Être enseignant pendant le confinement, deuxième volet de nos entretiens avec des enseignants du 1er degré. Accueil des enfants de soignants, organisation du travail, lien avec les collègues et les familles... Témoignage de Guillaume Poilleaux, directeur d'une école maternelle du Bas-Rhin.
Entretien avec Guillaume Poilleaux,
directeur d’une école maternelle
Guillaume Poilleaux est directeur de l’école maternelle de Muttersholtz en Alsace (3 classes, 91 élèves).
Mon école n’est pas concernée car dans notre département il n’y a pas d’accueil par école mais cela se fait de manière centralisée. Ainsi, dans ma circonscription, l’accueil se fait dans 2 écoles, sur 2 villages, pour accueillir au total 3-4 groupes de 8 enfants en moyenne.
La gestion (enfants accueillis, PE volontaires et collectivités) est faite par notre inspectrice de circonscription qui fait un boulot remarquable. L’accueil est quotidien (week-ends inclus) de 8h à 18h30 en partenariat avec le périscolaire. Pour les enfants restant sur la pause méridienne, ils doivent prévoir leur panier repas.
Des conseils pratiques, à partir d’un guide, ont été transmis à tous les enseignants afin de pouvoir respecter au mieux les gestes barrières lors de cet accueil et la vigilance sanitaire (savon, produit désinfectant,…) mais les masques font encore et toujours défaut. L’inspectrice de circonscription a bien conscience de cette réalité et passe régulièrement dans les écoles d’accueil apporter son soutien et s’entretenir avec les collègues sur le terrain.
Dans notre école, nous avons mis en place la continuité pédagogique à travers 3 mails par semaine et un Padlet (pour les parents voulant proposer plus de choses ou des choses différentes. Ces familles disposent de moyens numériques suffisant à la maison).
Le lundi et le jeudi, nous envoyons un mail proposant des activités de manipulation, de réinvestissement ne nécessitant pas d’impression ou de de travail sur un écran. Nous essayons de proposer au maximum des activités réalisables à partir de ce que l’on peut trouver chez tout un chacun.
Le vendredi nous envoyons un mail avec un lien vers une vidéo faite maison dans laquelle nous racontons une histoire à partir d’un album. Nous avons, pour cela, ramené 3-4 cartons d’albums de la BCD de l’école, livres que les élèves pourront retrouver à leur retour.
Prendre en compte les différentes réalités des familles…
Nous avons surtout cherché à ritualiser au maximum ce lien avec les familles en leur apportant également toutes les semaines des conseils : varier régulièrement, limiter les conflits autour d’une activité « scolaire », garder des habitudes et ritualiser les temps de la journée. Mais avant tout, les familles doivent prendre du plaisir et partager des moments du quotidien avec leurs enfants. Nous insistons aussi sur le fait que ce ne sont que des propositions d’activités mais en rien un programme à tenir coûte que coûte. Nous nous devons de prendre en compte les différentes réalités des familles et le fait que les parents ne sont pas des enseignants.
Toutes les familles de l’école disposent d’une adresse mail et au moins d’un smartphone donc la continuité se fait principalement par ce biais. Naturellement le téléphone (via un transfert d’appel) est aussi une réponse pour les parents téléphonant à l’école. La mairie étant fermée au public et les consignes de l’inspectrice étant le confinement, nous n’avons pas mis en place de continuité via un dossier papier comme nous y avions pensé au tout début.
Je pense entretenir de bonnes relations professionnelles avec mes collègues, PE et ATSEM, en plus d’amicales. Nous sommes à l’écoute des uns et des autres, et travaillons sereinement ensemble au quotidien.
Cette crise nous amène à être en contact régulier par téléphone, par mail, par visioconférence. Nous nous contactons régulièrement certes pour la mise en œuvre de la continuité pédagogique mais aussi et surtout également pour nous soutenir, prendre des nouvelles, prendre le temps d’écouter l’autre afin de passer cette crise le mieux possible.
Nous continuons à nous appuyer sur nos différences, nos propres compétences pour offrir à nos élèves une continuité pédagogique la plus large possible.
Mes liens avec notre inspectrice de circonscription sont, et restent en ce temps de crise, professionnels, respectueux et de confiance réciproque. Dès qu’elle a pu, elle nous a transmis les consignes venant de l’Inspection Académique et nous accompagne autant qu’elle le peut depuis, dans la limite de ses moyens également. Idéalement, nous aurions aimé recevoir les éclairages quant au fonctionnement attendu par le ministère dès le vendredi matin afin d’informer au mieux les parents. Mais ceci n’est pas de sa responsabilité et elle l’a subie tout autant que nous.
Nous travaillons dans une confiance mutuelle.
