Comme il il le fait régulièrement maintenant, le Sgen-CFDT donne la parole à des professionnels.
Aujourd'hui, Muriel Spenlehauer, professeur de français a accepté de répondre à nos questions sur : enseignement post-confinement, niveaux des élèves, travail en équipe pédagogiques, projets.
Depuis 16 ans, Muriel est professeur de français au Collège Gérard de Nerval à Huningue dans le Haut-Rhin. Ce collège accueille plus de 700 élèves et 50 enseignants, un gros collège donc.
Situé dans le pays des trois frontières (Suisse, Allemagne et France), son public est très varié tant sur le plan des catégories socio-professionnelles des familles que de leur provenance : rural, urbain, rurbain.
Que dirais-tu de ton collège ?
J’y travaille dans une ambiance agréable. C’est un collège dynamique où il y a une bonne mixité sociale sans doute due à la frontière toute proche. On a des parents qui travaillent en Suisse appartenant à une catégorie sociale assez élevée. D’autre part, on a des élèves en plus grande difficulté sociale et même certains qui connaissent des situations précaires.
Notre région reste cependant attirante car elle est un bassin d’emplois fertile, il faut maîtriser la langue allemande pour en profiter et malheureusement l’attrait pour cette langue diminue, d’autant plus que nos élèves ne parlent plus l’alsacien. Nous essayons de privilégier l’apprentissage de l’allemand en proposant des classes bilingues mais cela ne concerne qu’une infime partie de nos élèves.
Quelles conséquences pour ton quotidien de professeure de français ?
Cette mixité sociale entraîne inévitablement une très grande hétérogénéité des élèves qui devient même de plus en plus forte.
J’enseigne cette année auprès d’élèves de la sixième à la quatrième.
Dans notre établissement, on a le projet de viser l’excellence et ce, même si le public est très hétérogène ce qui implique de travailler différemment.
Je constate qu’un gouffre se creuse entre les bons élèves et ceux en difficultés et à 30 par classe, difficile d’aider comme on voudrait.
Ainsi par exemple, aux tests d’entrée en 6ème, 10 élèves (sur 31) avaient un test de fluence en lecture qui rejoignait les attendus minimums de début de collège. C’est peu et la situation s’est encore accentuée cette année avec les conséquences du confinement de fin d’année dernière. On remarque à l’oral une bonne compréhension des élèves mais le passage à l’écrit reste souvent compliqué pour un certain nombre.
Que faites-vous dans le collège pour travailler avec cette hétérogénéité ?
En fait, on laisse finalement peu de place à l’individualisation des apprentissages.
On utilise le dispositif d’aide aux devoirs. C’est avant tout un travail d’équipe qui le permet pour notamment essayer d’atteindre les compétences attendues mais ce dispositif ne concerne qu’une partie de nos élèves car les places restent limitées.
Mon quotidien reste donc compliqué même si j’essaye d’apporter une attention plus poussée aux élèves qui en ont le plus besoin.
On ne peut pas uniquement se concentrer sur les élèves en difficultés car on doit aussi accorder du temps à ceux qui réussissent.
Autre dispositif qui pour ma part reste bénéfique pour les élèves c’est l’aide personnalisée. Notre collège consacre des heures à ce dispositif et nous permet de travailler en co-intervention sur le niveau 6ème.
Je peux ainsi partager la classe avec un enseignant d’histoire géographie. Nous élaborons ensemble les compétences à travailler et il s’occupe de prendre en charge le groupe de bons élèves avec lequel il peut aller plus loin dans les apprentissages.
Pour ma part, je prends les élèves les plus faibles pour travailler la lecture, la compréhension et le passage à l’écrit. Je leur donne ainsi des petits travaux d’écriture, le plus individuellement possible pour les aider. L’objectif est de leur donner les moyens de bien lire, de comprendre ce qu’ils lisent et de pouvoir l’exprimer clairement à l’oral puis à l’écrit.
On sent, et encore plus depuis le confinement, un grand besoin de leur part de proximité avec le professeur.
Pour réactiver la motivation, je mets aussi en place des challenges lecture permettant de valoriser leurs acquis.
