Permettre à des jeunes de mieux choisir leur orientation professionnelle, c'est l'objectif affiché par le CEGEP au Québec en proposant des parcours modulaires pour les jeunes entre 16 et 18 ans. Le Sgen-CFDT a interviewé Luc Allaire de la Centrale des Syndicats du Québec pour en savoir plus.
Le CEGEP, vous connaissez ? Luc Allaire, Responsable des relations internationales à la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ), premier syndicat en éducation qui syndique des personnels depuis la petite enfance jusqu’à l’Université a accepté de nous en parler.
Quels sont aujourd’hui au Québec les problématiques rencontrées par les personnels ?
L’éducation, au Canada est de responsabilité provinciale. Il n’y a pas de Ministre de l’Éducation au Canada.
Chaque province possède son propre système éducatif et au Québec, il n’est pas question que cela devienne canadien. Au Québec, on est actuellement en négociations de notre convention collective signée pour trois ans avec pour principal enjeu, les conditions de travail.
La pandémie a eu des répercutions et aujourd’hui de nombreux élèves se retrouvent en difficulté avec un retard à récupérer. Le problème, c’est que le gouvernement du Québec a décidé d’améliorer les conditions de travail seulement pour le personnel enseignant en ignorant le personnel professionnel et le personnel de soutien.
Or pour ces élèves, on a besoin d’orthopédagogue, de technicien en éducation spécialisé. Le gouvernement de façon populiste et par souci de communication à l’opinion publique qui connait les enseignants ne se soucie pas de ces personnels. Pour la CSQ, l’enjeu est important de faire reconnaître le travail de ces personnels qui agissent pour l’inclusion, pour les remédiations des élèves en difficulté. Il faut que les personnels spécialisés puissent intervenir le plus tôt possible afin d’accompagner ces élèves. La négociation est donc difficile pour faire reconnaître le travail de ces personnels.
Pour beaucoup d’enseignants français, le système québécois est en avance sur un grand nombre de sujets
Comment tu comprends cette vision idéale qu’en font les personnels dans notre pays ?
Au Québec, on dit « quand on se regarde, on se désole mais quand on se compare, on se console ».
La grosse différence, c’est que par exemple, dans notre convention collective, on définit les conditions salariales, les conditions de retraite. Pas question par exemple dans notre pays que le gouvernement change unilatéralement l’âge de départ en retraite.
C’est la négociation qui est au centre de notre système éducatif.
Cela doit entrer dans la convention et être accepté par les organisations syndicales. En fait, tout est défini dans une convention collective : le nombre d’élèves par classe, le fait que les élèves en difficulté compte pour un pourcentage qui permet de diminuer ce nombre d’élève par classe, (un élève autiste compte ainsi pour deux élèves).
Par exemple en primaire, le nombre négocié est de 22 élèves par classe mais s’il y a un ou deux élèves en difficulté ou en inclusion, le nombre est diminué à 17 ou 18 élèves.
Le gouvernement ne peut changer seul cela, c’est conventionné et fait l’objet de négociation tous les trois ans.
On souffre aussi de pénurie d’enseignant.e.s donc on travaille actuellement à l’amélioration des conditions de travail. Attirer les enseignants, c’est bien et le salaire a fait l’objet de belles améliorations, maintenant, on se doit de les garder en améliorant leurs conditions d’exercice du métier. Aujourd’hui, un enseignant sur 5 va quitter son poste dans les cinq premières années suivant sa nomination. Comme il y a le plein emploi au Québec avec un taux de chômage autour de 4 %, un enseignant qui a un diplôme universitaire a beaucoup de facilités pour trouver un autre emploi avec des conditions de travail et des conditions salariales meilleures.
CEGEP : Qu’est-ce que c’est ? depuis quand cela existe-t-il et pourquoi avoir mis en place cela ?
CEGEP : Collège d’enseignement Général et Professionnel.
On va y trouver des étudiants qui sont en formation préuniversitaire ce que l’on appelle formation générale ou en formation technique (la voie qui mène vers le marché du travail).
C’est à la fin du CEGEP que sera délivré le premier diplôme universitaire soit l’équivalent de ce que la France possède avec le Bac.
