Notre manière de travailler a brusquement changé avec le confinement. Quelques témoignages viennent éclairer l'importance de cette mutation.
Cela fait plus de sept semaines que les établissements d’enseignement agricole (enseignement supérieur et technique) sont passés en mode « confinement ». Dès l’annonce de leur fermeture, le 14 mars, deux mots d’ordre ont guidé leur action : la mise en œuvre de la « continuité pédagogique » et si possible « travailler à distance ».
Ces injonctions ont du jour au lendemain bouleversé le quotidien des apprenants comme celui des enseignant·es et des agents qui les encadrent. Syndicat proche du terrain, le Sgen-CFDT a réalisé une série d’interviews afin de recueillir le vécu de chacun dans la singularité de ce quotidien confiné.
STRESS, RUPTURE AVEC UN VIRUS INVISIBLE MAIS BIEN PRÉSENT
L’annonce faite par le Président de la République, le 12 Mars, informant la communauté nationale de la fermeture des écoles, collèges, lycées et universités a surpris tout le monde. Une enseignante confie même que cette « annonce du confinement a été brutale ».
La période actuelle est particulière et anxiogène…
L’arrivée de l’épidémie a été ressentie comme soudaine et a « affecté tout le monde d’une manière ou d’une autre : psychologiquement toutes les personnes de mon entourage ont été affectées. Ce n’est pas simple de s’emprisonner tout seul ».
Ce confinement impacte les vies personnelles et professionnelles. Il n’est ni banal, ni anodin. Une CPE est ainsi « inquiète pour ma maman seule et âgée. Mes enfants sont dans le secteur médical, mon fils est pompier. Ils sont en « première ligne ».
Les personnes interviewées sont souvent angoissées pour elles-mêmes ou pour leur proche. Pour un enseignant-chercheur : « comme chacun, je pense avoir un peu d’appréhension pour des parents âgés ou fragiles, un peu de déception de ne pouvoir bouger par les beaux jours qui arrivent mais ce n’est pas très déstabilisant ni difficile à supporter pour moi qui dispose d’un jardin. Il y a plus à plaindre ou soutenir que nous ».
Ça bouscule toutes mes conventions dans mon milieu familial…
Pour une secrétaire, l’absence de jardin est effectivement un problème « Du jour au lendemain, il a fallu organiser ma vie de travail chez moi. Ça bouscule toutes mes conventions dans mon milieu familial. Je travaille dans ma cuisine. Là aujourd’hui, je prends conscience qu’il faut que je déménage et que je trouve une maison : avec un petit jardin pour sortir. Je ne sors presque plus ! Sortir dans son jardin c’est bien ! »
Pour une AESH, « La période actuelle est particulière et anxiogène. On doit vivre et fonctionner autrement. On a du accepter d’être enfermé chez soi. C’est un sentiment particulier que d’être privé de liberté. Les élèves en parlent beaucoup ».
Les paroles exprimées sont teintées à la fois de gravité, notamment quand est évoqué la question de la privation volontaire de liberté. Elles peuvent aussi être parfois teintées d’une pointe d’humour. Un agent nous confie vivre « plutôt bien cette période même si l’enfermement est pesant. Je ne peux pas bouger, sortir, voir ma famille mais psychologiquement ça va ! Le plus angoissant c’est de ne pas savoir jusqu’à quand durera ce confinement. En attendant, je cuisine beaucoup… ». L’incertitude du lendemain est pesante. D’autres personnes évoquent une situation familiale douloureuse : « ma famille par alliance est touchée. Nous avons perdu un membre âgé de notre famille. Ils ont vécu la problématique de la cérémonie ».
C’est un sentiment particulier que d’être privé de liberté.
L’épidémie ne touche pas uniquement des parents âgés. Une personne confie que sa « fille étudiante à AgroParistech a été touchée et est rentrée à la maison pour être confinée. Elle a eu des symptômes importants : température, fatigue, des maux de tête violents et insupportables. Le médecin a diagnostiqué une sinusite ! Elle a eu des antibiotiques. Elle est restée 10 jours au lit avec température. Son père a subitement perdu le gout …il a télé consulté un médecin. Le coronavirus a été diagnostiqué ».
La sphère familiale peut-être impactée. Un autre agent suit l’évolution d’« une personne contaminée dans ma famille : ma filleule qui est aide-soignante. Elle a été 15 jours confinée et affectée. Elle va mieux mais 3 ou 4 jours ont été compliqués ».
