Texte introductif de la conférence de presse du 18 septembre sur la rentrée 2023.
Les deux fédérations CFDT de l’éducation (Sgen-CFDT et FEP-CFDT) ont décidé de faire conférence de presse commune.
Nous remercions les journalistes présents d’avoir répondu à notre invitation à cette conférence de presse qui va vous présenter nos éléments de bilan de rentrée deux semaines après la rentrée des élèves. Nous vous présenterons aussi notre attente commune d’une réorientation des politiques éducatives articulées à la politique de la ville, car notre société a besoin d’une vision partagée du rôle de l’École, dans la lutte contre les inégalités et le refus de la stigmatisation.
Deux semaines après la rentrée, nos équipes locales témoignent du manque de personnels dans tous les métiers. Les constats dressés par plusieurs syndicats Sgen nous laissent penser qu’il y a bien plus que 200 ETP non pourvus dans l’enseignement public. Avec 70 PE manquant dans un seul des départements de l’académie de Versailles, et partout des collèges et lycées où il manque plus de deux enseignants, le chiffre de 200 nous paraît sous-estimé. Il manque aussi des AESH, des adjoints de direction et adjoints gestionnaires dans les collèges et lycées, des personnels médicaux, sociaux et de santé. Il manque aussi des personnels administratifs en établissement et en service déconcentrés. Pour préparer et suivre la rentrée, dans plusieurs académies les personnels administratifs ont dû travailler nuitamment afin d’ajuster les affectations à la réalité des personnels enseignants disponibles et des besoins. Aucun dialogue ouvert à ce jour dans les académies concernées pour rémunérer, structurer la récupération, faire un retour d’expérience afin que cela ne se reproduise plus les années suivantes.
Dans ce contexte de pénurie de personnels, les conditions de travail sont dégradées et l’épuisement professionnel est perceptible déjà, si tôt dans l’année.
Ce contexte dégradé n’est hélas pas nouveau, il s’inscrit désormais dans la durée.
S’ajoute en cette rentrée, le retour des annonces politiques tant du président de la République que du ministre de l’Education nationale, voire d’autres membres du gouvernement très souvent éloignées des réalités professionnelles. Des promesses sont faites à l’opinion publique et on laisse aux personnels la charge de réparer les défaillances du système au prix de leur épuisement. Cette déconnexion entre le discours politique sur l’école et les réalités professionnelles, la tendance à annoncer une mesure pour l’école à chaque sujet d’actualité contribuent à la défiance envers l’institution et au découragement. C’est ce qui explique qu’au Sgen et à la Fep nous constatons la montée en puissance des sollicitations de collègues qui veulent partir : détachement ou disponibilité, rupture conventionnelle, jusqu’à la démission et à l’abandon de poste quand tout cela est refusé. C’est ce qui explique que 85 % des 800 enseignants des établissements privés sous contrat ayant répondu au questionnaire de la FEP disent ne pas avoir confiance dans le ministère pour améliorer l’école, et 80% ne lui font pas confiance pour améliorer leurs conditions de travail.
Nos deux fédérations considèrent que les consignes données par le ministère dans son guide sur les remplacements de courte durée s’apparentent à des injonctions contradictoires, en particulier sur la question de la formation continue.
Depuis des mois, les formateurs et formatrices, les inspecteurs et inspectrices, les personnels administratifs travaillent dans le cadre des écoles académiques de la formation continue à bâtir et organiser une offre de formation qui réponde aux besoins des personnels et aux commandes ministérielles en particulier sur la prévention et la lutte contre le harcèlement, sur l’éducation à l’égalité filles-garçons, sur l’éducation à la sexualité et sur la laïcité. Tous nos collègues ont le sentiment que leur travail est tout simplement jeté à la poubelle quand début septembre on leur demande de tout revoir. Ici pour diminuer tout simplement le volume de formation de 30%, partout pour que le moins de formation, voire aucune n’ait lieu à d’autres moments que le mercredi après–midi ou pendant les vacances scolaires.
Négation du travail réalisé, contradiction entre les objectifs affichés, cela est insupportable pour les personnels et nos fédérations ne l’acceptent pas.
Alors que des constats ont été partagés depuis plusieurs années sur le temps de travail réel des enseignants, sur le nombre de jours de travail pendant les vacances des élèves, la décision unilatérale du ministre de viser 100% de formation continue en dehors du temps d’enseignement est inacceptable et totalement contradictoire avec les enjeux d’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle inscrits dans le plan pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Inacceptable en termes de conditions de travail. Inacceptable parce qu’elle va tout simplement, comme ce fut le cas dans le 1er degré déjà, assécher la formation continue au détriment de la qualité du système éducatif.
Pour la FEP et le Sgen, la formation continue c’est du travail, elle a donc vocation à se dérouler sur le temps de travail.
