Le Sgen-CFDT donne la parole à des enseignants pour parler du quotidien de leur travail. Dans cet entretien, Gilles Graber professeur en collège à Marseille évoque le suivi et de l'orientation des élèves, leurs apprentissages, le DNB et les relations avec les familles...
Gilles Graber est professeur d’espagnol au Collège Anatole France de Marseille. Ce collège situé en Réseau d’Education Prioritaire accueille 400 élèves et deux dispositifs : une ULIS collège et une classe d’UPE2A pour les enfants allophones. La réforme du collège dont on a beaucoup parlé à une certaine période n’a pas été remise en cause par le Ministre si ce n’est, à la marge, une redéfinition des enseignements pratique interdisciplinaires (EPI).
Le collège n’étant plus sur le devant des actualités (la mise en œuvre de la réforme date de la rentrée scolaire 2016), le climat y est plutôt apaisé, tant les changements incessants sont pénibles : un peu de stabilité fait du bien, et d’ailleurs les discussions en salle des profs tournent surtout autour de l’organisation du collège et du travail des élèves.
Mais certains points continuent de me sembler mal pensés au collège, j’en vois 2 en particulier :
- Le maintien du diplôme national du brevet (DNB) dans sa forme « classique » d’examen terminal alors que par ailleurs l’objectif du collège est l’obtention du socle commun de connaissances et de compétences.
- L’orientation subie par les élèves les plus fragiles en fin de 3ème en voie professionnelle, avec cette obligation de choisir une filière plus tôt que les autres élèves.
Pour moi il est urgent de redéfinir le brevet des collèges, voire de le supprimer complètement : tous les élèves doivent à la fin du collège avoir une maîtrise « suffisante » des connaissances et compétences du socle, mais on continue à les préparer à un diplôme avec l’idée d’une récompense, d’un défi, d’un obstacle à surmonter.
Il est urgent de redéfinir le brevet des collèges, voire de le supprimer complètement…
On maintient une double entrée pour son obtention : la maîtrise d’une base, d’un socle mais aussi l’objectif d’obtenir des notes les meilleures possibles, parce qu’il s’agit de démontrer son mérite. Les notes restent pour beaucoup le meilleur outil objectif de démonstration de ce mérite, et il permet de faire un « tri » entre les élèves à la fin du collège. Cette double entrée est une source de malaise pour tous.
Normalement, une partie du DNB est attribuée par la transformation des compétences du socle en notes et une autre partie est composée par la moyenne des notes obtenues lors d’épreuves terminales. La délivrance du brevet sans épreuve en juin 2020 suite au confinement, a démontré que cela était possible, et sans dommage pour les élèves. Donc pourquoi ne pas supprimer définitivement les épreuves écrites, et ne garder que l’oral ?
La délivrance du brevet sans épreuve en juin 2020 suite au confinement, a démontré que cela était possible…
L’évolution du Bac pourrait y aider, puisque lui aussi comprend désormais une partie en contrôle continu, et que le grand oral devrait y avoir une place importante. Au collège supprimer les épreuves écrites permettrait au socle de redevenir central, et de garder un rituel avec l’oral, qui serait très certainement alors beaucoup mieux préparé qu’aujourd’hui. Bien entendu, il faudrait faire attention à ce que cet oral ne reproduise pas les travers des épreuves écrites actuelles : notre but premier c’est bien d’amener tous les élèves à maîtriser le socle pas de les entraîner à passer des épreuves.
Aujourd’hui la validation du socle par les différentes disciplines reste assez complexe. En particulier l’appropriation des objectifs et même d’un vocabulaire commun n’est pas complètement acquise. La réflexion sur ces sujets est incomplète et reste parasitée par la « course aux notes » qui reste malheureusement souvent la règle.
Dans mon collège il n’y a pas de « classe sans note », mais il y a des enseignants qui évaluent uniquement avec des compétences : j’en fais partie, mais je dois transformer les résultats des élèves en notes en fin de trimestre pour que les dossiers d’orientation puissent être traités. Cette bascule se fait sans trop de difficulté après explicitation auprès des élèves. Il manque sans doute une « boite à outils » avec une palette de possibilités pour avancer sur ce sujet et davantage de temps pour réellement travailler en équipe pour pouvoir adapter nos modes de fonctionnement.
La structuration de l’année en semestre me semblerait plus appropriée que le trimestre, quitte à avoir des rendez-vous de mi-trimestre, pour allonger les périodes d’apprentissages. Les bulletins trimestriels et les conseils de classe de « constat » sur le niveau des élèves, reste un exercice collectif assez peu utile, surtout lorsqu’il est centré sur les « récompenses » (félicitations, encouragements…).
Dans les faits, très rarement pour ne pas dire jamais on ne réussit à l’issue de ces conseils de classe à fixer des objectifs « atteignables » aux élèves ni à construire de réelles solutions. Ce serait pourtant une amélioration notable de pouvoir collectivement réfléchir à cela. Peut-être ensuite un tuteur (plutôt que le professeur principal qui doit « suivre » toute la classe) pourrait-il expliciter ces objectifs et accompagner l’élève pour son cheminement.
Dans mon collège le dispositif d’aide aux devoirs est plutôt bien vécu par les élèves comme par les enseignants ou AED qui les animent. Néanmoins, compte tenu des emplois du temps des élèves, certains n’ont pas accès à ces créneaux ou, s’ils sont placés en fin de journée, préfèrent rentrer chez eux.