Les sphères professionnelles et personnelles sont touchées. Des agents et des élèves de l’enseignement agricole ont été contaminés ainsi que leur famille. Une enseignante révèle avoir développé « des symptômes légers » et avoir « été souffrante ». « Cet état est anxiogène. J’ai réussi néanmoins à maintenir mon activité. J’ai été une semaine au ralenti ». Un secrétaire général (SG) d’EPL précise avoir « deux cas. Un enfant d’un collègue logé sur site : tout va bien pour lui. Une assistante d’éducation qui hélas a une pneumonie persistante et qui reste chez elle ».
L’incertitude du lendemain est pesante.
Dans une autre région, une directrice adjointe indique : « on a quelques étudiants qui ont été suspectés mais non testés. Un agent a été testé positif au retour des vacances de février. Il a vite été arrêté. J’ai été en contact avec lui, je n’ai rien eu ! 3 enseignants ont du être infectés mais non testés».
Enfin certaines équipes de direction ont du gérer le début de crise sans bénéficier des consignes nationales ou régionales qui auraient pu accompagner leur travail. « Au retour des vacances de février, on a été pris au dépourvu. On voulait des directives et des consignes claires. En les attendant, on a communiqué sur l’ENT mais aussi vers les jeunes, les familles. On voulait des informations. Nous avons appelé l’agence régionale de santé (ARS). Ils ont pris le déclaratif de la situation de l’EPL mais sans donner de consignes à tenir. Nous avons également contacté la DRAAF qui nous a renvoyé vers l’ARS. Au début, on était perdu. On n’avait pas de position. On a été transparent et rassurant avec les agents et les usagers. On a dit ce que l’on savait. »
UN ALLONGEMENT FRÉQUENT DE LA JOURNÉE DE TRAVAIL
Quel que soit leur métier, la majorité des agents a dû organiser leur travail à domicile dans l’urgence quand cela était possible. Ce travail à distance (qui peut alterner avec du présentiel) se traduit parfois voire souvent par un allongement significatif de la durée de travail journalière et/ou hebdomadaire.
Il y a cependant des exceptions, ainsi pour une SG d’un EPL, « grâce au télétravail, je fais de « plus petites journées » avec un horaire qui va de 8H30 à 17H30 au lieu de 19H d’habitude. J’utilise fréquemment le mail et le téléphone pour échanger. Je ne réalise pas de tâches nouvelles mais plutôt des tâches différentes dans la manière de faire ».Ce cas est plutôt rare.
Pour cet enseignant-chercheur, rien ne change vraiment : « je travaille comme si rien n’avait changé : ma journée débute à 8h30 et se termine vers 18h30 ou 19h avec parfois une sortie alimentaire et une pause médiane de 1h30 le temps de se restaurer ou de lire un peu au calme.Autrement, je m’accorde une sortie allant de 30 minutes à une heure pour marcher et faire de l’exercice le soir avant dîner, pour m’entretenir un peu ».
On garde donc le contact avec les élèves, un peu trop même : ces derniers n’ont pas d’horaire !
D’autres, plus nombreux, subissent des journées parfois à rallonge et hors routine. Pour une directrice-adjointe, « on réagit au jour le jour. Depuis le confinement, je travaille autant, voire plus ». Un directeur (père d’une famille nombreuse) précise que son « amplitude horaire est réglée avec la vie de famille et la continuité pédagogique. Ma journée commence à 8H ce matin : gestion des mails. Ensuite, j’alterne avec l’organisation du travail des enfants à 9H. A 10H je suis en vigie avec les enseignants et j’accompagne l’envoi des consignes de travail aux élèves. Je vérifie ce qui est envoyé. J’imprime les documents. J’envoie les documents papiers. Il est 12H. Reprise vers 14H et fin vers 19H».
Les journées de travail peuvent donc être longue. Certains enseignants et CPE ont également du gérer des débordements dus à leurs élèves, parfois en difficultés : « on garde donc le contact, un peu trop même : ces derniers n’ont pas d’horaire ! Le soir, ils t’appellent ainsi que les week-ends ! ». Conscience professionnelle et dévouement sont bien présents au cœur du confinement et honorent leurs promoteurs. L’exemple de cette AESH est parlant : «Je n’ai pas d’horaire. Je peux travailler sur la tranche de 12H à 13H ou après 18H. Si les élèves sont coincés, ils me contactent. Même pendant les vacances, surtout pour les terminales ».
La gestion du temps n’est pas simple… J’ai des sollicitations permanentes…
Pour un autre SG, « depuis le confinement, je travaille de 5 à 6 heures de plus par semaine que par rapport à ma moyenne. Je suis de permanence et seul sur l’EPL. La gestion du temps n’est pas simple. Ma capacité d’attention est pleinement mobilisée. J’ai une multitude de tâches à faire relevant d’autres agents. J’ai des sollicitations permanentes : par messagerie, pour l’ouverture du portail de l’EPL, par les divers passages de visiteurs, par la gestion quotidienne de l’imprévue. Je ne dois rien oublier. Je dois garder ma lucidité, ne pas prendre de raccourcis. Tout ceci demande beaucoup de rigueur. Enfin, je dois lutter contre la fatigue accumulée ».
