CONTRACTUELLE À L'ÉDUCATION NATIONALE. Après un BTS, Céline Turlin travaille en entreprise, en crée une, puis est formatrice en centre pénitentiaire. À 40 ans, elle devient enseignante contractuelle à l'Éducation nationale.
Quel a été ton parcours professionnel avant d’enseigner dans l’Éducation nationale ?
Après mon BTS assistant de gestion que j’ai fait en alternance, j’ai continué de travailler dans la même entreprise à Reims. Hélas, elle a fermé deux ans plus tard. L’école avec laquelle j’avais préparé mon diplôme recherchant des enseignants, elle avait demandé à mes professeurs quels anciens élèves seraient capables d’assurer des cours. Ainsi, à 24 ans, j’ai eu une première expérience dans l’enseignement en donnant des cours à des étudiants de 1ere et 2e année de BTS assistant de gestion. Mais à la fin de l’année, l’école a été rachetée et comme je venais d’arriver, je n’ai pas été gardée. contractuelle
J’ai cherché du travail dans ce que j’aimais faire : je suis comptable de formation, et j’ai travaillé dans diverses entreprises, surtout dans le secteur du bâtiment (mon père était dans les travaux publics) jusqu’à ce que je crée mon entreprise dans ce même secteur, en association avec un ancien conducteur de travaux et un ancien maçon. E n 2008, il y a eu la crise, j’ai eu un contrôle fiscal et, émotionnellement, j’ai eu du mal à me remettre de devoir licencier beaucoup de pères de famille – étant moi-même parent, cela me mettait dans une situation assez délicate. Je me suis dit que je ne voulais plus faire de comptabilité mais me consacrer à une autre chose que j’aimais, à savoir l’enseignement.
je suis comptable de formation, et j’ai travaillé dans diverses entreprises, surtout dans le secteur du bâtiment (…) jusqu’à ce que je crée mon entreprise dans ce même secteur
Deux mois après, une annonce à Pôle emploi pour le Centre de détention de Liancourt – en partenariat avec le centre de formation privé qui s’appelle ID Formation – recherchait un formateur en gestion d’entreprise. J’ai postulé et commencé à travailler le 1er septembre 2008. J’étais formatrice Entreprise d’entraînement pédagogique (EEP) : j’avais une entreprise virtuelle, avec différents services (RH, secrétariat, comptabilité, commercial) que je faisais fonctionner. On était géré par le Réseau des entreprises d’entraînement pédagogiques (REEP) et on travaillait avec d’autres centres de détention, avec des Greta, des lycées professionnels. On commerçait entre nous, mais essentiellement par courrier parce qu’il n’y a pas Internet en prison. À la fin des sessions de formation – qui duraient quatre mois –, des responsables de la Chambre des métiers venaient juger si le projet de création d’entreprise à l’extérieur sur lequel avait travaillé mes élèves était viable ou non. contractuelle
une annonce à Pôle emploi pour le Centre de détention de Liancourt (…) recherchait un formateur en gestion d’entreprise. J’ai postulé…
En 2010, la direction interrégionale a voulu que les formations changent et comme l’Oise est une zone de plateforme logistique, elle a demandé qu’on fasse une formation logistique. Leur souhait était de garder le centre de formation pour lequel je travaillais et que j’assure le métier, sauf que j’ignorais ce qu’étaient un cariste, un préparateur de commandes… parce que c’était loin de mon expérience dans les métiers du bâtiment. Donc je me suis autoformée, en allant faire des visites d’entreprises, des stages, en rencontrant des professionnels. Puis j’ai assuré une formation, toujours de quatre mois, de réceptionnaires et de préparateurs de commandes. On faisait passer les certificats d’aptitude à la conduite en sécurité (Caces) avec un centre de formation qui venait de Reims.
