Interviewée par Jean-François Le-Clanche, Maria Saunier, CPE à Sées, partage avec nous son vécu pendant la période de confinement.
Entretien avec Maria Saunier, CPE
Je suis CPE depuis 20 ans. J’ai longtemps été CPE au CFA d’Yvetot (Normandie – Seine Maritime). J’ai changé de poste et désormais, je suis au lycée de Sées (Normandie-Orne). J’ai passé le concours ouvert dans le cadre du dispositif de déprécarisation pour devenir fonctionnaire et je l’ai obtenu ! Je suis adhérente au Sgen-CFDT, je ne suis pas militante et je ne souhaite pas le devenir.
L’épidémie a affecté tout le monde d’une manière ou d’une autre : psychologiquement toutes les personnes de mon entourage ont été affectées. Ce n’est pas simple de s’emprisonner tout seul. Je suis également inquiète pour ma maman seule et âgée. Mes enfants sont dans le secteur médical, mon fils est pompier. Ils sont en « première ligne ».
Pour le moment, l’Orne n’est pas très touchée. La population est rurale et peu dense.
Ça dépend des jours. Beaucoup de réunions « Zoom » sont organisées certaines journées, par exemple des réunions avec les équipes « enseignants » et par niveau. Les enseignants sont en première ligne dans le contact avec les élèves. Je prends également des élèves, ma collègue CPE, des étudiants.
Les CPE sont présents à toutes les réunions : on fait systématiquement le point sur les élèves. Pronote, Messenger : ces supports fonctionnent plutôt bien. Les enseignants envoient aux CPE la liste des jeunes injoignables ou qui travaillent peu. Avec les assistants d’Éducation (AE), on les contacte.
Les CPE s’occupent plus particulièrement des décrocheurs…
On a appelé tous les élèves depuis 15 jours pour faire le point et identifier les problèmes. La première semaine a été dure. Il y a des familles nombreuses et un seul ordinateur pour tous : cet état pose soucis. Les CPE s’occupent plus particulièrement des décrocheurs. On les suit. Le profil type des décrocheurs n’est pas une surprise pour nous : ce sont des jeunes qui étaient déjà en difficulté (scolaire, sociale, familiale…) et identifiés. En persévérant, on a récupéré ceux qui décrochaient grâce à de nombreuses heures passées au téléphone. Il n’y a donc pas de journée type. On s’adapte à l’urgence. La journée type c’est « l’appel au jeune » et les « visio ».
Avec ma hiérarchie, j’ai une « visio » tous les deux jours pour faire le point avec l’équipe de direction. De toute façon, ils sont joignables à tout moment. Je bénéficie d’un logement de fonction sur le site du lycée. Je croise donc le directeur. Le contact (en respectant les gestes barrières) se fait. Je vis plutôt bien cette période même si l’enfermement est pesant. Je ne peux pas bouger, sortir, voir ma famille mais psychologiquement ça va ! Le plus angoissant c’est de ne pas savoir jusqu’à quand durera ce confinement. En attendant, je cuisine beaucoup…
Pour moi, en tant que CPE, c’est rester en contact avec les jeunes. On est à disposition des enseignants et on répond à leurs demandes. Ils apprécient. S’ils ont besoin qu’on contacte les jeunes, les enseignants le savent et nous le signifient : liste de jeunes à contacter via un tableau.
Une autre difficulté se présente à nous : l’organisation de la rentrée de septembre et le recrutement des élèves. Quels effectifs aura-t-on à la rentrée ? Nous n’avons pas pu maintenir l’intégralité des portes ouvertes qui avaient été programmées. Pour compenser, on se bat, on communique, on « Facebook ». On est tous inquiets, notamment la direction. Une seule porte ouverte a été réalisée avant le confinement.
L’organisation de la rentrée de septembre et le recrutement des élèves nous inquiètent…
L’expérience montre que le recrutement des secondes GT passe par la visite de l’EPL. Elle n’a pas pu se faire à l’identique des autres années, c’est une réelle inquiétude. Pour le recrutement en filière professionnelle, on est moins inquiets, les jeunes ne viennent pas chez nous par hasard. Pour les BTS, le choix se fait via PARCOURSUP avant la visite. Enfin, dans un contexte de baisse démographique au niveau du territoire, nous ne sommes pas serein.
L’organisation des examens et du déconfinement nous inquiète également.
Enfin, en tant que CPE, je vais rencontrer une difficulté pour gérer le service et plus particulièrement l’emploi et l’agenda des AE dans un avenir proche. De nouvelles instructions issues de notre autorité académique changent l’organisation établie. Avec les nouvelles règles qui nous sont imposées, le recrutement des AE me soucie : quels horaires vais-je leur proposer ? Comment vais-je les faire travailler ? On travaille actuellement sur l’organisation du travail des AE pour l’année prochaine. Il faut comptabiliser toutes leurs heures désormais. C’est une organisation délicate à monter.
Je n’ai pas de soucis de cet ordre. Les jeunes sont équipés. Il y a un problème avec les fratries qui sont obligées de partager un ordinateur. Il y a aussi des « zones blanches » ou les débits de connexion sont bas. Les élèves téléchargent des cours, travaillent par mail. Le recours à la solution du courrier est compliqué : il y a des délais de traitement, l’arrivage prend deux ou trois jours.
Je ne sais pas. Pour la « visio » : je deviens une pro ! J’ai appris plein de chose notamment avec PRONOTE et la découverte des multiples possibilités offertes par cet outil. Non, je ne pense pas que ça va changer. Il y aura un avant et un après, psychologiquement et humainement. La relation avec les élèves et les collègues va évoluer : les liens se sont resserrés. Le soutien avec la direction est réel. Une fois que tout ceci sera passée, j’espère que ces acquis ne seront pas oubliés.
Courage, il y aura une fin.
Bienveillance.
Pour lire les témoignages d’autres agents de l’Enseignement agricole public :
• Confinés : des agents de l’enseignement agricole public témoignent – Volet 1
• Confinés : Des agents de l’enseignement agricole public témoignent – Volet 2
• Confinée : Fatna Ghorzi, technicienne à Agrosup-Dijon témoigne
• Confiné : Témoignage de Pierre Guy Marnet, Professeur à l’Institut Agro de Rennes
• Confinée, une AESH en lycée agricole témoigne
• Confinée : une jeune agronome en Lycée agricole témoigne
• Confinée, Marie-Pierre, professeure certifiée de l’enseignement agricole témoigne
• Confiné : Eric Guibert, secrétaire général du Lycée de Toulouse-Auzeville témoigne