L’AP vise aussi à leur permettre d’acquérir de la méthodologie et à organiser leur travail. Enfin, pour les élèves qui rencontrent le plus de difficultés dans leurs apprentissages, nous élaborons ainsi des PPRE ou des PAP afin d’organiser un accompagnement pédagogique. Ce n’est pas miraculeux mais au moins l’élève a été repéré et l’équipe pédagogique lui propose des adaptations à mettre en place pour l’aider dans ses apprentissages.
Pourquoi cette fragilité des élèves dans ta discipline ?
La réforme du collège a clairement entraîné une diminution du nombre d’heures dispensé en français.
On a aujourd’hui 4 heures en classe complète et une heure d’AP sur le niveau 6ème. D’autre part, je pense que les élèves ont besoin de repères dans la langue qu’ils n’ont pas toujours en arrivant au collège.
Mais c’est surtout la motivation qui souvent leur manque car ils ont pour certains du mal à donner du sens à leur scolarité.
Pour impulser le goût d’apprendre, le chef d’établissement accorde une importance toute particulière à la pédagogie du projet notamment en mettant chaque année un pays à l’honneur. Cela pousse les élèves à s’ouvrir, à réaliser des travaux différents de ce que l’on peut faire habituellement dans la classe et aussi à faire des rencontres exceptionnelles comme l’auteur Durian Sukegawa du roman « Les Délices de Tokyo » venu tout spécialement du Japon.
Ces projets remplacent les EPI qui étaient devenus trop compliqués à mettre en place du fait notamment du nécessaire ajustement des emplois du temps des enseignants travaillant sur un même projet.
Chaque enseignant a la liberté de s’engager sur des projets communs voire inter-niveaux. Ces projets sont tous interdisciplinaires.
Ainsi, nous avons aussi accueilli un artiste en résidence avec lequel on a travaillé sur le montage d’un spectacle avec des danseurs professionnels, projet dans lequel nous avons essayé d’engager le maximum de classes.
Dans tous les cas, c’est toujours un choix collectif.
L’équipe de lettres participe chaque année au dispositif « Collège au cinéma » ce qui permet à l’élève de découvrir d’autres supports culturels.
Tu travailles aussi la coopération entre élèves, avec quels objectifs ?
J’essaie aussi de développer le tutorat entre élèves au sein de mes classes (permettre à des élèves en difficultés d’être tutorer par des élèves plus solides en matière de connaissances).
Cela permet de sortir d’une relation duelle, enseignant, élève.
Je ne l’oblige pas mais je l’encourage en montrant aux élèves les bénéfices qu’ils peuvent en retirer. Si la confiance est établie entre les élèves, cela peut soulager l’enseignant qui peut s’occuper d’autres élèves.
Apprendre par la coopération est aussi un moyen de diversifier les situations d’apprentissage et permet aussi à chaque élève de trouver sa place dans la classe. Travailler avec les autres permet d’impulser l’apprentissage et atténue le sentiment de solitude devant une connaissance trop difficile à comprendre.
L’élève peut retrouver une certaine confiance en lui qui va dynamiser ses efforts.
Je suis convaincue des avantages du travail collectif qui doit compléter les temps de travail individuel mais avec des classes surchargées, il est difficile d’organiser ces situations d’apprentissage.
Quel temps de concertation ?
Aucun temps n’est prévu dans l’emploi du temps pour la mise en œuvre de ces projets.
On travaille la transversalité essentiellement sur notre temps libre même si parfois on a des HSE. De la même façon, la concertation sur l’AP se déroule sur le temps libre.
Ces moyens sont à la main de l’établissement qui peut ou non les flécher.
Quel est pour toi l’objectif principal pour tes élèves ?
Il faut avant tout redonner aux élèves le goût d’apprendre et de découvrir.
Pour cela, j’essaie de leur proposer des lectures qui peuvent les intéresser et surtout j’essaye de donner du sens à ces lectures.
J’ai une préférence pour l’étude d’œuvres complètes pour susciter des attentes de lecture de leur part (il se passe quoi à la fin ?).
Il faut aussi leur proposer des œuvres plus difficiles tout en variant les supports en utilisant par exemple le cinéma.
