Le Collectif Éthique sur l'étiquette, créé il y aura bientôt trente ans, commémorera à Paris et en région le funeste effondrement, survenu le 24 avril 2013, du Rana Plaza – un immeuble dédié à la confection de vêtements situé près de Dacca, capitale du Bengladesh.
La déléguée générale du Collectif Éthique sur l’étiquette, , rappelle les circonstances de ce drame et les actions que mène son association, qui est membre du réseau européen Clean Clothes Campaign, en faveur du respect des droits humains au travail dans le monde.
Le 24 avril 2023, nous allons célébrer le dixième et triste anniversaire de l’effondrement du Rana Plaza, à Dacca (Bangladesh), qui a fait 1138 morts, des ouvriers textiles, plus précisément des ouvrières travaillant pour de grandes marques de fast fashion. Peu après cette tragédie, tu étais partie sur place. Quels souvenirs gardes-tu de ce voyage filmé et diffusé sur Arte ?
Je me suis effectivement rendue à Dacca six mois après l’effondrement du Rana Plaza, où une journaliste, loi sur le devoir de vigilance.
, tournait Les Damnées du low cost, documentaire sur les conséquences de cette catastrophe (cf. ci-dessous Ressources complémentaires). Ce qui m’a marqué, c’est d’abord cet immeuble de huit étages qui n’existait plus, complètement rasé, ce tas de débris et de vêtements entremêlés, et un trou béant, dans cette zone d’immeubles dédiés à la production textile de la banlieue de Dacca. Ensuite, ce fut l’ampleur de la tâche des ONG et des syndicats, qui se sont consacrés à la gestion humanitaire d’urgence, dans un pays où l’incurie règne. Devoir distribuer de la nourriture, ce n’est pas habituellement le rôle des syndicats. Enfin, avec ces organisations partenaires, on a travaillé pour obtenir réparation. Comment faire pour qu’un tel drame ne se répète plus et pour que les victimes soient indemnisées ? Ce fut notre long travail de plaidoyer vers laCet évènement illustre de manière dramatique le cout humain de l’industrie de l’habillement obnubilée par la course aux profits. Il a fallu malheureusement un millier de morts pour que les lois évoluent et que les consciences se réveillent.
avec [l]es organisations partenaires, on a travaillé pour obtenir réparation. […] Ce fut notre long travail de plaidoyer vers la loi sur le devoir de vigilance.
Depuis 10 ans, quelles sont les avancées et quelles ont été les actions du collectif ?
En France, la loi sur le devoir de vigilance est une des avancées les plus concrètes suite à l’effondrement du Rana Plaza.
La stratégie du Collectif Éthique sur l’étiquette a été – au-delà de l’indemnisation des victimes et de la signature d’un accord sur la sécurisation des usines –, de mener un plaidoyer plus global pour rendre les multinationales responsables. Le Collectif Éthique sur l’étiquette est le membre français du réseau international Clean Clothes Campaign avec lequel on s’est mobilisé pendant les mois qui ont suivi le drame. On a collaboré avec IndustriALL, la Fédération syndicale internationale de l’industrie. Il y a eu une mobilisation, au niveau international, sans précédent (notre pétition a réussi à recueillir un million de signatures en quelques semaines). On a mené une énorme pression citoyenne, médiatique et politique.
Les grandes multinationales de l’habillement ont ainsi été contraintes de signer l’Accord sur la sécurisation des usines et la lutte contre les incendies au Bangladesh. Cet accord est contraignant, indépendant, transparent et sous l’égide de l’Organisation internationale du travail (OIT). Il oblige à financer un système d’inspection des usines et de les rénover. Le Rana Plaza est l’illustration de l’échec de la responsabilité sociale des entreprises (RSE), c’est-à-dire des initiatives volontaires des entreprises. C’est aussi l’échec de la mondialisation libérale, non régulée. C’est le résultat de l’impunité.
En France, la loi sur le devoir de vigilance est une des avancées les plus concrètes suite à l’effondrement du Rana Plaza.
C’est pourquoi nous avons mené ce travail collectif pour une loi en France sur le devoir de vigilance. Pendant quatre ans, nous nous sommes mobilisés après avoir identifié des députés qui pouvaient être d’accord pour porter cette proposition de loi avec nous. On a construit des argumentaires, mobilisé des juristes, des économistes, on a vraiment fait ce travail d’argumentation et de création d’une loi. On a mené une mobilisation citoyenne, je pense, sans précédent. Avec une coalition large et inédite d’acteurs en se confrontant au lobby économique, et aux grands groupes, on a réussi à faire adopter la loi le 17 mars 2017. C’est la première loi au monde qui permet d’introduire une obligation et d’engager la responsabilité des multinationales devant les tribunaux lorsqu’elles violent les droits fondamentaux ou qu’elles font des dégâts irréversibles à l’environnement tout au long de leur chaine de valeur. Et pas seulement en France car c’est une avancée mondiale qui a permis d’avoir un point d’ancrage vers une régulation européenne.