Le temps de travail des enseignants ne se limite pas à leurs heures d’enseignement, certes, mais interdire à terme toute absence en classe pour participer à une formation c’est au choix alourdir la charge de travail de professionnels déjà épuisés, ou préparer l’effondrement de la formation continue. Dans les deux cas, cette décision unilatérale du gouvernement aura des effets délétères.
Les tentatives de déploiement du pacte sont l’autre élément d’alourdissement de la charge de travail, mais aussi de creusement des écarts de rémunération entre les deux degrés d’enseignement et entre femmes et hommes.
A ce stade, dans nos deux fédérations, les constats convergent : le nombre de professeur.e.s qui prennent des parts fonctionnelles et le travail supplémentaire qui va avec est inférieur aux attentes ministérielles. Certaines mesures annoncées aux familles dans les collèges et les lycées professionnels risquent fort de ne pas pouvoir être mises en œuvre. Nous constatons même que dans certains établissements ce qui fonctionnait est déstabilisé : en termes de remplacements de courte durée, en termes de projets pédagogiques. Et il est toujours aussi difficile de trouver des volontaires pour être professeur.e principal.e, tuteur ou tutrice.
Tout cela est contradictoire avec la volonté affichée par le ministre d’améliorer les conditions de travail et l’attractivité du métier enseignant.
Par ailleurs, pour nos deux fédérations, redonner de l’attractivité aux métiers de l’éducation suppose une trajectoire pluriannuelle de revalorisation des rémunérations sans condition.
Le doublement de l’ISOE part fixe, de l’ISAE et l’augmentation équivalente des primes statutaires versées à tous les enseignants, CPE et PsyEN que nous avons obtenu l’an passé est enfin un signe donné à toutes et tous quelle que soit leur position dans la carrière. Mais il faut aller au-delà. Nous continuons de demander leur triplement par rapport à 2022. Le fait que le ministre parle au passé de la revalorisation n’augure rien de bon, et les personnels l’ont bien compris. 87 % de ceux qui ont répondu à l’enquête de la FEP ne lui font pas confiance pour obtenir une augmentation significative de leur rémunération.
Pour tous les autres personnels aussi, les discussions doivent reprendre avec des enveloppes budgétaires identifiées pour améliorer les rémunérations et les conditions de travail. A défaut, le système éducatif risque d’entrer dans une spirale négative.
Nos fédérations demandent un réel engagement politique et budgétaire interministériel en faveur de la mixité sociale et scolaire, incluant l’enjeu de l’accompagnement des professionnels concernés.
Depuis longtemps, nos deux fédérations portent des propositions pour que le système éducatif soit résolument conçu autour de l’école pour toutes et tous, conçu pour la réussite de toutes et tous. L’an dernier nous avions porté ensemble des propositions pour la mixité sociale et scolaire dans les établissements scolaires publics et privés sous contrat. Les annonces et dispositions prises mezzo voce par Pap Ndiaye avaient au moins permis de rouvrir un sujet majeur sur le plan démocratique et pourtant laissé en jachère entre 2017 et 2022 (sans toutefois – et c’est heureux – mettre un terme à ce qui avait été initié pendant le quinquennat 2012 – 2017).
Plus de deux mois après les émeutes de juin-juillet, et surtout après des alertes majeures et répétées des maires de communes populaires, d’acteurs sociaux et associatifs qui travaillent au plus près des personnes dont la situation économique et sociale est difficile, se dégrade depuis la pandémie et sous les coups de boutoir de l’inflation, l’absence de travail structuré avec le ministère, dans les académies dans le cadre du dialogue social sur l’articulation entre politiques éducatives et politique de la ville est incompréhensible. Il ne serait pas acceptable de laisser se creuser les écarts entre établissements, entre enseignement public et enseignement privé en termes de mixité sociale ou plutôt d’absence de mixité avec des polarisations que la publication des IPS a rendu visibles pour toutes et tous. Nos fédérations demandent des mesures plus résolues en faveur de la mixité sociale et scolaire, incluant l’enjeu de l’accompagnement des professionnels concernés.
L’acte II de l’école inclusive s’est construit jusqu’ici avec très peu de dialogue social.
Construire l’école pour toutes et tous, c’est aussi améliorer les conditions de mise en œuvre des objectifs de la loi de 2005 en matière d’inclusion quels que soient les besoins éducatifs et médicaux des enfants. Trop de personnels sont laissés seuls face au manque d’AESH, face à l’absence de médecins scolaires, et contraints de mal vivre dans leur travail l’école inclusive. Pour le moment, l’acte II de l’école inclusive s’est construit avec très peu de dialogue social et les années passées, le ministère n’a pas été en capacité de prendre en compte nos descriptions des réalités professionnelles parfois très difficiles des personnels de l’Education nationale pour réussir l’inclusion de la maternelle jusqu’au baccalauréat. Pour avancer sur ce volet, il faudra accepter de revenir sur les politiques éducatives reposant sur l’intensification et la surcharge de travail pour les personnels et sur les programmes surchargés qui limitent toute capacité de différencier, d’adapter l’enseignement aux besoins des élèves.