En juin 2018, on a fait passer la première session de CAP opérateur logistique, et j’ai fait valider mon magasin pédagogique par un inspecteur – lequel, une semaine avant les épreuves du CAP, nous avait envoyé la base de données que les détenus devaient avoir pour passer les épreuves. Sauf qu’il y avait plein de choses qui requéraient l’utilisation d’Internet ! J’ai dû très vite rédiger les épreuves pour l’examen…
Quand les collègues de Méru sont venus évaluer mes élèves, en voyant le travail fourni, ils m’ont dit que c’était une personne comme moi qu’il leur fallait à l’Éducation nationale ! Ils m’ont incité à postuler. J’ai envoyé ma candidature à l’inspecteur qui m’avait suivie. En juillet 2018, il m’a proposé un poste à Amiens. J’habitais alors à côté de Compiègne, ce qui pour une mère seule avec deux enfants était beaucoup trop loin. Quand il m’a proposé un poste pour la rentrée scolaire 2018 à Montdidier, j’ai tout de suite accepté.
Quand les collègues de Méru sont venus évaluer mes élèves, en voyant le travail fourni, ils m’ont dit que c’était une personne comme moi qu’il leur fallait à l’Éducation nationale !
Actuellement, tu es contractuelle en durée déterminée. Combien d’années d’expérience professionnelle ont-ils repris ?
Il me semble qu’ils ont repris 10 ans. Mais j’ignore comment cela fonctionne. J’ai commencé à l’échelon 2, et je suis à l’échelon 3.
As-tu comme projet de devenir titulaire ?
Ce n’était pas mon but à l’origine. Quand j’ai commencé mon année d’enseignement, j’ai eu une formation pour les contractuels et en rencontrant des collègues, j’avoue qu’on me donnait l’opportunité de faire à 40 ans le métier que j’avais toujours eu envie de faire. Je voulais être prof depuis que je suis au collège, sauf que je suis petite et que ma mère m’en a dissuadé parce qu’elle disait que j’allais me faire piétiner par mes élèves et elle m’a poussé à faire autre chose. Du coup, j’ai laissé mon rêve de côté, mais je suis fière de mon parcours, de ce que j’ai fait pour arriver là où je suis. Je suis tellement contente qu’en fait, je ne me suis posée aucune question. J’étais, enfin, en train de faire ce que j’avais voulu faire toute ma vie !
je suis fière de mon parcours, de ce que j’ai fait pour arriver là où je suis. Je suis tellement contente qu’en fait, je ne me suis posée aucune question.
Pour toi, être en CDD est plutôt un avantage ?
N’étant pas propriétaire, si je voulais acheter une maison, ce serait un peu compliqué. Je n’étais pas consciente de tous les aspects négatifs qu’il y avait dans ce statut de contractuelle. Quand on est formateur pour le privé, on a les CDD qui s’enchaînent. Je m’étais battue pour avoir mon CDI, je l’avais obtenu, puis je n’ai pas continué parce que le contrat au niveau de la prison avait changé.
Je n’étais pas consciente de tous les aspects négatifs qu’il y avait dans ce statut de contractuelle.
Le fait d’avoir intégré l’Éducation nationale, encore une fois, c’était pour moi une fierté ! Je ne voyais pas l’inconvénient du CDD à ce moment-là. C’est en parlant avec les collègues lors de la formation que j’ai pris la mesure des choses. Ils disaient notamment qu’avec le concours, on allait se retrouver dans des endroits qu’on n’a pas choisis. Ce sont des personnes qui ont déjà fait leur vie, et pour ma part je ne peux pas non plus bouger avec mes enfants. Mon gamin à l’époque était apprenti, je le déposais à 6 heures le matin avant d’aller travailler, je ne pouvais pas me permettre de bouger. Je me suis dit que je verrais au fur et à mesure. J’ai eu la chance d’avoir un proviseur qui m’a assuré mon poste d’année en année (je crois qu’on appelle cela un « poste gelé »).
Mon gamin (…) était apprenti, je le déposais à 6 heures le matin avant d’aller travailler, je ne pouvais pas me permettre de bouger.
