Etienne Fisher est professeur de mathématiques dans un petit collège rural. Il évoque son quotidien pendant le confinement : le travail avec ses élèves, ses collègues, mais aussi le DNB.
La réalité du confinement montre que l’implantation territoriale d’un établissement et son public jouent beaucoup sur la mise en œuvre de la continuité pédagogique. Pour l’illustrer, le Sgen-CFDT donne la parole à Etienne Fisher, enseignant au Collège Alan Seeger de Vailly-Sur-Aisne, un collège rural qui accueille 230 élèves venus de 5 communes alentours.
Professeur de mathématiques, il dispense son enseignement auprès de 5 classes de 6ème et de 3ème. Comme il n’y a que deux enseignants de maths dans ce collège, il a donc la moitié des effectifs soit 115 élèves.
Après discussions avec des amis, parents d’enfants scolarisés en collège, j’ai décidé d’organiser le travail de mes élèves de la façon suivante : chaque semaine, un programme de travail est transmis à chaque classe par l’intermédiaire de l’Espace Numérique de Travail (ENT).
Il comprend une leçon (comprenant des liens vers de courtes vidéos l’expliquant) et une liste d’exercices extraits du manuel de mathématiques. Cela permet aux élèves de pouvoir faire leur travail en décrochant les yeux de leur écran pour quelques instants !
Chaque semaine, un programme de travail est transmis à chaque classe.
Les exercices sont à me renvoyer pendant la semaine, à une adresse mail communiquée aux élèves pour contourner les problèmes de connexion à l’ENT saturé. Pour moi, la forme importe peu et cela peut être : photo du cahier (le plus fréquent), scan, document texte ou pdf, … Ce système a pour but de permettre à chacun de s’organiser dans le temps comme il le préfère, en fonction des contraintes familiales et matérielles.
De mon côté, en cours de semaine, je gère les retours de travail par messages électroniques, en répondant systématiquement à chaque message. En fonction des élèves et du travail qu’ils m’ont envoyé, je me contente d’un commentaire ou je renvoie une pièce jointe de leur travail, corrigé ou comprenant des indications pour pouvoir terminer.
Je tiens quotidiennement un fichier de suivi des retours, classe par classe, élève par élève. Après deux semaines, j’ai constaté que certains élèves ne renvoyaient rien du tout, environ un tiers de l’effectif de chaque classe (7-8 élèves). C’est le moment où nous avons eu les premières vidéo-conférences avec mes collègues et notre cheffe d’établissement.
Plus que 2 à 3 élèves par classe pour lesquels je n’ai aucun retour.
Nous y avons décidé de contacter individuellement chaque famille avant les vacances de printemps. Nous avons commencé par les familles avec lesquelles nous n’avions aucun retour. Ces appels ont été fait par l’équipe Vie scolaire, ainsi que par certains Profs Principaux volontaires. Ils ont été efficaces : deux semaines plus tard, au début des vacances, je n’avais plus que 2 à 3 élèves par classe pour lesquels je n’avais aucun retour.
Dans certains cas, nous avons constaté que les élèves faisaient le travail demandé, mais que c’était trop compliqué pour eux de le renvoyer, en raison d’accès à internet problématiques : parfois seulement via un smartphone, connexion internet de très mauvaise qualité dans certains villages mal desservis.
Dans d’autres cas, les élèves sont livrés à eux-mêmes toute la journée et ne font pas l’effort de travailler. Nos relances téléphoniques ont fini par faire réaliser à certains d’entre eux que ce n’était décidément pas les vacances !
Enfin quelques élèves (environ 3 ou 4 sur mes 115) n’ont aucun accès à internet. Pour ceux-là, notre cheffe d’établissement a réalisé des impressions et les a transmises aux familles.
Dans le programme de travail que j’envoie aux élèves en début de semaine, les exercices sont classés par niveaux (simple, moyen, prise d’initiative). Je laisse les élèves juger par eux-mêmes ceux qu’ils veulent réaliser. Je me rends compte que beaucoup d’élèves essaient d’aborder les exercices un peu compliqués.
