Parler de son travail au cours de cette période si particulière qu'est le confinement : c'est l'objectif que s'est donné le Sgen-CFDT en donnant la parole aux personnes qui agissent au quotidien pour les élèves. Aujourd'hui, Annabelle Binoist, enseignante en REP+ dans une classe de CE1 de 13 élèves.
Annabelle Binoist, enseigne dans une classe de CE1, à l’école Albert Schweitzer d’Amiens comptant 13 élèves. La classe est dédoublée depuis la mise en place de cette mesure dans les quartiers prioritaires. Si cette école ne compte aucun enfant de soignant, le confinement et la nécessaire continuité pédagogique peuvent être des difficultés pour des familles qui sont souvent éloignées de l’école. Le Sgen-CFDT a voulu en savoir plus.
Comme beaucoup d’enseignants, tu as mis en place la continuité pédagogique avec tes élèves, comment cela se passe-t-il avec tes élèves ?
Pour la continuité pédagogique, j’utilise l’ENT avec les élèves qui ont un ordinateur, une tablette ou un téléphone avec internet. C’est un outil que nous utilisions déjà avant le confinement, nettement moins bien sûr, mais ce n’est donc pas nouveau pour les élèves.
Je dépose la liste du travail à effectuer dans la journée dans le cahier de texte de l’ENT, puis ils doivent aller dans le cahier multimédia ou dans les blogs chercher les exercices qu’ils copient sur leur « cahier du jour » car aucun ne peut imprimer.
Ce qui est compliqué c’est que ce sont les élèves les plus fragiles qui sont le moins équipés.
Je téléphone à chaque élève 2 fois par semaine, pour avoir des nouvelles de la famille, expliquer éventuellement un exercice, et j’écoute lire les plus faibles qui avaient quelques phrases à préparer. Il faut aussi remotiver les élèves qui sont souvent seuls face au travail.
Ton école est située dans un quartier REP + avec des familles souvent éloignées de l’école, quelles relations as-tu réussi à tisser malgré le confinement ?
La difficulté avec le public de mon école c’est que de nombreuses familles parlent peu français. Je discute donc à chaque appel un petit peu avec un adulte (souvent la maman) pour avoir des nouvelles. Elles sont en général contentes de cet appel et les conversations s’éloignent du sujet scolaire, ça c’est agréable.
On a vraiment tissé d’autres liens avec tous : j’ai déjà eu une recette par téléphone, j’ai discuté avec tous les frères d’un élève qui voulaient me parler… Et les parents demandent de mes nouvelles, des nouvelles de ma famille, des autres enfants de l’école…
Par contre pour parler travail, je ne peux m’adresser qu’à mes élèves, pour la plupart, ils n’ont personne qui peut les soutenir, les aider, c’est à eux que je dois expliquer les procédures quand je mets en place de nouvelles activités (comme la classe virtuelle). Les élèves ont mon numéro de téléphone, au début certains élèves appelaient plusieurs fois par jour mais maintenant peu se servent de ce numéro, et il n’y a aucun abus.
Comment fais-tu avec les familles ne disposant pas d’outils numériques ?
Pour les enfants qui ne sont connectés qu’avec un téléphone, j’envoie des photos des exercices par whatsapp. Pour une élève, le travail est envoyé sur la boîte mail professionnelle de son père qui lui ramène les devoirs le soir. Je n’ai pas eu besoin de mettre en place le dispositif proposé par la poste pour que les fiches soient imprimées et livrées au domicile de l’élève.
Avec ce confinement, quelle est ton amplitude horaire de travail ?
Arrives tu à te déconnecter de ton travail ?
Mon rythme de travail est différent durant ce confinement : 2 élèves ne sont connectés qu’avec le téléphone du papa qui travaille, donc je les appelle le soir. Il n’y a plus vraiment de mercredi car certains élèves travaillent ce jour-là et ont besoin de moi.
Dans les familles qui ont plusieurs enfants pour un seul téléphone ou ordinateur, ils s’organisent comme ils peuvent. Priorité est donnée aux plus grands, alors moi je m’adapte. Je reste tout le temps connectée car les enfants me renvoient par photo sur mon téléphone ou via la messagerie de l’ENT leur travail. Je liste les corrections à apporter et les leur envoie puis ils ont une correction « type » deux jours après dans l’ENT.
Comment envisages-tu en tant que professionnel le retour dans ta classe avec tes élèves quand ce sera possible ?
Pour le retour en classe, j’attends bien évidement les directives du ministère. Je sais d’ores et déjà qu’il sera primordial de différencier encore davantage entre les élèves qui auront pu travailler dans de bonnes conditions et ceux qui étaient déjà fragiles. je sais aussi que certains auront passé plusieurs semaines sans parler français, en travaillant en autonomie sans aucune aide possible de leur famille.
Des apports qui dépassent la continuité pédagogique
Derrière ce témoignage d’Annabelle, s’affirme la capacité d’adaptation des enseignants en fonction du public accueilli. Différencier demande donc des trésors d’inventions et cela montre clairement le professionnalisme des enseignants. Au delà de la continuité pédagogique pure, ce lien permet aussi à l’ensemble de la famille de découvrir l’école, la maîtresse différemment. Pour le Sgen-CFDT, c’est donc bien de nouvelles relations qui se tissent pendant cette période de confinement.