La DGRH utilise les dispositions de la loi « transformation de la fonction publique » pour justifier la suppression des promotions de grade des enseignants-chercheurs par le CNU. Nous montrerons ici que cet argument est infondé.
Le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a annoncé fin 2021 son intention de mettre fin au dispositif actuel de promotions de grade des enseignants-chercheurs.
Selon ce dispositif les promotions sont attribuées pour moitié par les établissements et pour moitié, au niveau national, par le Conseil national des universités (CNU).
La Direction générale des ressources humaines (DGRH) du ministère avait déclaré vouloir supprimer le quota de promotions octroyées par le CNU. Cette annonce a soulevé un tollé au sein de la communauté et le Sgen-CFDT a fermement demandé au gouvernement de renoncer à ce projet.
L’objectif de cet article est d’examiner d’un point de vue juridique la justification officielle de ce projet, à savoir : que la perte de compétence des commissions administratives paritaires en matière de promotions entraînerait, de plein droit, la même perte de compétence pour les sections CNU.
Le Sgen-CFDT conteste fermement cette affirmation, mainte foi répétée par la direction générale des ressources humaines de nos ministères ; nous montrons ici pourquoi.
Loi « transformation de la fonction publique » et avancement des enseignants-chercheurs
La DGRH justifie notamment son affirmation en citant le quatrième alinéa de l’article premier du décret n°92-70 du 16 janvier 1992 relatif au Conseil national des universités :
« Il [Le CNU] exerce notamment les compétences dévolues aux commissions administratives paritaires par les articles 26 et 58 de la loi du 11 janvier 1984 susvisée. »
L’article 58 de la loi en question décrit, en effet, la procédure de changement de grade par établissement d’un tableau annuel d’avancement, procédure effectivement modifiée par la loi de transformation de la fonction publique. D’où le syllogisme du ministère : « Le CNU a les compétences des CAP ; les CAP ont perdu cette compétence ; donc le CNU doit également la perdre. »
Mais quelle était, précisément, la nature de cette transformation ? Jusqu’à la loi de transformation de la fonction publique, l’article précisait que l’avancement de grade peut avoir lieu :
« 1° Soit au choix, par voie d’inscription à un tableau annuel d’avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l’expérience professionnelle des agents ;
2° Soit par voie d’inscription à un tableau annuel d’avancement, établi après avis de la commission administrative paritaire, après une sélection par voie d’examen professionnel. »
Ces deux mentions de l’avis de la commission administrative paritaire étaient l’unique fondement de l’autorité des CAP en matière de promotion. La loi 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a supprimé ces mentions ; c’est d’ailleurs une des motivations de l’avis négatif de la CFDT sur ce texte.
Par conséquent, les commissions paritaires ne sont plus compétentes pour l’établissement des tableaux d’avancement.
Il ne fait pas de doute que cela procède d’un projet plus large de recul du paritarisme dans la gestion de la carrière des fonctionnaires, mais cette intention générale est sans portée juridique.
Or, le décret 84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences est très clair :
« Art. 37. L’avancement des maîtres de conférences comprend l’avancement d’échelon et l’avancement de classe. Il ne donne pas lieu à l’établissement de tableaux d’avancement.
Art. 53. L’avancement des professeurs des universités comprend l’avancement d’échelon et l’avancement de classe. Il ne donne pas lieu à l’établissement de tableaux d’avancement. »
Les dispositions concernant les tableaux d’avancement sont donc sans aucun effet ici ! La modification de l’article 58 de la loi du 11 janvier 1984 n’a donc rien supprimé en ce qui concerne l’avancement des enseignants-chercheurs.
Les bases législatives et réglementaires de l’autorité du CNU en matière de promotions
Ce n’est donc pas dans l’alinéa cité de l’article 1 du décret 92-70 sur le CNU qu’il faut trouver la base de l’autorité du CNU en matière de promotions. Ce fondement, nul besoin d’aller le chercher bien loin : on le trouve à la première phrase du même article 1.
« Le Conseil national des universités se prononce, dans les conditions prévues par les dispositions des statuts particuliers et du présent décret, sur les mesures individuelles relatives à la qualification, au recrutement et à la carrière des professeurs des universités et des maîtres de conférences. »
L’avancement de grade fait évidemment partie des dispositions individuelles en question ; et ce sont les statuts particuliers (c’est à dire le décret n°84-431 du 6 juin 1984) qui précisent la manière dont cette compétence est exercée.
C’est ce que font les articles 40 de ce décret (pour les maîtres de conférences) et 56 et 57 (pour les professeurs d’universités) : on y trouve le dispositif que nous rappelions plus haut, pour moitié au CNU et pour moitié au niveau des établissement.
Ces dispositions du décret statutaire se suffisent à elles-mêmes, sans qu’il soit nécessaire de les faire reposer sur un texte législatif spécifique.
En effet, si la loi 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat fixe des règles communes à l’ensemble des fonctionnaires de l’Etat, notamment en matière d’avancement, elle prévoit aussi des dérogations à ces règles.
Ainsi, son article 10 prévoit que les statuts particuliers de certains corps, notamment d’enseignement et de recherche, peuvent « déroger à certaines des dispositions du statut général qui ne correspondraient pas aux besoins propres de ces corps ».
Dans le cas des enseignants-chercheurs, ce besoin est clair : le principe d’indépendance des professeurs d’université, étendu par la suite à l’ensemble des enseignants-chercheurs, a été reconnu par le Conseil constitutionnel comme principe constitutionnel reconnu par les lois de la République.
Une conséquence de ce principe est que ne peuvent se prononcer, sur les décisions individuelles concernant un enseignant-chercheur, que des pairs, enseignants-chercheurs d’un rang supérieur ou égal à celui de la personne concernée.
De toute évidence, cela interdit le recours à des commissions paritaires, qui sont par définition composées pour moitié par des représentants de l’administration.
Les statuts particuliers des corps d’enseignants-chercheurs ont donc toute légitimité pour fixer des règles de recrutement et de promotion qui soient compatibles avec le principe d’indépendance.
Tirer les conséquences de cette erreur de droit
Il est donc clair que l’argument avancé quant à la perte de compétence du CNU en matière de promotion est totalement dénué de fondement.
La fausseté de l’argument étant démontrée, il n’y a plus ni nécessité, ni urgence. Les intentions exprimées par la DGRH n’ont pour l’instant pas donné lieu à une proposition de texte réglementaire ; il est donc temps d’arrêter !
Le Sgen-CFDT intervient auprès du ministère pour qu’il annonce au plus vite l’abandon de ce projet.