-1 du code de la recherche.
En 2009, ces missions ont été complétées par l’ajout de certaines dispositions découlant de la Loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités (LRU), notamment en ce qui concerne le tutorat et l’insertion professionnelle des étudiants, l’usage des TIC ou encore l’expertise engendrée par la création d’agences telles que l’AERES ou l’ANR.
L’article 3 dudit décret détaille ainsi les missions des EC :
- Les enseignants-chercheurs participent à l’élaboration, par leur recherche, et assurent la transmission, par leur enseignement, des connaissances au titre de la formation initiale et continue incluant, le cas échéant, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication.
- Ils assurent la direction, le conseil, le tutorat et l’orientation des étudiants et contribuent à leur insertion professionnelle.
- Ils organisent leurs enseignements au sein d’équipes pédagogiques dans tous les cursus universitaires et en liaison avec les milieux professionnels. Ils établissent à cet effet une coopération avec les entreprises publiques ou privées.
- Ils concourent à la formation des maîtres et à la formation tout au long de la vie.
- Ils ont également pour mission le développement, l’expertise et la coordination de la recherche fondamentale, appliquée, pédagogique ou technologique ainsi que la valorisation de ses résultats.
- Ils participent au développement scientifique et technologique en liaison avec les grands organismes de recherche et avec les secteurs sociaux et économiques concernés.
- Ils contribuent à la coopération entre la recherche universitaire, la recherche industrielle et l’ensemble des secteurs de production.
- Ils participent aux jurys d’examen et de concours. Ils contribuent au dialogue entre sciences et sociétés, notamment par la diffusion de la culture et de l’information scientifique et technique. Ils peuvent concourir à la conservation et l’enrichissement des collections et archives confiées aux établissements et peuvent être chargés d’activités documentaires.
- Ils contribuent au sein de la communauté scientifique et culturelle internationale à la transmission des connaissances et à la formation à la recherche et par la recherche. Ils contribuent également au progrès de la recherche internationale.
- Ils peuvent se voir confier des missions de coopération internationale.
- Ils concourent à la vie collective des établissements et participent aux conseils et instances prévus par le code de l’éducation et le code de la recherche ou par les statuts des établissements.
Toutefois, malgré la richesse des missions qui leur sont statutairement assignées -ce qui devrait continuer de s’affirmer avec la mise en place des lois ORE et LCAP, la carrière des EC se joue presque exclusivement sur leur activité de recherche, et plus précisément de publication.
En 2015, un rapport de l’IGAENR citait une étude du Collège de France portant sur un suivi de cohorte au long cours. Il apparaît qu’après 20 ans de carrière, 26,5 % des individus observés sont toujours MCF de classe normale, 26% sont passés à la hors classe de ce corps et 47,5% sont devenus professeurs.
Bien que les sections du Conseil national des universités (CNU) revendiquent de tenir compte d’une implication significative dans les autres activités de l’EC (pédagogie, responsabilités collectives, etc.), l’ensemble des études et rapports s’intéressant à la carrière des EC montre une très forte survalorisation de la recherche, en particulier pour l’accès au corps des professeurs.
Une dérive bibliométrique qui détourne des autres missions
À l’origine, la bibliométrie est un sous-ensemble de la scientométrie mais depuis les années 1970 que se développent les politiques publiques de la recherche, elle est progressivement devenue un outil universel d’évaluation des chercheurs et des enseignants-chercheurs sans qu’il soit tenu compte, pour ces derniers, du fait que leurs missions soient très diverses. À partir des années 2003-2005, la dérive bibliométrique touche à son paroxysme avec l’apparition de deux nouveaux outils qui vont rapidement imposer une standardisation de portée mondiale :
– Le classement dit « de Shanghai » des cinq cents « meilleures » universités établi à partir de 2003 par l’université Jiao Tong auquel les décideurs se réfèrent pour fonder des décisions stratégiques visant à améliorer la position de leur établissement dans la hiérarchie ;
– L’invention en 2005, de l’indice h – ou h index– par le physicien américain Jorge E. Hirsch : cet indice a pour but de quantifier la productivité et l’impact d’un scientifique en fonction du volume et du niveau de citation de ses publications.