L’idée est de toute façon d’éveiller leur curiosité.
Pour moi, ce n’est pas parce que l’on a des élèves en difficulté qu’il faut baisser le niveau, il est primordial de rester exigeant et rendre accessible à tous les œuvres littéraires.
Ils doivent comprendre leur marge de progrès et je suis là pour les accompagner.
Je ne fais pas de séances de grammaire ou d’orthographe de manière artificielle, elles sont intégrées dans mes séquences de telle manière qu’elles permettent à l’élève de comprendre que l’orthographe et la grammaire sont des outils nécessaires à la compréhension des textes et à l’expression de la langue écrite.
Il est vrai que je remarque chez beaucoup d’élèves un grand écart entre la connaissance qu’ils ont des règles de français et leur application, c’est pourquoi, il est aussi nécessaire de travailler les automatismes.
Que dirais – tu de tes élèves quelques mois après le confinement ?
Je trouve que leur décrochage est beaucoup plus profond que ce qu’on en dit.
Tout le monde a été en difficulté, enseignants comme élèves.
Ce confinement n’a pas été préparé en amont et les problèmes de connexion ont été importants. Les familles n’étaient pas toutes équipées et les élèves ne sont pas assez autonomes pour travailler et comprendre seuls.
Au collège, la présence du professeur est essentielle à ce titre et là, elle n’a pu avoir lieu. Enfin, l’absence du dernier trimestre 2019/2020 où l’on fait souvent des consolidations des connaissances, des compétences n’ont pas eu lieu.
Dès lors ce qui était fragile n’a pu être acquis notamment en termes d’appétence scolaire.
Qu’en est-il du lien école/collège notamment du fait du cycle 3 ?
Ce travail n’est pour moi pas satisfaisant.
On a en effet deux cultures de travail très différentes entre le premier degré et le second degré.
Les professeurs des écoles ont une approche polyvalente alors que ceux du second degré ont une approche disciplinaire d’où la difficulté.
On arrive pourtant à faire quelques constructions en commun. Mais, là encore, il faudrait du temps pour s’y investir mais ce conseil vient en plus du temps de service des enseignants. Pas satisfaisant, quelques constructions en commun, mais le type de « culture » est très différente.
Comment remédier à la démotivation des élèves ?
Je remarque que dans mon collège, l’apprentissage attire beaucoup et la 3ème prépa métiers est très demandée.
Ainsi des élèves un peu démotivés par le « cursus ordinaire » se remotivent en travaillant sur un projet professionnel.
On leur propose cette orientation dès la 4ème . L’heure de vie de classe dans l’emploi du temps devrait être à ce titre dans le service de l’enseignant plutôt que « forfaitisée » de 10h pour pouvoir mettre en œuvre un réel travail de préparation à l’orientation pour que celle-ci soit vraiment choisie et non subie.
L’AP peut aussi le permettre notamment pour faire des recherches sur les métiers avec les élèves. Il faudrait ouvrir davantage le collège sur le monde professionnel avec des forums de métiers, des rencontres avec des professionnels ou en permettant aux élèves demandeurs de faire des stages plus tôt dans leur scolarité.
Tu es professeure principale, en quoi consiste ton rôle ?
Le professeur principal est le référent de la classe et il doit faire le lien avec tous les collègues.
Une équipe pédagogique soudée permet de régler bien des problèmes.
Il y a aussi le lien avec les familles. A ce titre, mon rôle est d’être le relais entre les familles et l’équipe enseignante.
L’autre volet du professeur principal est le lien avec la vie scolaire, la CPE et le principal adjoint.
Le travail de suivi notamment sur les problématiques de comportement et d’attitude de certains élèves permet d’avoir une certaine homogénéité des décisions prises.
Ainsi quand un élève a un problème de comportement ou de travail, le professeur principal met en place une fiche de suivi et définit avec l’élève des objectifs à atteindre.
Les parents sont bien sûr associés à cette démarche. Chaque élève fait ensuite le bilan de sa fiche de suivi chaque semaine avec son professeur principal. Il faut aussi savoir écouter l’élève quand il a un souci. A ce titre, il y a un dialogue nécessaire avec la cheffe d’établissement qui au sein du collège est très humaine ce qui permet de faire avancer les choses.
