Parce que plus que jamais, l'heure est à la réflexion sur le modèle démocratique souhaité, le Sgen-CFDT s'est intéressé à la conférence de citoyens, une initiative qui permet de recueillir des recommandations de citoyens sur des questions sensibles.
Juriste, Marie-Angèle Hermitte est une des spécialistes, en France, de cette procédure.
Propos recueillis par Aline Noël. Interview parue dans Profession Éducation, le mensuel du Sgen-CFDT, n° 251 (février 2017).
C’est la réunion d’un panel de quinze à vingt citoyens appelés à répondre à une question précise, d’intérêt général ou local. Formés durant deux à trois week-ends, ils organisent eux-mêmes, lors d’un dernier week-end, un débat en public qui s’achève par une délibération et la rédaction d’une recommandation.
Selon mon expérience, le temps long de la CdC est nécessaire pour que les participants s’approprient le sujet en dehors des moments de formation : pendant ces trois ou quatre mois, ils lisent, font des recherches, échangent entre eux et avec leur entourage…
En dehors d’une répartition équilibrée des âges, sexes, niveaux socio-éducatifs et implantations territoriales, une CdC ne recherche pas la représentativité stricto sensu mais l’absence de liens d’intérêts directs des participants avec le secteur dont relève la question posée.
Le critère de choix, à mon avis le plus sérieux, est celui qui retient les personnes se sentant concernées par le sujet mais ne se reconnaissant aucune compétence, les personnes de bonne volonté, prêtes à s’impliquer durant plusieurs week-ends.
La CdC n’étant pas un label déposé, il existe des protocoles variés. N’importe qui peut monter une CdC, il suffit d’avoir un commanditaire et de l’argent. La méthodologie est donc primordiale.
J’aime citer l’exemple d’une CdC commanditée par la fédération anglaise des assureurs, laquelle voulait anticiper la réaction des clients si des tests génétiques leur étaient demandés pour l’assurance vie.
Une équipe de chercheurs en sciences politiques, a été chargée d’organiser la CdC : il n’y a pas eu consensus, mais une majorité de gens pensaient que, sous certaines conditions, l’idée de tests génétiques n’était pas à rejeter par principe.
Une entreprise privée peut donc réunir une CdC, l’important est que le comité de pilotage qui organise la procédure ne subisse pas de pression. Il faut donc d’emblée poser les règles : le commanditaire finance mais ne se mêle pas de piloter.
Rien de pire qu’une consultation si les jeux sont faits…
En tant que présidente de comité de pilotage, je n’accepte aucune suggestion du commanditaire. A contrario, il peut proposer un expert pour officiellement représenter sa vision des choses.
Il est également primordial que le comité de pilotage d’une CdC comprenne des spécialistes de la procédure et des spécialistes de la question posée, qui doivent être de bords différents.
Dans la dernière consultation sur la vaccination, qui s’inspirait des CdC, le président du comité de pilotage, un généticien peu au fait de ces procédures, a déclaré d’emblée qu’il fallait réaliser cette consultation pour convaincre les gens de la nécessité de se faire vacciner. Rien de pire qu’une consultation si les jeux sont faits.
Il faut un grand savoir-faire pour que les experts formateurs débattent sans s’injurier et sans empiéter sur les temps de parole respectifs. Là intervient l’animateur. En fait, les meilleures procédures ne valent rien sans les bonnes personnes pour les mettre en oeuvre.
Pour ma part, j’essaie de travailler avec le même animateur, Guy Amoureux : philosophe de formation et psychosociologue, il a une très grande expérience de la gestion de conflits. Or dans une CdC, tout repose sur la gestion des contradictions puisqu’il s’agit toujours d’une question conflictuelle (OGM, déchets nucléaires, euthanasie…). Sur un même sujet, des experts de bords différents s’affrontent.
