Par une décision du 22 décembre 2017, le conseil d’État a annulé la circulaire 24 avril 2017 organisant la procédure d’admission post-bac qui officialisait la pratique du tirage au sort dans les filières en tension.
Cette décision n’est pas une surprise. C’est le raisonnement utilisé qui retient l’attention, alors que le débat se poursuit sur le projet de loi « Orientation et réussite des étudiants. »
Le Conseil d’État n’a en effet pas basé sa décision sur des questions techniques : usage d’une circulaire en lieu et place d’un arrêté, etc. Il n’a pas non plus souhaité trancher un débat de principe sur l’usage du tirage au sort dans les procédures administratives, auquel « aucun texte ni aucun principe ne fait obstacle. » Il se base uniquement sur le partage des tâches entre pouvoir législatif et pouvoir réglementaire.
Le tirage au sort n’est pas prévu par la loi
L’argument est le suivant : la loi (dans sa formulation actuelle) énonce clairement les critères d’affectation au cas où le nombre de candidats dépasse le nombre de places. Les affectations sont prononcées « en fonction du domicile, de la situation de famille du candidat et des préférences exprimées par celui-ci. » (article L612-3 du code de l’éducation, 2e alinéa).
Cette liste a « un caractère limitatif » (4e attendu de la décision). Le pouvoir réglementaire peut expliciter la manière dont l’administration applique ces critères mais il ne peut en créer de nouveaux sans empiéter sur le domaine législatif.
Or, dans le cas où les critères légaux ne suffisaient pas à départager les candidats, la circulaire prévoyait de tirer au sort ceux des candidats éligibles qui serait affectés dans la formation demandée.
Le tirage au sort fonctionne comme un critère supplémentaire…
Pour évaluer l’impact de cette mesure, le conseil d’État a choisi de juger sur pièces, en « laissant tourner » la circulaire pour la rentrée 2017, et d’étudier les statistiques de cette campagne. Le résultat : en se limitant à l’examen des filières en tension, l’impact du tirage au sort est massif, de l’ordre de 25% des affectations dans ces filières.
Le Conseil en conclut que le tirage au sort n’est pas de l’ordre de l’ajustement à la marge (auquel cas il serait acceptable), mais qu’il est de nature systémique. Il fonctionne comme un critère supplémentaire, que le législateur aurait dû prévoir explicitement s’il l’avait jugé souhaitable.
Pas de solution sans changement législatif
Le conseil d’État se garde de suggérer à l’administration des alternatives ; ce ne serait pas son rôle. Cependant il est clair qu’il n’y a pas de solution réglementaire compatible avec les attendus de la décision : dès lors qu’il y a une forte disproportion entre le nombre de places et le nombre de candidats dans une formation donnée, l’application des critères prévus par la loi ne suffira pas. Et tout critère supplémentaire qu’utiliserait l’administration serait inacceptable, car non prévu par la loi… Autrement dit, l’article L612-3 dans sa rédaction actuelle est inapplicable aux filières en tension.
Il est impossible de faire la prochaine campagne d’admission dans l’enseignement supérieur sur les même bases…
Le conseil rend par ailleurs définitives les inscriptions prononcées en 2017, même si elles ont été prononcées à l’issue du tirage au sort (sauf au cas où des recours ont déjà été engagés). C’était prévisible, l’ordre public étant au cœur des préoccupations des juridictions administratives. Cela montre d’ailleurs que, d’un point de vue tactique, attaquer la circulaire elle-même n’était pas forcément la meilleure manière de faire valoir les droits des candidats refusés… Mais, en creux, le message est clair : il est impossible d’envisager de faire la prochaine campagne d’admission dans l’enseignement supérieur sur les mêmes bases.
Rester au statu quo, même pour un an, relèverait du mépris de la chose jugée.
On comprend mieux, dès lors, l’urgence dans laquelle se déploie le nouveau système d’accès à l’enseignement supérieur. On ne peut que déplorer cette urgence – et le Sgen-CFDT continuera à se battre pour que les immenses efforts consentis par le personnel administratif et enseignant soit justement rémunéré, et qu’on donne aux établissements les moyens d’affronter cette course folle. Mais l’urgence est là : faire semblant de l’ignorer, ce serait rendre un bien mauvais service aux bacheliers de 2018.