Agir et se mobiliser contre un modèle économique néfaste, est-ce de la responsabilité du citoyen ? Y a-t-il un mode d’emploi de bonnes résolutions ? Comment choisir des produits plus respectueux de la santé, des humains et de la planète ?
C’est important de modifier son mode de consommation, mais la mode responsable n’est pas forcément ce qui est le plus accessible à tous. On peut évidemment se diriger vers la seconde main, réduire ses achats de vêtements, privilégier plutôt la qualité et la durabilité. Mais surtout se mobiliser avec le Collectif Éthique sur l’étiquette pour faire pression sur les décideurs – évidemment pas tout seul, on est là pour donner les outils.
Le public – notamment les jeunes – se trouve face aux incitations à surconsommer comme lors du Black Friday et pendant la période des soldes. Comment nos adhérents, lecteurs de Profession Éducation, peuvent-ils sensibiliser leurs élèves à cette problématique ?
J’ai remarqué qu’il y avait davantage d’inscriptions dans les programmes scolaires de sujets autour du modèle de surproduction de vêtements, mais aussi de la responsabilité des multinationales. Très récemment par exemple, j’ai envoyé plusieurs contributions aux éditeurs pour des manuels scolaires qui traitent de ces sujets. Cette progression marquante dans le domaine pédagogique est encourageante.
il y [a] davantage d’inscriptions dans les programmes scolaires de sujets autour du modèle de surproduction de vêtements, mais aussi de la responsabilité des multinationales.
Le Collectif Éthique sur l’étiquette a aussi un maillage territorial avec des collectifs locaux qui vont dans les établissements scolaires et font un gros travail de sensibilisation. Les actions des collectifs locaux se traduisent aussi par de la mobilisation citoyenne, auprès du grand public par des soirées- débats, des actions de rue, des happenings, des appels à signatures de pétitions, des envois de courriers aux élus et des interpellations des marques sur les réseaux sociaux.
Alors, autour du 24 avril, moment de commémoration très fort pour le Collectif Éthique sur l’étiquette, aura lieu à Paris à la Maison des Métallos, un évènement national avec plusieurs prises de parole et un moment médiatique. En région, les collectifs locaux préparent plusieurs évènements : des die-in (le fait de tomber, de s’effondrer au sol) pour rappeler les morts du Rana Plaza, les morts de la mondialisation économique non régulée. Ensuite, il y aura une semaine d’action autour de la directive européenne sur le devoir de vigilance, qui entrera dans un moment crucial de négociation.
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est diplômée en économie du développement. Elle travaille depuis une vingtaine d’années dans le secteur de la solidarité internationale, au service du plaidoyer d’ONG de développement ou de défense des droits humains et de pilotage stratégique de campagnes nationales. Elle est depuis 2007 déléguée générale du Collectif Éthique sur l’étiquette.
2003-2005 – Chargée de campagne à Plateforme Dette et Développement.
2005 – Coordinatrice de « 2005 : plus d’excuses », branche française de la campagne internationale Make Poverty History.
2006-2007 – Chargée d’action culturelle à la mairie des Mureaux. Chargée de campagne à Plateforme Dette et Développement.
Depuis octobre 2007 – Déléguée générale du Collectif Éthique sur l’étiquette.
. Membre du réseau européen Clean Clothes Campaign, le collectif regroupe 17 ONG, syndicats (dont la CFDT), associations de défense des consommateurs et d’éducation populaire. Il défend les droits humains au travail dans les chaines de sous-traitance mondialisées du textile-habillement et un encadrement contraignant de l’activité des multinationales. Il a été l’un des artisans de la loi française sur le devoir de vigilance des multinationales.
1995 – Création du Collectif Éthique sur l’étiquette.
Depuis 2007 – Constitution en association (loi 1901).
Depuis 2012 – Membre actif du Forum citoyen pour la responsabilité sociale des entreprises
(FCRSE).
2013 – Il rejoint le comité de pilotage du Festival des solidarités.
2016 – Il rejoint le réseau international Goodelectronics pour la défense des bonnes conditions sociales et environnementales au travail dans le secteur électronique.
Cet entretien a paru dans Profession Éducation no 290 – Mars-avril 2023, le magazine du Sgen-CFDT.