Interviewée par Jean-François Le-Clanche, une accompagnante des élèves en situation de handicap (AESH) partage avec nous son vécu pendant la période de confinement.
Je suis AESH dans un lycée agricole depuis 2011. J’ai été « CDisée » après 6 ans d’exercice. Je travaille à 90%. Je suis militante CFDT. Je m’occupe aussi de l’aménagement des épreuves des élèves, je fais les dossiers avec les familles. Je m’occupe de 9 élèves répartis en classe de 4e, 3e, CAPa, seconde, terminale.
Un élève n’a pas un seul AESH dans mon établissement. On veut qu’ils soient suivis par plusieurs AESH afin de les habituer à travailler avec plusieurs personnes (mise à part pour des pathologies où l’élève ne peut pas avoir plusieurs interlocuteurs). C’est une politique d’établissement de procéder ainsi, aussi bien pour l’intérêt des élèves que celui des AESH.
Une seule personne, dans mon entourage familial.
Le département de l’Isère n’a pas l’air aussi touché que le « Grand-Est ». Quelques élèves chez nous ont eu le Covid-19 ainsi que le fils d’une collègue.
Nous avons revu le partage initial des élèves avant le confinement. Avec mes collègues AESH, nous nous sommes dispatchées les élèves. J’en suis 4 pendant le confinement. Chaque jour, je contacte les élèves. J’ai défini avec eux la façon dont nous pouvions communiquer : par téléphone et par mail essentiellement.
Je réside à la campagne, ma connexion est compliquée et pour un élève aussi. Pour compenser on s’envoie les photos des documents sur lesquels l’élève travaille, on se téléphone aussi. Je fais « des fiches » pour que les élèves puissent avancer leur travail. Ils me renvoient leurs exercices. Il faut très souvent les solliciter.
Je ne compte pas mes heures…
Au début, ce n’était pas facile pour eux, ils n’osaient pas nous contacter de peur de déranger, maintenant ça va. Entre AESH, nous sommes régulièrement en contact, nous échangeons (nous avons même ouvert un compte WhatsApp). Chaque fin semaine, nous envoyons un compte-rendu d’activité à la direction.
Pour mon temps de travail, c’est compliqué. Je ne compte pas mes heures. On s’adapte surtout aux besoins des élèves. La durée de mon temps de travail est variable.
L’école leur manque…
Au fur et à mesure du confinement, j’ai senti une baisse de motivation des élèves et de leur moral. Ceux qui passent leurs examens stressent. Les élèves ont l’impression de plus bosser. L’école leur manque. Ils ont un cadre à l’école qu’ils n’ont pas à la maison. Je suis un élève particulièrement difficile qui décroche. Il décrochait déjà avant le confinement, son handicap est très lourd et le confinement n’est pas à l’origine du décrochage.
Nous consultons sur Pronote les devoirs que les élèves ont à faire. S’il y a un problème, on envoie un mail aux profs. Les profs sont hyper-sérieux et répondent immédiatement. Le lien avec la direction est hebdomadaire. Avec plusieurs de mes collègues, nous sommes allées aider volontairement dans les serres de l’exploitation.
Au niveau des contacts avec les familles, c’est variable et c’est du cousu main : je communique autant avec un élève qu’avec sa maman (élève ayant un gros problème de mémoire), au téléphone, par mail. Pour une autre famille, c’est différent : c’est une fratrie de 8 enfants !!! La maman ne veut pas communiquer par téléphone. J’appelle la grande sœur qui est au lycée. Je m’adapte. Autrement, je ne contacte pas directement les deux autres familles pour des raisons différentes : un élève est majeur et autonome, et pour l’autre, le contact avec la famille est très difficile.
cette période est frustrante…
Je trouve que cette période est frustrante. Ce n’est plus le même travail. De voir la baisse de motivation des élèves que l’on suit est difficile. On avait un travail de face à face, désormais, c’est à distance. On n’a pas les mêmes relations, j’ai l’impression d’être moins efficace. Je garde quand même le moral.
Ça se résume à garder les liens, garder le contact avec les élèves, être là pour les rassurer, les remotiver et veiller à les faire travailler. Mes élèves sont sérieux. Je dois même dire à un élève de moins travailler ! Il en fait trop et est très stressé !
J’ai des problèmes de connexions.
J’ai un jeune adulte avec moi, confiné, qui est revenu à la maison. On a épuisé la « 4G » de tout le monde car il doit se connecter pour suivre ses cours. Nous avons épuisé nos forfaits. Nous avons dû en prendre un autre avec plus de capacité pour mon fils.
J’utilise mon ordinateur personnel, pas très performant mais il marche. Ça va.
Le lien social me manque.
Je suis frustrée de travailler ainsi et j’ai envie de retourner sur mon lieu de travail. Le lien social me manque. Je commence à être stressée à force d’être confinée. Ça devient pesant.
Les enfants comptaient reprendre le 11 mai, ils sont déçus car c’est reporté.
Le tiers de nos élèves est en internat et cet internat est dans un lycée de l’Éducation nationale à coté : comment s’organiser ?
Je n’en sais rien. Je finis une année scolaire avec un temps de travail de 90% mais je ne connais pas mon quota à la rentrée : 50% , plus ?? Quand va-t-on reprendre et comment ? Comment va-t-on s’organiser ? On va changer nos pratiques de travail.
Notre travail c’est le contact avec les élèves : comment va-t-on faire ? On va garder la distance ?
Pour être bien avec l’élève que l’on suit, il faut bien être avec toute la classe. On doit être acceptés par tous les élèves. Il faut une complicité transversale. On sait faire et ça marche bien en aidant aussi ponctuellement d’autres élèves demandant de l’aide.
On est dans un petit lycée, il y a 200 élèves et les élèves handicapés sont bien acceptés. Depuis 9 ans, notre statut a beaucoup évolué. Au début, je n’étais pas très à l’aise en classe. Ça a beaucoup changé, maintenant, on est bien accepté.
J’ai envie de parler du handicap. Dans mon établissement, la direction nous épaule et est très sensibilisée au handicap. Les élèves (handicapés) progressent plutôt bien. Passés le lycée, nos élèves se sentent un peu abandonnés. Les jeunes adultes (handicapés) que nous avons suivis ne sont pas toujours bien pris en charge dans notre société et dans le monde du travail. Je suis en contact régulier avec eux.
L’inclusion à l’école, c’est bien. L’inclusion dans la vie, c’est bien aussi…
L’inclusion à l’école, c’est bien. L’inclusion dans la vie, c’est bien aussi, mais cela reste « un chantier » à améliorer. Heureusement, il y a aussi des élèves qui ont très bien réussi après le lycée ! Mais pour certain, l’insertion dans la vie professionnelle est difficile : il y en a qui galèrent !
Rester confiant.
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