Les jeunes parents « télétravailleurs » ne sont pas toujours à la fête, surtout quand ils exercent des responsabilités : « ce qui est compliqué, c’est que mes temps de vie se superposent. J’ai une surcharge mentale. C’est compliqué de gérer mon travail et les enfants en même temps. J’ai après un mois de confinement, une fatigue mentale, quand bien même je suis chez moi et que je n’ai pas de temps de transport ». Être femme, assurée les tâches domestiques, garder les enfants, diriger une structure en mode confinement est un gros challenge !
C’est compliqué de gérer mon travail et les enfants en même temps.
Enfin, ce surcroît d’activités peut aussi se traduire par des engagements bénévoles nouveaux : « j’ai apprécié que l’on nous propose de nous rendre utiles pour lutter contre l’épidémie (sous réserve que cela soit compatible avec nos autres activités). J’ai à ce titre intégré la réserve sanitaire (de par mon expérience en sciences biomédicales et en service hospitalier de pneumologie/pathologie respiratoires). »
L’APRÈS 16 MARS :
UNE RUPTURE MARQUÉE PAR L’URGENCE ET DU TÂTONNEMENT
L’urgence s’est traduite par la mise en œuvre de classes virtuelles et l’utilisation massive de plateformes numériques ou téléphoniques. Les enseignants, enseignants-chercheurs sont devenus en une nuit des praticiens de l’enseignement à distance. Les apprenants eux sont devenus capables d’ingurgiter un enseignement sans contact. Le plus surprenant, c’est que cette nouvelle organisation des apprentissages fonctionne même si sa mise en œuvre n’a pas été simple, même si certains élèves (peu nombreux) ont décroché.
Durant la première semaine on a surtout géré l’urgence.
« Durant la première semaine on a surtout géré l’urgence » précise une enseignante. Idem pour une CPE qui constate que « dès que le confinement a été annoncé, les enseignants de mon établissement se sont organisés pour rester en contact avec les élèves ».
Certains agents ont été pris de court : « Je n’avais aucune habitude du travail à distance, je me suis trouvé devant le fait accompli. Il a fallu tout organiser en 4ème vitesse. Je suis également la maman de jeunes enfants. En quittant mon EPL le 13 mars, je n’avais pas soupçonné l’ampleur de la maladie. Je suis rentré chez moi sans matériel. J’ai bricolé avec le matériel que j’avais à la maison. Après 15 jours, j’ai du retourner dans mon EPL ».
Même précipitation dans l’enseignement supérieur agronomique, « les 2 premières semaines ont été assez lourdes pour joindre nos étudiants en stage, organiser le fonctionnement, partager avec les collègues les astuces et outils pour assurer nos entretiens et nos cours. Tout ceci s’installe progressivement même si c’est assez consommateur de temps. C’est un peu stressant de ne pas savoir bien faire. En revanche, si on veut y voir un point positif, le calme ambiant aide à la concentration.».
Les 15 premiers jours ont été hyper intenses. Nous n’avons pas eu le temps de prendre du recul.
Stress et fatigue se sont accumulés rapidement. C’est un fait marquant et transversal qui a touché beaucoup d’agents. Un directeur confie que ses « 15 premiers jours ont été hyper intenses. Nous n’avons pas eu le temps de prendre du recul. Pour ma part, j’étais dans l’action. Ensuite, nous avons connu un « coup de mou » que se soit au niveau des enseignants, des élèves, moi-même. La fatigue s’est fait sentir. Il a fallu tenir bon, que se soit au niveau personnel comme professionnel».
On a vite compris que chacun allait surtout faire comme il pouvait…
Au final, tout ceci « est allé trop vite. Et on a vite compris que chacun allait surtout faire comme il pouvait, avec ses contraintes personnelles». « Tout le monde a dû s’adapter, on a appris à fonctionner autrement. Cette crise force au changement ».
Pour lire les témoignages d’autres agents de l’Enseignement agricole public :
• Confinés : Des agents de l’enseignement agricole public témoignent – Volet 2
• Confinée : Fatna Ghorzi, technicienne à Agrosup-Dijon témoigne
• Confiné : Témoignage de Pierre Guy Marnet, Professeur à l’Institut Agro de Rennes
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• Confinée : une jeune agronome en Lycée agricole témoigne
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