Publié le mardi 10 décembre 2024
par christophe bonnet
Action syndicale Enseignement supérieur et Recherche Instances
Déclaration liminaire prononcée par Christophe Bonnet en tant qu’expert après présentation des scénarios budgétaires possibles dans le contexte politique actuel.
Messieurs les directeurs généraux et madame la directrice des affaires financières et, par votre truchement, M. le ministre démissionnaire, en charge désormais de l’expédition des affaires courantes,
Cette séance budgétaire du CNESER est bien particulière. Il n’échappera à personne que, lors de ces séances, les débats de l’instance vont bien au delà du cadre réglementaire d’un débat sur la répartition des moyens entre les établissements d’enseignement supérieur, pour embrasser la totalité du champ de l’enseignement supérieur et de la recherche, et son financement. Mais cette fois-ci, c’est la question même qui nous est posée qui est hors cadre: pas de budget à ce jour, qui soit voté par les représentants de la nation (même la partie recette n’a pas encore été votée par l’une ou l’autre chambre), donc pas de moyens à répartir, que ce soit, par les représentants de la nation, entre les différents postes de dépense publique et encore moins, par voie de conséquence, par notre ministère après avis de cette instance. La présidence du CNESER a souhaité maintenir la séance, en y ajoutant une extension en vidéo qui, on se l’avouera, pose question d’un point de vue procédural; et à défaut de traiter le sujet qui nous est réglementairement dévolu, a demandé au services de nous faire cette utile présentation.
Merci donc pour cette présentation des différents scenarios. Concrètement, qu’on soit dans l’hypothèse du projet de budget 2025 ou dans l’hypothèse d’un budget 2024 reconduit, c’est presque pareil : un budget pour l’enseignement supérieur qui stagne en euros courants, donc en diminution si on prend en compte l’inflation.
En outre, l’état continue à décider d’augmenter les charges qui pèsent sur les universités sans les compenser ; après les revalorisations salariales non compensées de 2023, c’est la hausse du CAS pension non compensée de 2024, qui donnerait un coup de canif supplémentaire de 2-3 % au budget des universités. Ces mesures non financées ajoutent à la détresse financière des universités, les contraignent à une forte rigueur budgétaire en interne et les amènent au déficit. La politique du ministère face à ces difficultés n’est pas une vraie politique, c’est juste de dire « nous aurons des interventions financières ciblées », comme on nous l’avait déjà dit fin 2023. Le résultat de cette politique en 2024, ça a été 58 universités sur 70 en déficit. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on ne voit pas comment l’année 2025 pourrait être meilleure.
On voit également revenir le serpent de mer des fonds de roulements, dans lesquels le ministère propose de puiser pour équilibrer le budget. Pour nous, c’est une très mauvaise idée : les fonds de roulement ne sont pas un espèce de trésor que l’on pourrait piller, ils sont ce qui permet aux universités d’agir de façon pluriannuelle, la conséquence logique de l’autonomie qui a été défendue par ce ministère. Il est assez sidérant par conséquent d’entendre revenir cette antienne, par voie de presse. Non, non et non: on n’est pas dans un roman de Tolkien et les universités ne sont pas des dragons dormant sur un tas d’or; ni le ministre un vaillant aventurier chargé de ravir ce trésor pour la rendre à ses possesseurs légitimes.
Face à une disette budgétaire, il est essentiel qu’il y ait équité dans la répartition des efforts, et que cette équité puisse être reconnue par tous les acteurs. La condition essentielle de cette reconnaissance, c’est la transparence sur les méthodes employées pour la répartition des moyens.
Les documents fournis par le ministère ne contiennent aucune information sur la méthode employée, aucune information sur les baisses ou les hausses par établissement. Il faut aller faire la comparaison avec les chiffres de l’an dernier pour voir que certains établissements ont une baisse de leur dotation de 20 %, et d’autres une hausse de 2%. Nous appelons le ministère à rendre publique sa méthode de calcul des dotations.