L’animateur a un rôle important…
En tant que présidente de comité de pilotage, je prépare mes experts en amont sur le fonctionnement de la CdC. Donc vis-à-vis des experts, l’animateur a un rôle mineur mais important qui est de ne pas les laisser dévoyer le système. Son autre rôle, essentiel, concerne la conduite de groupe : il faut gérer les différentes personnalités, permettre aux membres les plus dynamiques du panel de jouer leur rôle sans devenir des leaders…
Il faut du temps pour que la pertinence de cette procédure finisse par s’imposer…
Elle enrichit la démocratie représentative car le panel de citoyens va éclairer les représentants sur ce que pensent des gens « ordinaires » ne défendant aucun intérêt catégoriel lorsqu’ils sont mis en mesure, via la formation, d’émettre un avis éclairé. Elle enrichit la démocratie participative : malgré le très petit nombre de citoyens impliqués, le panel est une image de la société. Elle est aussi un entre-deux entre l’expert (le groupe est formé pour comprendre le sujet, et non pour devenir expert) et l’opinion fugace des pétitions, sondages, etc.
Le groupe dispose de données, il entend des experts, il délibère. S’il y a au départ en son sein des positions opposées, des solutions de compromis sont finalement assez souvent trouvées. Mais il ne s’agit pas de négociation comparable à ce qui advient entre partenaires sociaux, par exemple. Même si elle peut aider un des partenaires de la négociation à sortir de son cadre de pensée, une CdC ne saurait remplacer la négociation institutionnelle.
À mon sens, c’est de faire connaitre aux décideurs, sur un sujet sensible et controversé, l’avis de ceux qui, habituellement, ne parlent pas, ces invisibles et inaudibles qui sont l’immense majorité des Français. On connait le point de vue des partis politiques, des corps constitués, des syndicats et du tissu associatif, la société civile organisée, mais pas celui des citoyens ordinaires qui ne sont ni élus ni militants ni membres d’une association.
Un sondage d’opinion donne des réponses spontanées, alors que former le panel pendant deux à trois week-ends en lui faisant entendre des experts et intervenants choisis par le comité de pilotage pour leur connaissance du sujet et leurs positions différenciées, va lui permettre de débattre de manière argumentée et de formuler une recommandation motivée.
En France, le pouvoir politique n’accorde pas de crédit à cette parole…
Ces citoyens peuvent donc finalement réussir à articuler, parmi les différentes propositions contradictoires des experts, des solutions jugées inconciliables parce que soutenues par des parties opposées.
Le grand malheur, c’est qu’en France le pouvoir politique n’accorde pas de crédit à cette parole. Mais ce n’est pas pour cela qu’il ne faut pas organiser de conférences de citoyens. Il faut du temps pour que la pertinence de cette procédure finisse par s’imposer…
Il faudrait l’adapter à ce genre de sujet sociétal. Si vous demandez : « Que faut-il faire pour réformer l’Éducation nationale ? », le champ de réflexion est trop vaste. En revanche, « Comment rénover les méthodes d’apprentissage et comment les adapter à des publics scolaires différents ? », serait une question appropriée pour une CdC.
Évidemment, il ne faudrait pas se limiter au secteur public d’éducation mais englober le privé. Quant aux syndicats, ils pourraient intervenir au sein du processus de formation en tant qu’experts, ou envoyer leurs experts, pédagogues, chercheurs spécialistes des apprentissages…
Pour en savoir plus :
- lire en ligne Marie-Angèle Hermitte, « Conférence de citoyens », in Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, GIS Démocratie et Participation, 2013
- CdC sur les OGM – Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) – 1998
- CdC – « Changements climatiques et citoyenneté » Commission française du développement durable et Cité des Sciences – 2002
- CdC – projet d’enfouissement des déchets radioactifs dans la Meuse – Cigéo – 2013
- « Inscrire les conventions de citoyens dans l’ordre juridique » Contrat Picri avec la Région île de France – Rapport – Proposition de loi.