D’où vient ce CEGEP ? A la fin des années 60, débuts des années 70 une commission d’enquête, la Commission Parent, a constaté qu’au Québec, les élèves étaient, au Canada, celles et ceux qui avaient le moins d’éducation et donc un retard important.
Le Québec était la province qui comptait le moins d’élèves accédant à l’Université. En conséquence, on a d’abord augmenté l’âge de scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans. On a aussi changé le modèle scolaire en le passant à 6 ans et le modèle secondaire à 5 ans.
On a ensuite créé le CEGEP entre le secondaire et l’Université, un temps qui dure 2 ans, qui est obligatoire pour tous les jeunes. L’intérêt du pré-universitaire, c’est que les étudiants, après le secondaire ont deux ans pour choisir la formation qui va leur convenir.
Ils bénéficient ainsi de deux années d’exploration sanctionnées par un diplôme le Diplôme D’études Collégiales (DEC) qui peut être technique ou préuniversitaire et validé par un contrôle continu.
Le CEGEP est gratuit alors qu’à l’Université, il y a des frais de scolarité. Le CEGEP existe dans toutes les régions du Québec donc les jeunes qui habitent dans des zones plus isolées n’ont pas à déménager dans des villes pour y accéder.
Concrètement, un jeune québécois peut faire quoi dans un CEGEP ?
Dans la formation au CEGEP, il y a un tronc commun avec certaines disciplines obligatoires : philosophie, anglais, littérature française et éducation physique.
Ils peuvent ensuite choisir certains modules qui orientent leur parcours universitaire.
Ainsi, ils peuvent aller soit en sciences de la nature, sciences humaines ou vers d’autres choix.
Ils ont toujours des cours à options pour explorer différents sujets. Quelqu’un qui est en sciences humaines peut prendre des cours de physique pour voir si cela peut l’intéresser, des cours de sciences politiques ou sciences économiques. Il peut ainsi se faire une idée de ce que cette matière recouvre.
Par exemple, moi, quand j’étais au CEGEP, j’ai pris des cours de sociologie, de sciences politiques et de psychologie. Mon choix s’est porté sur la sociologie et l’économie au bout du compte. Je me suis rendu compte que la psychologie ce n’était pas pour moi. C’est en testant que je m’en suis rendu compte. En fait, quand on est jeune, on ne sait pas ce que l’on veut. On ne veut pas faire forcément ce que nos parents faisaient comme cela se passait autrefois.
Ces deux années permettent d’explorer différents domaines et le fait que ce soit près de chez soi, gratuit, c’est un gros avantage.
Pourquoi cela n’existe pas partout au Canada ?
Étrangement, le Québec est le seul endroit où cela existe dans le monde. Les détracteurs du CEGEP disent que si cela fonctionnait, d’autres pays l’auraient adopté. Au Québec, on répond à cela que cela fonctionne bien dans notre province. Ainsi, le nombre d’étudiants qui y font des études supérieures a dépassé la moyenne dans le reste du Canada.
Ce choix permet à beaucoup plus de jeunes de poursuivre leurs études supérieures et ainsi de les tirer vers le haut en augmentant leur niveau de qualification.
Et pour ceux qui veulent faire une formation technique ?
Un jeune qui ne veut pas faire d’études longues bénéficient quand même d’une formation générale grâce au CEGEP, deux années durant lesquelles, il va pouvoir choisir son parcours.
Lorsqu’il arrivera sur le marché du travail,il aura pu bénéficier d’un enseignement général, plus facilement progresser dans sa carrière.
Compte tenu que les métiers changent rapidement, la formation générale permet une adaptation du jeune au marché du travail plus aisément. Cela le rend capable d’apprendre à apprendre.
Tous les étudiants en formation technique vont donc faire une formation générale préuniversitaire (le CEGEP), puis une formation technique.
Une fois cette formation terminée, ils font le choix, soit d’aller sur le marché du travail, soit d’aller à l’université.
Là, l’Université va leur reconnaître des crédits faits au CEGEP et ainsi sa formation universitaire sera raccourcie d’autant.
Cela a provoqué un grand engouement pour les formations techniques ce qui n’existait pas auparavant.