Donc, tu bénéficies d’une certaine sécurité… contractuelle
Les inspecteurs que j’ai vus plusieurs fois et mon proviseur m’ont poussé à passer le concours et ça m’intéressait pour la sécurité de l’emploi parce que mon objectif, au départ, était d’être cédéisée. Mais je me suis dit que s’il m’arrivait un jour de ne pas pouvoir reprendre à la rentrée et que mon contrat soit cassé, il me faudrait attendre à nouveau 6 ans pour pouvoir obtenir un CDI, et c’est une partie de mes rêves qui s’envole. Mon proviseur a insisté sur le salaire, mais ce que je priorise, c’est de pouvoir enfin me poser et continuer d’évoluer dans un même lycée. Cela ne m ‘attire pas de changer de lycée tout le temps. contractuelle
ce que je priorise, c’est de pouvoir enfin me poser et continuer d’évoluer dans un même lycée.
Te sens-tu reconnue par tes collègues titulaires ?
J’ai eu tout l’appui de mon tuteur… Il est venu dans l’une de mes séquences de cours où j’étais avec des élèves de CAP, et c’était la première fois que je me sentais reconnue, que j’avais l’impression d’avoir légitimement ma place. Après, est-ce le cas avec tous mes collègues ? Je ne le pense pas. Je dis ce que j’ai à dire mais je ne m’impose pas, je n’aime pas les histoires. En revanche, si un collègue – notamment au moment de la répartition des heures pour l’année scolaire suivante – me disait qu’il a plus son mot à dire parce que titulaire, je pense que je le prendrais mal. contractuelle
J’ai eu tout l’appui de mon tuteur (…) est-ce le cas avec tous mes collègues ? Je ne le pense pas.
Le Sgen-CFDT revendique la titularisation sans concours, sous certaines conditions (notamment un certain nombre d’années d’expérience), qu’en penses-tu ?
Je ne veux pas me jeter de fleurs, mais je pense que je suis une sacrée bosseuse ! J’aimerais bien parfois, même par le biais des inspecteurs, être jugée par mes pairs ou par mes élèves, et pouvoir bénéficier d’un petit coup de pouce, parce que le concours… La première fois que je l’ai passé, j’ai réussi l’écrit ; à l’oral, j’ai été déstabilisée et j’ai regretté de ne pas avoir, en face de moi, quelqu’un qui me tende un peu plus la main. Le fait d’être obligée de passer par tout ça pour être titularisée, je trouve cela dommage.
J’aimerais bien parfois, même par le biais des inspecteurs, être jugée par mes pairs ou par mes élèves, et pouvoir bénéficier d’un petit coup de pouce
Certains titulaires ne veulent pas que les non-titulaires aient les mêmes droits qu’eux… contractuelle
J’ai envie de leur répondre : venez me voir dans ma salle de classe ! Je peux comprendre qu’ils ont passé des années d’études sans doute plus nombreuses que moi, mais j’ai une expérience professionnelle, j’ai continué d’évoluer, d’apprendre, de m’enrichir et je pense que tout cela fait aussi partie de mon parcours et de ce que je peux transmettre à mes élèves aujourd’hui.
Qu’imaginerais-tu comme système de mobilité pour les contractuels qui réussiraient le concours ou seraient titularisés sans passer le concours ?
Il faudrait peut-être étudier le cas de chacun. Quelqu’un qui a 25 ans, qui n’a pas de responsabilité familiale et qui vient d’obtenir son concours, comparé à quelqu’un comme moi qui a 45 ans et encore un enfant à charge, il faudrait voir quelles sont les disponibilités. Je ne suis pas opposée au fait de bouger, mais si on pouvait me proposer plusieurs choix, j’apprécierais.
Y a-t-il quelque chose dont tu voudrais parler concernant tes conditions de travail, ou ton métier ?
Non, je suis heureuse, j’aime vraiment ce que je fais… J’espère qu’il ne m’arrivera jamais d’aller travailler sans joie. Je me lève toujours avec autant de plaisir, cela depuis que je suis formatrice au centre de Liancourt. Le fait de transmettre, de partager… Mon métier n’est pas quelque chose de contraignant, c’est une passion. Quel plaisir j’y prends, vraiment ! contractuelle
Mon métier n’est pas quelque chose de contraignant, c’est une passion.
Un extrait de cet entretien réalisé par Jean-Luc Evrard a paru dans le dossier « Contratuel·le·s : un même travail, un même traitement » du no 285 -Mai-juin 2022 de Profession Éducation, le magazine du Sgen-CFDT.