Il convient d’ajouter que l’évolution du financement de la recherche par des crédits obtenus sur appels à projets, a sans doute accentué le mouvement de survalorisation de l’activité de publication au détriment de toutes les autres.
Dans ces conditions, comme le rapporte l’IGAENR, il est logique que les observateurs les plus avisés notent que les jeunes EC s’impliquent prioritairement dans le volet recherche de leur mission, et que, parallèlement, l’accroissement de la concurrence entraîne une stigmatisation des EC les moins performants en recherche (IGAENR, 2015, pp. 81-82).
Une rémunération et des perspectives de carrières peu attractives
Un enseignant-chercheur recruté comme maitre de conférences à l’âge de 34 ans en moyenne, débutera généralement au 2ème échelon de la classe normale (Indice 525, soit 1993€ nets) grâce à la reprise d’une partie de son parcours antérieur. Il sera donc embauché à 1,6 fois le SMIC alors qu’il doit justifier d’au moins 8 années d’études supérieures sanctionnées par un Doctorat.
Ses perspectives d’évolution de carrière ne seront guère réjouissantes puisqu’il pourra espérer accéder à la hors-échelle A (HEA) en 21 ans minimum, à condition qu’il ait franchi le cap de l’avancement de la classe normale à la hors-classe qui se fait au choix. C’est-à-dire à l’âge de 55 ans, au mieux, s’il est resté dans le corps des MCF. Un agrégé accédera, quant à lui, à la HEA en 23 ans s’il a bénéficié de 2 accélérations de carrière (en 25 ans au mieux sans accélération), soit à l’âge de 48 ou 50 ans puisqu’il aura été recruté à l’âge de 25 ans.
La durée de la thèse de doctorat, qui est de 3 ans au minimum -et qui n’entre pas nécessairement dans le décompte d’ancienneté alors que les années d’études à l’ENS sont reprises-, apparaît comparativement comme une pénalité qui dure tout au long de la carrière.
Certes, le passage dans le corps des professeurs d’université lui offrirait un débouché plus favorable mais cela ne concerne que 47,5% des cas (cf. enquête de l’IGAENR citée supra). En 2015, 26% des MCF qui sont partis en retraite étaient bloqués au dernier échelon de la classe normale ! Le ratio promouvables / postes ne devrait pas offrir beaucoup plus de possibilités à l’avenir, bien au contraire.
Et quand bien même serait-il devenu professeur des universités, notre MCF n’aurait pas pu accéder à la HEA avant l’âge de 52,7 ans, en moyenne !
L’enjeu de la reconnaissance de la diversité des missions dans la progression de carrière des enseignants-chercheurs est donc double : il s’agit à la fois de remobiliser celles et ceux qui ont de l’expérience et des compétences dans les multiples facettes que recouvre leur métier et de revaloriser l’ensemble des missions d’intérêt général auprès de la jeune génération. Pour ce faire, il faut que l’engagement dans toutes les missions soit pleinement reconnu et qu’il offre des perspectives de carrière aussi gratifiantes que celles qui sont assurées par l’activité de publication.
II/ Propositions
Reconnaître la diversité des missions pour la progression de carrière des EC revient à s’interroger sur les différentes voies d’accès possibles aux corps et grades les plus élevés. Autrement dit, il s’agit d’offrir aux MCF une réelle perspective de carrière en corrigeant les phénomènes de plafond de verre.
Les femmes sont particulièrement touchées par ce phénomène puisque la part des promues décroit avec la progression des avancements de grade : de la hors classe des MCF où elles sont 46,7%, au 2ème échelon de la classe exceptionnelle des professeurs où elles ne représentent plus que 16,9% des promus (source : DGRH, 2016).