Selon ce qu’ils réalisent, soit je me contente de leur renvoyer leur travail corrigé ou comportant des indications (souvent à l’aide d’un logiciel de dessin sur les photos qu’ils m’envoient), soit, pour ceux qui ont réussi ces exercices, j’en propose un ou deux plus compliqués pour leur permettre d’aller plus loin. Libre à eux de les faire ou non ! J’ai eu pas mal de retours, ce qui montre que les élèves habituellement motivés en classe, continuent de l’être même confinés chez eux.
J’entretiens des relations avec les familles au travers des messages qu’elles m’envoient autour des retours du travail de leurs enfants. Beaucoup de mes élèves, notamment les 6ème, n’ont pas d’adresse électronique personnelle, et c’est donc par celle de leurs parents que se font ces retours.
Cela permet un contact assez spontané lorsque des problèmes se présentent, notamment des problèmes matériels liés à la connexion internet, à la consultation des pièces jointes, ou bien aux difficultés rencontrées dans les familles pour faire travailler les enfants.
Pour beaucoup de familles, envoyer un message électronique représente une difficulté.
Nous avons constaté à cette occasion que pour beaucoup de familles, envoyer un message électronique représente une difficulté : pas d’affichage de l’identité de l’expéditeur, objet non complété, aucun texte dans le corps du message et seulement une pièce jointe, parfois sans nom d’élève : pas facile de s’y retrouver parfois !
Après avoir commencé par assurer les conseils de classe à distance sur Pronote (un grand moment…), le travail collectif avec l’équipe pédagogique s’est organisé par l’intermédiaire de vidéo-conférences hebdomadaires. Nous y évoquons les problématiques générales du fonctionnement, ainsi que le suivi des élèves et les actions mises en œuvre par chacun pour tenter de maintenir le contact avec les élèves que nous sentons décrocher. Notre cheffe d’établissement est constamment joignable par téléphone, et participe activement aux échanges ce qui fait que le contact avec elle n’a jamais été rompu.
J’ai aussi la chance de travailler dans un petit établissement, avec des collègues qui sont pour beaucoup des amis, ce qui fait que les interactions entre nous sont nombreuses et fluides. Nous évoquons ainsi régulièrement le cas de tel ou tel élève qui le nécessite, sans formalisme.
Dans mon collège, depuis la réforme de 2016, nous n’évaluons plus que par compétences, tout au long du cycle 4. Les notes obtenues en 4ème et 3ème n’étant plus prises en compte pour l’attribution du DNB (en fonctionnement normal), nous avons préféré abandonner la notation chiffrée et nous investir dans une évaluation des compétences du socle au quotidien, dans nos disciplines. Cela se passe aussi au travers des différentes actions menées par nos élèves et dans la vie du collège en général. Ce travail a nécessité beaucoup d’investissement à toute l’équipe pour s’approprier ce mode de fonctionnement. Ce principe d’évaluation est maintenant rentré dans les mœurs, tant au niveau des collègues que des familles.
Alors découvrir aujourd’hui que le ministère envisage de remplacer les 400 points des épreuves terminales par 300 points issus des moyennes des élèves, m’a mis en colère !
C’est non-seulement impossible pour nous qui ne notons plus nos élèves, mais ça traduit surtout une certaine ignorance en haut lieu de ce qui se pratique réellement sur le terrain. Il me semble qu’étant donné l’annulation des épreuves terminales cette année, la logique aurait été d’attribuer le DNB sur la base des 400 points de l’évaluation du socle commun, qui reflète le travail d’un élève sur toute la durée du cycle 4 (5ème, 4ème, 3ème).
J’attends de mon syndicat une vigilance vis-à-vis des propositions faites par les autorités, tant sur le plan pédagogique que sur le plan de l’organisation liée à la situation sanitaire. Cette vigilance doit être basée sur des positions rationnelles, et non sur la peur et l’émotion que suscite légitimement cette période et la « rentrée » qui s’annonce. Les angoisses individuelles des enseignants, des élèves et de leurs familles sont bien compréhensibles. En tant que syndicat, nous devons réfléchir à la meilleure façon de reprendre nos missions de fonctionnaire dans nos établissements pour permettre un retour progressif vers une situation plus « normale ».
Il faudra veiller à ce que les contraintes imposées par la situation sanitaire soient conciliables avec un fonctionnement relativement apaisé et pas trop anxiogène pour tous, élèves comme adultes.