MAJ le 26 mars
Presque deux semaines après la fermeture des écoles, collèges et lycées jusqu’à nouvel ordre, la continuité pédagogique s'installe progressivement partout, grâce à l'engagement des acteurs et malgré encore des "trous dans la raquette".
C’est bien d’abord les acteurs « du terrain », qui portent la responsabilité de la mise en œuvre cette disposition complexe et aussi de la faire vivre. Car chacun.e est bien conscient.e qu’il n‘existe pas « une » situation (notamment selon que l’on s’adresse à des élèves du premier degré ou du lycée), ni « une » solution. D’ailleurs le ministère a changé ses éléments de langage «aucun problème, y’a qu’à suivre les cours en numérique », et il a reconnu des « trous dans la raquette ».
Avoir des objectifs clairs pour éviter le décrochage scolaire
Au-delà des discours, il faut s’interroger sur les conditions réelles de mise en œuvre pour toutes et tous de cette continuité pédagogique pensée essentiellement sous forme de numérique et de classe virtuelle. Il faut aussi s’interroger sur les effets réels sur les apprentissages des élèves, et sur la diversité de ces effets selon les élèves, notamment au regard de la fracture numérique qui existe aujourd’hui.
Dans le 2nd degré, tous les établissements ont des outils de communication avec les élèves et leurs familles, plus ou moins ergonomiques et utilisés. C’est déjà, par rapport aux élèves du premier degré, un écueil en moins. Mais avoir l’outil ne garantit pas le résultat, surtout quand on ne sait pas très bien quel est ce résultat attendu. Il est illusoire, malgré les discours rassurants de s’imaginer que la classe va continuer comme s’il ne s’était rien passé.
Pour le Sgen-CFDT, l’enjeu majeur est de garder un contact avec les élèves et d’éviter une période longue sans apprentissage pour permettre un « raccrochage » rapide à l’issue de la période et une remise en route rapide. Il s’agit aussi de rassurer, d’éviter la culpabilisation des élèves et des familles et de proposer des pistes de travail personnel utiles et adéquates en faisant « pour le mieux ».
Rester raisonnables en terme de charge de travail pour tous
Si beaucoup d’établissements ont fait le choix du « raisonnable », et de la confiance accordée aux enseignant.e.s pour garder au mieux un lien avec leurs classes (via les outils déja disponibles et les pratiques usuelles), certains se sont lancés dans la mise en place systématique des « classes virtuelles » , avec séminaires virtuels, réunions multiples et apprentissages au pas de charge de nouvelles techniques.
Si certain.e.s enseignant.e.s déjà adeptes par exemple des outils variés permettant les classes inversées sont à l’aise, d’autres sont mis.e.s en difficulté par ces nouvelles obligations de devoir se former en accéléré et à distance sur des pratiques qu’il.elle.s ne connaissent pas. La charge de travail risque alors d’être exagérément lourde encore pour ce télétravail.
Pour le Sgen-CFDT, il faut en priorité laisser les enseignant.e.s utiliser les pratiques connues et déjà utilisées avec leurs élèves pour permettre à toutes et tous de rester serein.e.s face à cette période compliquée.
Pas de sur-contrôle inutile et contre-productif
Pour le Sgen-CFDT, il est indispensable qu’en cette période inédite, chacun.e soit considéré.e avec le respect dû à son professionnalisme : toutes et tous en la période font du mieux possible. S’il est un point utile, c’est sans doute celui de la coordination à effectuer pour lisser le travail des élèves dans le temps et éviter la juxtaposition voire la superposition des demandes issues de chaque enseignant. Mais il faut accepter, en effet, que ce temps de confinement sera un temps différent de celui de la classe ordinaire, qui sans être perdu ne sera pas entièrement productif.
Les inquiétudes sur la possibilité de joindre tous les élèves, pour vérifier qu’ils ont un plan de travail pour la durée du confinement sont légitimes, mais le contrôle fébrile du nombre de connexions ou du nombre de devoirs rendus et corrigés par chaque enseignant.e, est inadmissible et contre-productif. Les enseignant.e.s ont besoin d’accompagnement et de confiance, pas d’injonction à utiliser tel ou tel outil propre à faciliter la surveillance.
Tirer les leçons de la situation et réaliser enfin une formation continue sur les outils numériques
La communication ministérielle laisse penser que cette situation de crise avec son déploiement de solutions exceptionnelles ne nécessite aucun délai de mise en œuvre, que tout le monde (enseignants, élèves…) est prêt à basculer de l’ère du présentiel à l’ère du virtuel d’un simple clic. Or, dans les faits, s’il existe une grande offre d’outils numériques, leur diffusion et leur appropriation sont très variables. Ces outils même lorsqu’ils sont déployés par des opérateurs publics (CNED, Régions…) demandent des configurations et des paramétrages importants, posent des problèmes de sécurisation et de confidentialité des données personnelles, et bien évidemment du temps de prise en main.
La situation met en lumière l’écart important entre les discours et les pratiques, les intentions et la réalité : dans les faits il n’y a pas eu d’accompagnement massif et systématique des enseignant.e.s dans l’appropriation du numérique et des outils nouveaux : cela reste soit une volonté individuelle, soit une « formation sur le tas », lorsque les circonstances l’ont exigé (ex : la mise en place du livret scolaire numérique, le cahier de texte en ligne…) . Il en est de même pour les élèves : en dehors de leur éventuelle appétence naturelle , et malgré le B2I (ou la future certification PIX), ils ont des pratiques variables sur l’utilisation d’un numérique « pédagogique ».
Après la crise il sera peut-être enfin temps de reconsidérer l’ enjeu du numérique à la hauteur de sa complexité, de son ambition et de son coût.
Un « épisode pilote » pour développer le numérique à l’Ecole ?
Le déploiement de ces outils aux palettes variées peut aussi être, dans d’autres contexte, une réponse aux situations quotidiennes d’absence d’élèves pour maladie. Des outils existent, en nombre restreint, pour les élèves ayant des maladies chroniques ou étant hospitalisés. Nombre d’enseignant.e.s utilisent déjà des outils numériques (ENT, captures des écrans de tableau numérique…) pour maintenir le lien avec les élèves absents et faciliter leur retour en classe. Ces pratiques sont rarement connues de l’administration, elles se mettent en œuvre au cœur de la relation pédagogique quotidienne entre les enseignant.e.s et les élèves.
La «révolution numérique» qui n’a toujours pas eu lieu à l’École, permettrait peut-être de changer le regard porté sur les apprentissages en classe et son articulation avec des apprentissages hors la classe.
Accompagner cette révolution numérique est indispensable. Ce sera de fait un accompagnement en partie a posteriori. Il sera indispensable de sortir d’un système dans lequel les enseignant.e.s doivent s’équiper professionnellement à leurs frais personnels.
C’est une demande ancienne, mais espérons que, enfin, une transition numérique accompagnée puisse s’engager.