Pour les parents, avant, c’était plutôt la voie générale qui était valorisée. Grâce à cette passerelle possible, la formation technique devient attrayante pour les jeunes mais aussi pour les parents. Un jeune par contre, qui à 16 ans, veut entrer de suite dans un métier peut basculer dans une voie professionnelle en Centre de Formation Professionnelle. Cela relève du secondaire (pas de l’Université comme le CEGEP) et débouche sur un Diplôme d’Etudes Professionnelles. On a cependant peu d’étudiants qui le font car le CEGEP permet une grande flexibilité.
Un exemple de module dans un CEGEP ?
Un étudiant qui va choisir comme module Sciences de la nature va apprendre la Physique, la biologie, la chimie. Il pourra ensuite soit aller en médecine ou en science physique.
Cela va lui donner une panoplie de choix par la suite lorsqu’il ira vers l’université. Le choix du module, permet une orientation large en fonction de ses affinités et de retarder le choix de la filière dans laquelle le jeune va vouloir aller.
Il va explorer différentes matières et au bout de deux ans, pouvoir choisir l’orientation qui l’intéresse davantage.
On a des CEGEP qui se spécialisent sur certaines filières : par exemple techniques policières ou techniques audiovisuelles.
Quelles conséquences pour le parcours universitaire ?
En comparant avec les autres provinces canadiennes, on remarque que grâce au CEGEP, on a moins d’étudiants qui changent de parcours à l’Université durant leurs études.
Comme l’Université est payante, cela coûte donc moins cher aux étudiants grâce à cette limitation du changement de filière.
Au CEGEP, en plus, un jeune peut changer de parcours, de module, de cours à options en fin de trimestre et il y a des correspondances. Pour certaines modules, on peut demander à un jeune de faire des cours de renforcement sur une discipline pour atteindre le niveau demandé dans un module en cours d’année.
Par contre, pour accéder ensuite à certaines formations après le CEGEP, il sera nécessaire d’avoir des bonnes notes.
L’évaluation, la note (côte R) détermine la possibilité d’accéder ou non à certaines études par la suite.
Que fait-on pour accompagner ces jeunes dans leur choix ?
Chaque élève peut disposer d’une personne que l’on appelle : Aide Pédagogique Individuelle (API). Son métier c’est accompagner. Quand un jeune entre au CEGEP, il rencontre systématiquement cette personne et peut ainsi déterminer ses aspirations, ses goûts, ses aptitudes. L’API l’aider à l’orienter dans ses choix.
Il y a ensuite les conseillères d’orientation qui vont l’accompagner. Cette rencontre va déterminer au bout du compte son nombre d’heures de cours car on a beaucoup de jeunes qui travaillent en même temps pendant leur temps au CEGEP.
La pénurie de main d’œuvre au Québec leur permet de trouver facilement un emploi sur le weekend le plus souvent et ainsi d’être plus indépendant financièrement. Le jeune peut rencontrer cette API tout au long de son parcours au CEGEP en fonction de ses besoins et s’il veut changer d’orientation, de modules.
50 ans après, quel bilan ?
Personnellement, j’en fait un bilan excellent du fait que cela a ouvert l’enseignement supérieur à un très grand nombre de jeunes. Aujourd’hui, plus de 50 % des jeunes d’une classe d’âge accèdent à des études universitaires.
On est la province du Canada où on a le plus de jeunes qui poursuivent leurs études ce qui a donc permis une démocratisation de l’éducation.
C’est donc un résultat fantastique. Le slogan qui était utilisé au début pour inciter les jeunes à poursuivre les études était « qui s’instruit s’enrichit ». Il prend tout son sens d’autant qu’à l’époque, le Québec était la province la plus pauvre du Canada voire d’Amérique du Nord. On a aussi au Québec un taux de chômage inférieur à celui du Canada donc les indicateurs peuvent laisser penser qu’il y a une relation de cause à effet avec la mise en œuvre du CEGEP.
Autre effet, cela a permis d’attirer des entreprises notamment informatiques du fait que ces modules permettent aux jeunes de ne pas avoir une orientation par défaut mais sur la base d’un choix de leur part. On est moins aujourd’hui au Canada dans le « Québec bashing » même si cela existe encore.