Anaïs Ropiteau, professeure d’histoire géographie et d'enseignement moral et civique au Collège du Val d’Ance à Saint-Anthème dans le Puy de Dôme raconte sa réalité d'enseignante en milieu rural où l'éloignement engendre des problématiques spécifiques.
Titulaire depuis 6 ans, nommée sur ce poste depuis cette année, Anaïs enseigne l’histoire géographie et l’Enseignement Moral et Civique (EMC) dans ce très petit collège (87 élèves) de « rural isolé » du Livradois-Forez.
Elle est aussi déchargée pour le Sgen-CFDT Auvergne, en charge du développement INSPÉ, membre de la Commission exécutive et élue au Conseil Fédéral.
Quelles sont les particularités d’un « petit collège rural » ?
Tout d’abord, enseigner dans ce collège parait confortable, car peu d’élèves, peu de collègues, une ambiance sereine et sympathique. Cela contraste avec les effectifs de lycée ! Les élèves sont agréables mais la gestion de classe n’est pas toujours aisée car certains élèves n’ont pas les codes de l’école.
Néanmoins, une fois ce constat rapide posé, on s’aperçoit qu’il existe en réalité de fortes disparités d’effectifs selon les classes, sans possibilité de les atténuer puisque chaque niveau ne compte qu’une seule classe ! Il y a donc des effets de « cohorte » importants.
Par ailleurs, parfois un faible effectif n’est pas gage d’une facilité d’enseignement.
En particulier certains élèves présentent des retards d’apprentissages importants.
Peut-être auraient-ils été accueillis en Segpa ou en ULIS ailleurs, mais le maillage territorial, les problématiques géographiques (la montagne !) et de transports contraignent certains parents à laisser leurs enfants « au plus proche », et donc dans les classes ordinaires du collège.
Forcément alors, les attendus ne sont pas les mêmes que dans certains collèges de centre-ville et cela demande aux enseignants un grand travail de différenciation.
Quelles conséquences pour l’enseignant de collège rural ?
Pour l’enseignant deux problèmes majeurs se posent :
- celui de la mobilité entre le domicile et le collège
- et celui des services partagés entre plusieurs établissements.Habitant Clermont-Ferrand, je passe 2 nuits au collège (qui possède un internat), une contrainte forte pour ma vie personnelle.
D’autres collègues (nombreux) passent un temps très long dans leur voiture. Quasiment tous les enseignants sont en service partagés avec un ou plusieurs autres établissements, malgré un service avec tous les niveaux. Cela augmente la charge de travail et diminue l’énergie que l’on pourrait consacrer à des projets par exemple.
La concertation est souvent difficile à cause de ces emplois du temps partagés, on ne croise jamais certains autres collègues.
D’autre part, le collège ne possède ni CPE, ni adjoint, l’assistante sociale, l’infirmière ou la Psychologue de l’Éducation nationale sont présentes très rarement, ce qui impose un travail « multidirectionnel » envers les élèves de la part des enseignants.
Tout cela forme une spécificité qui n’est absolument pas reconnue par l’institution : il n’existe aucune dotation spécifique pour « collège rural isolé » dans le département et surtout il n’existe plus aucune reconnaissance ni financière ni en terme de bonifications. Cela a pourtant existé par le passé.
Et pour les élèves ?
Là aussi il y a des avantages et des inconvénients bien spécifiques. Côté avantages d’abord, la configuration d’un petit collège rural permet une bonne connaissance et un suivi de long terme des élèves. Même si le collège voit régulièrement des « nouveaux » élèves venant du foyer d’accueil situé à proximité, la stabilité est une caractéristique forte de ce collège. C’est d’ailleurs parfois difficile pour les nouveaux élèves de s’intégrer dans des groupes qui sont formés depuis longtemps.
Pour les élèves, cette stabilité est rassurante, mais elle peut parfois aussi être très enfermante.
Quels parcours pour ces élèves après le collège ?
Je crois qu’ils sont tous ravis de partir au lycée pour « voir autre chose », même si globalement ils sont aussi inquiets de devoir aller « à la ville ». Beaucoup sont attachés à une représentation de leur avenir au plus proche de leur territoire. Il semble y avoir sur cette représentation, un déterminisme fort. Cela est accentué logiquement par une proportion importante d’enfants d’agriculteurs qui envisagent de travailler sur l’exploitation familiale.