Avec les conseillers pédagogiques, notre inspectrice communique régulièrement par mail avec les directrices et directeurs d’école ; elle nous fait entièrement confiance à l’heure actuelle pour la mise en œuvre. Elle précise ses consignes quant aux moyens que nous devons mettre en place pour la continuité pédagogique (pas de présence nécessaire à l’école, pas de transmission papier aux parents suite au confinement,…). Elle nous a également écrit un courrier de remerciement et d’encouragement à l’issue de la première semaine et nous propose des pistes pour la continuité pédagogique pendant la période de confinement.
Notre inspectrice a assuré toute la gestion de la mise en œuvre de l’accueil des enfants des personnels soignants. Les directrices et directeurs ont été chargés de transmettre aux familles, ou aux collègues, les mails à faire suivre. Elle s’est appuyée sur le volontariat et offre la possibilité aux collègues de donner de leur temps à hauteur de ce qu’ils peuvent (1/2 journée, journée complète, semaine, week-end,…). Notre inspectrice est donc bienveillante et nous travaillons dans une confiance mutuelle.
J’ose espérer qu’à l’issue de cette crise, un bilan, sans langue de bois sera fait. Celui-ci est nécessaire pour que l’Éducation nationale (Administration et acteurs de terrain) puissent évoluer dans leurs pratiques mais aussi soient en mesure de mieux anticiper ce type de crise.
En effet, malgré la communication ministérielle, rien n’était prêt ! Les collègues l’ont découvert en même temps que l’opinion publique dans la communication du Président de la République. Un minimum de respect envers le corps enseignant, les directrices et directeurs d’écoles, les chefs d’établissement, les inspecteurs, les DASEN aurait voulu que nous en soyons informés au préalable. Cela nous aurait laissé le temps d’agir et pas seulement de réagir dans la précipitation !
Cet empressement fut source d’angoisse, de stress pour chacun·e quelle que soit notre capacité d’adaptation. Devant les informations contradictoires reçues, il aurait fallu sans doute faire plus confiance aux personnels de terrain. Il a donc fallu gérer dans l’urgence la préparation du confinement des élèves et de leurs familles.
Nos écoles doivent absolument sortir de leur fonctionnement d’antan et devenir de vrais établissements du 1er degré comme le demande le Sgen-CFDT depuis 2008. Nous devons nous appuyer sur tout ce professionnalisme, tout ce savoir faire acquis en ce temps de crise par ses principaux acteurs : les professeurs des écoles et les directeurs et directrices.
Il faut sortir d’un système ankylosé par toute cette hiérarchie verticale. Notre situation actuelle démontre que ces multiples strates (ministre, recteur, DASEN et enfin IEN) ne facilitent pas l’action de celles et ceux qui agissent au plus près des élèves.
Les directrices et directeurs ont géré dès le vendredi matin, voire jeudi soir, la situation face à des collègues, des parents et des enfants perdus devant une situation inconnue et anxiogène. L’enseignement que nous devons tirer de cette crise s’articule, pour moi, autour de deux futurs axes de travail :
- une redéfinition et une clarification des rôles et des responsabilités de chacun·e (du ministre à l’enseignant mais en passant aussi par les parents) pour asseoir la place de l’École dans la société ;
- une analyse concrète et réelle des moyens nécessaires au bon fonctionnement des écoles : personnels, matériel, supports et outils numériques.
Les écoles ont besoin de plus d’autonomie et de disposer ainsi d’une réelle capacité d’agir au quotidien et a fortiori lors d’une crise. Cela doit passer par la reconnaissance de la qualité, du travail et du sens des responsabilités des enseignantes et enseignants, des directrices et directeurs et de tous les personnels de l’Éducation Nationale. Redonnons leurs lettres de noblesse et leur dignité à tous les services de la fonction publique.
L’École de demain se doit d’être une école de partage et d’enrichissement collectif. les relations avec les partenaires, les collègues, la hiérarchie doiventt s’inscrire dans la confiance (la vraie j’entends). Chacun doit pouvoir avoir le sens de la responsabilité afin qu’il puisse y jouer sa partition sereinement, dans l’intérêt des élèves. Il faut sortir du schéma actuel fait d’injonctions souvent contradictoires. L’avenir de nos enfants, nos élèves n’a pas de prix !
Une nécessité après cette crise, faire évoluer le métier de directrice ou directeur d’école
Pour les directrices et directeurs d’école, la crise sanitaire que nous traversons peut marquer une étape importante dans la reconnaissance de leur métier et des responsabilités qui leur incombent. Au sortir de cette crise, il faudra retourner à la table des négociations ouverte par le Ministère sur la direction d’école. Le Sgen-CFDT y portera cette parole pour faire évoluer la situation juridique de l’école, pour plus d’autonomie, mais surtout pour permettre une plus grande réactivité. La gestion de la crise sanitaire en est une preuve concrète.