Ce dispositif est plutôt efficace pour les « coups de pouce » ponctuels et pour des élèves avec des difficultés modérées. L’identification des élèves est réalisée par l’équipe enseignante, et des points d’étape réguliers entre le professeur principal et le CPE ou le chef d’établissement sont très utiles, même si la coordination et l’articulation avec les enseignements en classe restent sans doute insuffisantes.
Pour les élèves les plus en difficulté et en particulier pour les élèves « non lecteurs » ce sont d’autres dispositifs qui seraient utiles. En effet certains de ces élèves restent en difficulté tout au long de leur scolarité faute de modules adaptés.
En 6ème, nous expérimentons des ateliers qui permettent à quelques élèves identifiés de sortir des cours ordinaires pour quelques heures, et de suivre un module adapté de remotivation et de remise en confiance par rapport à la lecture. Pour moi ces modules devraient pouvoir être élargis et proposés tout au long de la scolarité au collège, mais cela heurte l’organisation institutionnelle des cours. Il ne reste alors plus que les ateliers relais ou les classes relais lorsque les difficultés sont ancrées et profondes, et souvent qu’elles s’assortissent de problèmes de comportement en classe. Or ces classes relais externalisées (dans un autre collège) sont parfois mal vécues par les élèves et arrivent souvent trop tard.
Un investissement massif serait nécessaire pourtant pour mettre en oeuvre des moyens adaptés diversifiés qui permettraient de « raccrocher » plus d’élèves et de les amener à obtenir le socle. En moyenne entre 3 et 5 élèves par classe de 6ème sont non lecteurs ou « petits lecteurs ». Les moyens actuels sont largement insuffisants et toujours proposé pour faire « en plus » et non « à la place ».
Ce dispositif accueille des élèves allophones. La loi ne prévoit qu’une année scolaire pour apprendre le français dans ces structures même s’il y a quelques exceptions. Je pense qu’il faudrait davantage de moyens spécifiques pour aller au-delà et mieux soutenir certains élèves qui ont besoin de consolider la maîtrise de la langue sur le long terme. Certains jeunes scolarisés chez nous ne sont jamais allé à l’école ou presque et ne savent pas lire du tout parfois… Malgré toute leur bonne volonté et les efforts des enseignants, en un an ils rattrapent rarement ce retard actuellement.
Les plus fragiles doivent se décider le plus tôt sur des « parcours » qui vont souvent être très restrictifs et enfermant : en effet il n’existe quasiment aucune passerelle de la voie professionnelle vers le lycée général et technologique. Même si certains élèves s’épanouissent ensuite dans ces voies professionnelles, leur orientation précoce vers la voie professionnelle est « excluante ».
Le satisfecit de l’administration sur le fort taux d’élèves ayant obtenu un « voeu 1 » masque aussi des renoncements et l’acceptation d’une sorte de déclassement. Certains de ces élèves ont d’ailleurs « renoncé » très vite durant leur scolarité au collège. Ils sont passifs et « décrochés » scolairement (sans être forcément décrocheurs…).
Donner aux familles et aux élèves un rôle plus important dans les choix…
Pour qu’une orientation soit réussie, je pense qu’il faut accepter de donner aux familles et aux élèves un rôle plus important dans les choix qui sont faits et renforcer l’idée que nous ne sommes là que pour conseiller ( car nous savons comment fonctionne le système) en prenant garde à ne pas être tentés de faire à leur place.
A mon sens, cette relation de confiance ne sera pas totale tant que les conseils de classe continueront à autoriser un élève à passer en 2nde générale et technologique ou pas. Il ne s’agit pas d’être démago : je pense qu’on doit être sincère et s’assurer que les élèves et les parents soient lucides, sans pour autant tout verrouiller.
Le regard des Psychologues de l’Éducation Nationale conseillers en orientation est très important car il permet aussi de décentrer le regard et de sortir du cadre scolaire. En tant qu’enseignant il nous est parfois difficile de nous représenter l’élève dans sa globalité car nous en avons une image très partielle en classe mais elle conditionne pourtant notre jugement et a tendance à devenir englobante. Les profs sont très majoritairement d’ex-bons élèves, nous avons du mal à nous représenter ce que vit un élève qui est à l’opposé de ce que nous avons été.
Suite au confinement on a vu que Pronote n‘était pas utilisé car pas compris ou pas maîtrisé par les familles. Cette année, toutes les familles des élèves de 6ème ont été formées à Pronote. En juin, nous avions demandé un bilan du confinement/déconfinement : deux demi-journées ont été accordées pour le conseil pédagogique et des groupes de travail pour préparer un éventuel retour en confinement ou en hybride à partir de septembre.
Associer davantage et mieux les parents…
L’idée était de plus associer les parents et de mieux les associer. Le jour de la rentrée, puisque la situation sanitaire a empêché l’accueil « traditionnel » des parents dans le collège, les parents ont été formés à l’outil Pronote par petits groupes sur deux demi-journées et cela s’est très bien passé. Dans un collège comme le mien nous avons vraiment besoin de renforcer ce lien de confiance avec des familles qui parfois n’ont pas un très bon souvenir de l’école et qui ne se sentent pas toujours légitimes pour les questions scolaires.
La semaine suivante, nous avons formé tous les élèves de 6ème et un état des lieux assez précis dans les autres niveaux a été fait pour trouver des solutions techniques ( par exemple le CD 13 nous a doté de clés 4G pour les élèves sans internet) ou résoudre de simples problèmes de codes d’accès perdus. Nous nous sommes aussi mis d’accord sur un mode de fonctionnement commun en cas de distanciel ou d’hybride. On croise les doigts pour rester ouverts le plus possible mais si on devait fermer nous serions certainement moins pris au dépourvu qu’en mars dernier.