Contrairement à certaines idées reçues, l’adaptation des élèves de ces petits collèges ruraux au lycée n’est pas forcément une épreuve. Elle est facilitée par l’organisation de mini stages mais aussi par le travail de suivi et d’orientation mené par l’équipe qui les connaît. Le but étant d’aller vers une orientation choisie et non subie.
Quels inconvénients pour les élèves liés à la taille du collège ?
Les élèves sont toujours dans les mêmes « schémas » avec les mêmes élèves, les mêmes profs, les mêmes rôles… Les enfants se connaissent pour certains depuis la maternelle et les problèmes installés entre eux demeurent souvent jusqu’en 3ème. Par exemple, lorsqu’il existe du harcèlement, c’est particulièrement douloureux, car on ne peut pas changer l’élève de classe. Les résultats des élèves ne sont pas particulièrement préoccupants, mais on sent une précarité sociale et culturelle importante.
Sur le plan de l’offre culturelle, il est beaucoup plus difficile qu’en ville de participer régulièrement à des visites ou sorties, car il faut impérativement un car. Or le département ne finance pas particulièrement ce besoin. Nous cherchons donc des subventions de tous côtés pour mettre en place des projets intéressants. Et à cause de la taille du collège, il n’existe aucune option.
Attention il ne faut pas avoir une vision négative !
Ce qui se fait dans ces collèges est extrêmement intéressant, il est variable néanmoins, en fonction des enseignants mais peut-être plus encore en fonction de l’impulsion des chefs d’établissement qui jouent un rôle d’entraînement important.
Je regrette que ces spécificités semblent invisibilisées (ou niées ?) de la part des institutions départementales rectorales ou nationales.
Des exemples de projets, d’EPI ?
Dans le cadre des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) il reste de nombreux projets.
La situation sanitaire rend le projet « théâtre » un peu complexe. Pour ma part je participe à un projet « Femmes dans l’Histoire, histoires de femmes », qui permet dans des disciplines différentes de mettre en valeur des figures de femmes « célèbres » (femmes artistes, écrivaines, sportives, scientifiques…). Une exposition sera organisée en fin d’année pour présenter ce travail des élèves. Notre projet a été retenu par le conseil départemental, nous devrions donc avoir des aides techniques et financières.
A titre personnel j’apprécie beaucoup les EPI, même si cela demande de la réflexion en amont sur l’organisation du programme.
La plupart des réticences au début de la part des collègues venait de l’impression de nous en demander encore plus sur le même temps.
Dans la réalité, il y a substitution des contenus et il faut aborder programme et EPI comme un tout : ce qu’on fait pour l’EPI est une partie du programme. Cela nécessite une réorganisation permanente de la façon d’aborder le programme selon les EPI choisis par le collège.
C’est passionnant mais c’est une charge de travail importante qui n’est jamais dite.
Quelle démarche te semble nécessaire pour construire un EPI ?
Construire un EPI doit à mon avis avant tout passer par les propositions des enseignants.
Trop souvent, ils agissent sur commande de l’institution pour des besoins statistiques.
Dès lors, un projet se met en place pour de mauvaises raisons et ne s’ancre pas dans le temps. La difficulté est de baliser des temps de rencontre entre enseignants, les emplois du temps ne le permettent pas toujours et encore plus en collège rural où les professeurs ne se croisent pas tous.
L’histoire géographie et l’EMC dans le contexte des attentats terroristes, quelle place ?
J’ai toujours apprécié enseigner l’Enseignement Moral et Civique, malgré le faible horaire accordé et la pression de l’institution priorisée sur « le programme » d’histoire-géographie qui pousse parfois certains d’entre nous à utiliser quelques heures d’EMC pour finir ce fameux programme. C’est assez déstabilisant quand par ailleurs il semble y avoir consensus pour dire que, l’important là tout de suite, c’est d’accorder du temps à faire vivre les valeurs de citoyenneté, de laïcité en classe. C’est une sorte de « verrouillage » par le programme, une rigidité absurde.
Concrètement dans mon collège il n’y eu aucun temps organisé d’ échanges entre enseignants pour l’hommage à Samuel Paty.