Et avec les parents ?
Je trouve important de les rencontrer, de donner du temps pour discuter avec eux et établir la confiance.
Il me paraît nécessaire d’avoir un discours positif à propos de leur enfant et de trouver des solutions ensemble en ayant le même objectif, le bien de l’enfant.
Pour moi, l’échange est très souvent constructif car il me permet de mieux connaître la personnalité de l’élève mais aussi les difficultés que rencontre la famille.
Ces rencontres sont rendues plus difficiles aujourd’hui du fait de l’interdiction des rendez-vous. Jusqu’à il y a peu de temps, je faisais encore ce travail par téléphone.
Si tu avais des souhaits pour ton métier, que dirais-tu ?
Il faudrait avant tout des classes moins chargées pour pouvoir s’intéresser à tous les élèves, même les élèves eux-mêmes sont demandeurs.
Ils apprécient énormément les temps où on se retrouve en groupe restreint. On fait à mon avis aujourd’hui trop de gestion de classe sans doute liée à un effectif par classe trop important.
On a tendance à s’intéresser toujours aux mêmes et à oublier les élèves plus discrets. J’ai connu ce collège plus humain et plus individualisé. Il faudrait ainsi pouvoir mettre plus en avant les talents des élèves et on n’a plus le temps d’apprendre à mieux connaître nos élèves.
Pour moi, le collège unique dans sa forme actuelle est arrivé au bout et il faudrait sans doute permettre de diversifier plus leurs apprentissages, de chercher ce qui peut épanouir tel ou tel élève.
On se doit aujourd’hui de proposer d’autres formes de réussite alors pourquoi pas faire du modulaire pour mieux coller aux compétences recherchées par nos élèves comme par exemple proposer des cours de cuisine, de couture, de mécanique, d’informatique ….
Il faut sans doute pour cela aller au-delà du purement scolaire tout en donnant à ces apprentissages des objectifs précis qui entrent dans les champs de compétences à acquérir au collège.
Mais ces changements demandent des moyens supplémentaires et ne sont donc pas à l’ordre du jour.
Pour moi, il faudrait aussi absolument valoriser le temps des enseignants et proposer plus de temps d’échanges et de concertation pour échanger sur nos pratiques, créer plus d’unité et de cohésion dans nos façons d’enseigner.
Pour finir, j’aimerais aussi travailler dans des locaux mieux équipés et mieux entretenus qui respectent le bien-être et le cadre de travail des enseignants.
Tu es correspondante d’établissement pour le Sgen-CFDT, quel est ton rôle par rapport à cela ?
Je fais le relais entre mon établissement, les personnels et mon syndicat.
Il s’agit d’apporter de l’aide quand certains enseignants le demandent.
Je joue aussi un rôle de médiateur au sein du collège notamment en cas de conflit. Ce rôle a ainsi permis de débloquer régulièrement différentes situations.
J’organise aussi des HIS sur des temps collectifs pour discuter avec les collègues et trouver des solutions.
Je remarque pourtant que les collègues jeunes sont moins impliqués. Il ne reste plus beaucoup de collègues qui souhaitent faire du collectif. Ce qui mécontente les collègues, c’est leur évolution de carrière, les retraites et les conditions de travail.
Mais au bout du compte, on sent beaucoup de renoncement sur l’idée qu’on peut agir et faire bouger les choses.
Les enseignants se replient donc sur leur « cœur de métier » : enseigner face aux élèves.
D’autre part, les emplois du temps rendent difficiles les rencontres et la période de confinement limite les échanges entre collègues.
Un mot en plus ?
Enfin, cette année en particulier, nous sommes très déçus avec mes collègues par le manque de contact avec nos inspecteurs : peu ou pas du tout pendant la période de confinement, absence de réunion d’équipes pour dégager des pistes pédagogiques, envisager des solutions collectivement aux difficultés que nous rencontrons au quotidien.
Reste alors l’impression d’une visite uniquement « statutaire », vécue parfois comme une sanction, en tout cas comme un manque de considération.
Cette absence de dialogue et d’accompagnement est particulièrement pénible en ce moment.