Ajuster les mesures PPCR
Dans le cadre de la négociation du Protocole Parcours, Carrières et Rémunération (PPCR), plusieurs propositions ont été formulées par les organisations syndicales concernant la revalorisation de carrière mais certaines n’ont pas été retenues.
Ainsi, il s’agirait de :
- transformer l’échelon spécial qui a été ajouté dans le cadre de PPCR en 7ème échelon de la hors classe des MCF. L’accès à l’indice HEB serait ainsi décontingenté sur le modèle de ce qui a été mis en place pour la 2ème classe des professeurs ;
- abaisser la durée du 5ème échelon de la HC des MCF et de la 2ème classe des PR (IM 830) à 3 ans, comme prévu pour les grilles cibles (2020) des PRAG ou des IGR, et pour coller à la situation actuelle des administrateurs civils.
Revaloriser les grilles indiciaires
Une idée pourrait être de calquer la grille indiciaire du corps actuel des MCF sur celle des administrateurs civils (deux premiers grades) : indice sommital de la hors classe à la HEB bis par création de 2 échelons supplémentaires : un 7ème échelon à la HEB (cf. point II.1.) + un échelon spécial à la HEB bis. L’accès à cet échelon spécial pourrait se faire au choix, selon le modèle de la procédure d’avancement spécifique et avec un cadrage des fonctions et responsabilités pédagogiques à valoriser.
L’alignement des grilles des EC sur celles des administrateurs est une proposition ancienne (L. Jospin). Dans les années 90, les grilles de MCF et d’administrateurs étaient identiques avec un indice sommital à la HEA. Depuis, seul une partie des premiers pourront prétendre accéder à la HEB via le nouvel échelon spécial contingenté alors que les seconds passent automatiquement à la HEB bis.
Fusionner les corps de MCF et professeurs
Si l’organisation en deux corps distincts a longtemps semblé faire consensus, elle ne semble pas très adaptée à une reconnaissance équitable de l’engagement des enseignants-chercheurs dans la diversité des missions qui leur sont confiées. D’ailleurs, l’égalité de vocation entre les deux corps est globalement devenue la règle. Le corps des MCF n’est plus le supplétif des professeurs de faculté, comme ce fut le cas à l’origine de sa création, au XIXème siècle.
Depuis lors, la massification de l’enseignement supérieur tout comme l’ensemble des développements précédents plaident plutôt en faveur de la constitution d’un corps unique, ce qui fut déjà fait entre 1979 et 1984 par l’intégration et le reclassement des MCF dans le nouveau corps des professeurs des universités.
Fluidifier les carrières grâce à la mobilité
La CFDT est attachée au droit de tout fonctionnaire à une mobilité choisie, géographique ou fonctionnelle. Mais les demandes de mutation des enseignants-chercheurs aboutissent peu : selon les bilans sociaux produits par le ministère, moins d’un quart des maîtres de conférences (MCF) voient leur demande de mutation satisfaite, et moins de la moitié des professeurs d’université.
Ce faible taux de mutation a des conséquences sociales souvent lourdes pour les MCF, car cela entrave leur évolution personnelle et professionnelle. En effet, la mobilité qui s’effectue le plus souvent lors du changement de corps (de MCF à PU) ne peut bénéficier à tous.
Or, il est inévitable qu’en dix, quinze ou vingt ans de carrière, la plupart des EC voient leur situation familiale changer, ou s’engagent dans de nouvelles thématiques scientifiques pour lesquelles un changement d’équipe de recherche et donc de lieu s’impose.
Afin de fluidifier les carrières, il est nécessaire de mettre en œuvre une véritable procédure de mutation pour les enseignants-chercheurs via un mouvement spécifique et distinct de la campagne synchronisée de recrutement. Les modalités de cette procédure de mutation ont été élaborées dans le cadre de l’agenda social et approuvées à l’unanimité du Comité technique des personnels de statut universitaire (CTU) en février 2016.