J’ai eu une impression de solitude à devoir « prendre en charge » , seule, cet aspect-là.
Je regrette de façon générale d’ailleurs cette sorte de « délestage » systématique sur les enseignants d’histoire-géographie. Il me semble que sur ces sujets, du co-enseignement aurait du sens. Il permettrait de les dynamiser, de les faire vivre avec plusieurs regards, et surtout de les incarner de façon plus collective.
Quels sujets abordes-tu avec tes élèves ?
J’aime ces heures pour écouter les élèves, les faire réfléchir et débattre, et pas seulement sur des problématiques liées à la laïcité, mais aussi l’égalité femme/homme, l’homophobie, le harcèlement, la liberté…
L’horaire est cependant trop faible et la formation initiale largement insuffisante (pour ne pas dire absente). Il faudrait de la formation continue et de la formation pluri (ou inter) disciplinaire.
Au-delà de l’EMC, des thématiques des programmes d’histoire-géographie sont aussi délicates à aborder, pas seulement dans le contexte post-attentat et nous sommes assez seuls pour le faire. Je pense par exemple au fait religieux et à l’histoire des religions en 6ème/5ème, aux génocides …
Ces sujets peuvent heurter les élèves, et on ne sait pas toujours bien réagir, quelle attitude adopter, vers qui se tourner.
Et le numérique en collège rural ?
Les dotations sont très inégales selon les départements. Dans mon collège précédent (Allier), le collège disposait d’une tablette par élève, alors que dans ce collège du Puy de Dôme il n’y a qu’un seul jeu (une classe mobile) et un seul tableau blanc interactif. L’équipement est donc vraiment insuffisant, sans doute parce que cela aurait nécessité des demandes spécifiques (pas de dotation globale). Difficile de faire de l’éducation aux médias dans de telles conditions.
De plus nous avons des problèmes techniques d’accès à Internet par exemple à cause d’un environnement numérique de travail (sur les tablettes) « trop sécurisé ». Même si la couverture des connexions est plutôt satisfaisante dans le département, il reste évidemment des différences d’accès pour les élèves.
Au sein du collège, la wifi n’est pas accessible pour les personnels ou élèves avec leur matériel personnel ce qui est incompréhensible.
D’autre part, l’établissement ne dispose que d’un seul ordinateur en salle des professeurs pour travailler et d’une salle informatique pour la technologie et les enseignements artistiques.
Ces outils sont indisponibles en dehors des heures de cours, et ce malgré la présence d’un internat. C’est une décision du département qui gère complètement le matériel et le réseau. Dès lors, je dois utiliser mon forfait personnel pour pouvoir préparer mes cours alors que je ne suis pas à mon domicile. La prime d’équipement de 150 € sera donc la bienvenue pour moi mais elle reste en deçà de ce que cela me coûte réellement.
Quelles revendications porterais-tu sur le « prof de collège du XXIème siècle » ?
Il me semble qu’il faudrait développer la co-intervention et le travail par projet.
Ce sont à mon avis des leviers pour améliorer notre pratique enseignante.
La collaboration entre élèves doit pouvoir aussi les aider. Il est en effet paradoxal que les élèves semblent plus autonomes à la sortie de CM2 qu’en 3ème parce qu’on leur a imposé une façon de faire classe très statique et « empêchante » au sein du collège (ne te lève pas, ne parle pas !…). Cela est évidemment lié en partie aux effectifs de gestion de classe mais pas seulement. Il faudrait augmenter à mon sens les temps de formation professionnalisante sur les techniques pédagogiques.
Autre point, l’organisation des temps dédiés pour des entretiens individuels et du suivi, permet la construction par les élèves d’un cheminement vers la suite de façon plus apaisée et réfléchie, cela les aide. Un travail de fond sur l’orientation, lorsqu’il est mené, apporte toujours des résultats pour les élèves, mais là encore c’est toujours à faire en plus.
Peut-être faudrait-il ainsi réfléchir à plus de souplesse dans les services pour compenser le faible nombre d’heures de « sa » discipline dans ces petits collèges et éviter d’enseigner sur plusieurs collèges. Permettre de faire autre chose sur son temps de service. Et pourquoi ne pas promouvoir un accompagnement fort des enseignants pour, par exemple, intervenir dans les écoles.