Cette répartition, en tout état de cause, est une répartition de la pénurie. Nous nous sommes exprimés à ce sujet dès la parution du PLF; et dans tous les cas de figure nous sommes loin de ce qui est nécessaire au système d’enseignement supérieur et de recherche pour accomplir ses missions. Dans ce contexte, les établissements font leur possible pour diversifier leurs sources de financement. C’est naturel et, tant que ce n’est pas en contradiction avec leurs missions fondamentales (nos élus y veillent dans les CA d’établissements) louable. Mais ne nous faisons pas d’illusions: notre modèle d’enseignement supérieur et de recherche public est construit, structurellement, sur un financement par le budget de la nation. Les efforts pour trouver un modèle économique alternatif ne nous semblent pas pouvoir être couronnés de succès sans renoncer à des principes fondamentaux, notamment ceux de la liberté de la recherche, et de la gratuité de l’éducation, de nature constitutionnelle (et dont le conseil constitutionnel à rappelé qu’il s’applique bien à l’enseignement supérieur). On a en effet bien compris que derrière ce travail sur le « modèle économique », l‘objectif est de basculer la charge du financement des universités sur les familles, au travers d’une hausse massive, et peut-être différenciée, des droits d’inscription.
À modèle économique constant, nous somme donc dans une phase de contraction des budgets réels. La question que nous avons à poser, au nom des agents que nous représentons, est simple: compte tenu des moyens que vous ne nous donnez pas, quelles sont les tâches que nous devrons renoncer à faire?
Depuis de longues années, l’ESR public tente malgré tout de remplir la totalité de ce qu’on lui demande sans en avoir les moyens, et ce aux dépens de la santé des agents. Et même lorsque les universités tentent d’adapter, à la baisse, leurs capacités d’accueil pour les adapter à leurs moyens réels, les autorités académiques leur impose de les maintenir, pour répondre à une demande publique qu’on peut certes entendre – mais combien de temps pourra-t-on maintenir une qualité acceptable pour nos formations avec des moyens à la baisse ?
En lisant le document de présentation envoyé par le ministère, qui ressemble vraiment beaucoup au communiqué de presse du 10 octobre dernier, on ne peut que constater une absence : alors que pour le programme 172, la recherche, le ministère se vante d’une augmentation de 1269 emplois sur les 5 dernières années, pour le programme 150 (enseignement supérieur), il n’y a pas un mot sur les emplois. Et pour cause : une note de la DGRH nous apprend qu’entre 2015 et 2023, nous avons perdus 1878 postes d’enseignants et d’enseignants-chercheurs, soit une baisse de 3%, alors que dans le même temps les effectifs étudiants inscrits à l’université étaient en hausse de 200 000 étudiants, soit une hausse de 13 %. Ces chiffres illustrent les conséquences concrètes des hausses des charges non compensées des 10 dernières années : les collègues qui partent ne sont pas remplacés, par manque de moyens. Cette baisse de la quantité des enseignants et des enseignants-chercheurs s’est accompagnée d’une hausse du travail qui leur est demandé : évaluation des dossiers Parcoursup et MonMaster, orientation des étudiants, mentorat des étudiants.
Les universitaires sont surchargés, épuisés, et ils n’ont pas les moyens de faire leur travail dans de bonnes conditions. Cette dégradation continue des conditions de travail commence à avoir un impact sur le recrutement : un rapport récent de l’IGESR souligne les difficultés de recrutement dans les fonctions support, et les fiches du CNU nous apprennent que 11,4% des postes de MCF ouverts dans les sections scientifiques n’ont pas été pourvus en 2023 (17,5 % pour l’informatique).
Depuis longtemps, la CFDT dénonce la dégradation des conditions de travail dans l’enseignement supérieur et la recherche, et la maltraitance institutionnelle du ministère envers ses agents. Cette année, nous soulignons que cette dégradation, cette maltraitance, ont des conséquences directes sur le recrutement, qui vont aller en s’aggravant. Elles ont aussi des conséquences sur la santé des collègues. Il est urgent d’ouvrir des postes de titulaires pour permettre le bon fonctionnement du service public d’enseignement supérieur. Il est également urgent de travailler à une amélioration globale des conditions de travail dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Un rassemblement s’est tenu à la suite du CNESER