Trois témoignages parus dans le dossier "Contractuels" de Profession Éducation, le mensuel du Sgen-CFDT, n° 270 (août-septembre 2019).
MATTHIEU GALLOU EST PRÉSIDENT DE L’UNIVERSITÉ DE BRETAGNE OCCIDENTALE
« Pourquoi une université recrute-t-elle des contractuels ? Tout d’abord, un CDD est essentiel pour les besoins excep- tionnels : en recherche, par exemple, on peut avoir besoin d’un spécialiste très pointu sur une question, mais pas pour les quarante ans à venir. Dans ces cas-là, que fait-on quand on n’a plus besoin des compétences correspondantes ?
Au départ, donc, les contractuels ont été recrutés sur des financements non-récurrents, sur projets, pour des emplois Biatss. Puis les difficultés des universités les ont amenées à recruter également sur des emplois récurrents. Les offres, maintenant, ne concernent plus uniquement des postes peu qualifiés, mais aussi des postes d’encadrement ou d’enseignement. Aujourd’hui, le nombre de contractuels est devenu vraiment significatif.
Ces recrutements sont tout d’abord liés aux difficultés financières des universités : d’une part, pour un même tra- vail, le cout total chargé d’un emploi est significativement moindre, même si la personne, elle, peut toucher le même salaire net. Ensuite, les dotations de l’État sont connues tard, et il est difficile de faire des prévisions à long terme, ce qui rend extrêmement complexe un pilotage fin de la masse salariale. Les financements du type programme d’investissements d’avenir (Pia) sont mieux identifiés à long terme que les dotations supposées récurrentes ! Enfin, les gels de postes statutaires ont également amené à recruter des contractuels pour l’enseignement afin de faire face aux hausses des effectifs étudiants. Mais aussi, désormais, l’emploi public n’est plus aussi attractif, et pour certains postes, il est plus facile de recruter des CDD ou des CDI, car les diplômés ne sont plus aussi intéressés par le concours. Et pour certains postes, rien dans le référen- tiel des emplois ne correspond aux nouveaux besoins ou profils recherchés !
Au-delà de ces aspects, je pense qu’on est vraiment arrivé à un tournant : au sein des services, il n’y a plus vraiment de frontière entre titulaires et contractuels en CDI. Dans la situation budgétaire que nous connaissons, le recrutement sur contrat ne peut plus être considéré comme un expédient provisoire : il nous faut désormais construire un modèle économique et social, pouvoir passer à une véritable stratégie, liée à une gestion des compétences sur le long terme, et ne plus considérer les contrats comme une simple « variable d’ajustement », penser la formation comme un outil pour permettre aux personnes d’évoluer et les accompagner dans les changements qui vont s’imposer. Une véritable mutation est en cours, et cette mutation doit se faire avec tous les personnels. » • Propos recueillis par Françoise Lambert.
TÉMOIGNAGE D’UNE INGÉNIEURE D’ÉTUDES
La première chose demandée par la collègue interviewée, c’est de ne citer ni son nom, ni l’établissement public dans lequel elle travaille.
« Avec une collègue, on a tout de suite pensé qu’il allait être difficile de trouver des avantages à notre statut de contractuelles. »
Dans son domaine des sciences humaines et sociales, c’est le secteur public qui prédomine. À la suite de son stage de fin d’études dans un laboratoire de recherche, elle a eu l’opportunité d’un premier contrat à durée déterminée. Aujourd’hui en CDI, elle a toujours travaillé dans la recherche.
« Je fais un travail riche, scientifiquement. J’ai des responsabilités, de l’autonomie. Nous ne sommes pas chercheurs mais on s’en approche. J’ai la totale confiance de mon employeur…
J’ai enchaîné de nombreux CDD de 8 mois, de 4 mois… sans interruption, mais toujours à renouveler. Le passage en CDI a été un vrai soulagement face à une instabilité permanente. En CDD, on ressent une pression non dite mais toujours là. Pendant une période, il fallait ramener des contrats pour financer son propre salaire avec une forme de chantage. Aujourd’hui je ressens une tranquillité d’esprit. Nous avons le même temps de travail que les titulaires. Mais côté mobilité, ça semble bien difficile de bouger. On ne peut pas prétendre aux mutations, aux détachements…
Sur tout ce qui touche à la carrière, nous sommes défavorisés.
Ne pas avoir le même salaire pour un même travail, les mêmes responsabilités, est une injustice. On a du mal à connaitre les règles qui s’appliquent en matière de salaires, mais il y a un réel écart avec les titulaires. Dans le privé, on négocie son salaire. Nous, ça ne nous serait pas venu à l’idée ! » • Propos recueillis par Florence Dubonnet.
PHILIPPE EST CONTRACTUEL AU SERVICE DOCUMENTATION DE SCIENCES PO BORDEAUX
« J’occupe un poste équivalent à celui de bibliothécaire assistant spécialisé (Bibas). Je gère la saisie des commandes, la sélection des ouvrages, la mise en ligne des mémoires des troisièmes et cinquièmes années et le suivi des ressources numériques.
J’ai trouvé ce poste à la suite d’une reconversion professionnelle (après mon doctorat en informatique, j’avais travaillé dans le secteur privé à Madrid). Ayant effectué l’année spéciale du
DUT du métier du livre, ma demande de stage obligatoire de huit semaines auprès de Sciences Po Bordeaux a été acceptée. Ensuite, on m’a proposé le poste en CDD pour une durée d’un an. Mon contrat de départ, en 2016, était sur un poste de catégorie C. En 2018, il a été revalorisé. Je suis donc aujourd’hui en CDD sur un poste considéré de catégorie B. Bien sûr, je préférerais être fonctionnaire, mais le succès au concours d’État implique un poste et une ville imposés, ce qui, à 40 ans et étant père d’un enfant en bas âge, ne m’enchante guère (d’autant
que je suis très satisfait du poste que j’occupe actuellement). Dans l’idéal, le concours qui me conviendrait le plus est celui d’ingénieur, technicien, recherche et formation (ITRF) afin de devenir fonctionnaire tout en gardant mon poste.
Concernant mon avenir professionnel, outre cette possibilité, une autre voie (plus incertaine en matière de sécurité d’emploi) est d’attendre que mon CDD se transforme en CDI… » • Propos recueillis par Béatrice Mencoy.