Le Sgen-CFDT est résolument opposé à l'introduction d'une mobilité forcée des directeur.trice.s de bibliothèque universitaire. Cette disposition doit être retirée du décret portant la mise en œuvre de PPCR et de l'agenda social ESR.
Les articles 92 et 97 du projet de décret portant la mise en œuvre des mesures prévues dans le cadre de l’application du PPCR et des conclusions de l’agenda social de l’ESR instaurent une obligation de mobilité pour les conservateurs et conservateurs généraux des bibliothèques exerçant des fonctions de direction de bibliothèque universitaire, de service commun de la documentation ou de structure assimilée. Cette mesure ne s’applique qu’aux établissements relevant de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Cette disposition prévoit qu’au terme d’un mandat de cinq renouvelable une fois, soit 10 ans, les agents assumant une fonction de directeur doivent trouver une nouvelle affectation et ont l’obligation de participer au mouvement. Dans l’attente de leur nouvelle affectation, ils demeurent dans leur établissement d’origine sans assumer la direction du service qu’ils dirigeaient auparavant.
L’analyse du Sgen-CFDT : un cavalier réglementaire inacceptable
Cette disposition n’a strictement aucun lien avec le PPCR, elle a été introduite en dernière minute et constitue à nos yeux un « cavalier règlementaire ». Cette disposition n’a fait l’objet d’aucune présentation aux organisations syndicales, tant au niveau du champ professionnel de l’enseignement supérieur qu’au niveau de la fonction publique. Lors de la réunion annuelle des directeurs des services documentaires de l’ESR du 2 février 2017, la DGRH a présenté l’actualité concernant la gestion des personnels, notamment le PPCR, il n’a nullement été question de ce point qui ne semblait alors pas du tout à l’ordre du jour.
Lors de la réunion multilatérale de préparation du CTU du 20/02/17 et du CTMESR du 21/02/17, qui s’est tenue le 16/02/2017, la DGRH a été interrogée sur les motivations justifiant de telles dispositions.
Il nous a été répondu que ces dispositions étaient demandées par les employeurs, sans autre précision. Et ceci afin de régler des problèmes au sein de quelques établissements, où des directeurs sont en poste depuis une durée assez longue. Nous estimons que les questions de gestion des ressources humaines au sein des établissements ne se règlent pas par décret.
Si des dysfonctionnements sont identifiés au sein de certains établissements, il existe des corps d’inspection comme l’inspection générale des bibliothèques et l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche qui peuvent apporter leur concours pour objectiver la situation et produire des recommandations. Un dialogue social nourri et régulier au sein de l’établissement constitue un préalable, qui s’il était véritable éviterait certainement d’enkyster des situations difficiles qui auraient pu être réglées en amont. Enfin, il n’est pas certain que les fameuses difficultés, évoquées en général sans être précisées, soient forcément du fait des responsables des services documentaires.
Concernant la disposition elle-même, le Sgen-CFDT a mis en avant plusieurs points :
- Cette disposition ne concerne que les établissements relevant du MENESR, sont donc exclus du champ d’application les postes de direction au sein des établissements relevant du Ministère de la Culture (Bibliothèque nationale de France, Bibliothèques municipales classées) ou d’autres départements ministériels. Cette différence de traitement constitue à nos yeux une rupture d’égalité dans le traitement des agents. Les corps des conservateurs et conservateurs généraux des bibliothèques étant des corps à vocation interministérielle, il n’y a pas lieu d’instaurer des règles différentes entre établissements relevant de ministères différents.
- La mobilité des corps des conservateurs et conservateurs généraux est actuellement très importante. Les agents se sont mobilisés à plusieurs reprises en signant massivement des pétitions portées par les organisations syndicales demandant le retour du second mouvement des personnels. Ce second mouvement sera à nouveau pratiqué après une expérimentation non concluante de trois ans, qui avait favorisé le recours à la BIEP. 7 à 10% des conservateurs font chaque année une demande de mutation, il y a aujourd’hui plus de demandes que d’offres. Les corps des conservateurs sont certainement les corps les plus mobiles de l’ESR. Notons que le statut des conservateurs comprend déjà une obligation statutaire de mobilité pour accéder au grade de conservateur en chef, ce qui n’est pas une disposition si courante dans les corps de catégorie A+. Au lieu d’imposer une nouvelle contrainte de mobilité, il serait préférable de travailler à un renforcement du droit effectif à mobilité dans les autres corps et filières de l’ESR. La disposition proposée entant régler un problème de mobilité qui n’existe pas, à chaque mouvement des postes de direction sont proposés au mouvement et des candidats postulent.
- Concernant la nouvelle affectation des directeurs arrivés au terme de leur mandat, nous avons rappelé que nous sommes déjà aujourd’hui dans une situation complexe, où les conservateurs généraux, déjà directeurs, souhaitant changer d’établissement, ont beaucoup de difficulté à trouver un nouveau poste. Une mobilité forcée renforcerait cette situation. Nous constatons depuis plusieurs années une dérive localiste marquée lors du renouvellement des postes de direction, quand un directeur-adjoint postule, il est 8 fois sur 10 retenu alors même que des candidats expérimentés issus d’autres établissements postulent. Les fameux employeurs ne peuvent à la fois vouloir un renouvellement et pratiquer trop souvent une politique de recrutement marquée par le localisme.
- Si on s’attache à examiner les effets pratiques d’une telle mesure, on comprend qu’elle soulève plus de problèmes qu’elle n’en résout, outre la difficulté de retrouver un poste, les établissements devront gérer des périodes de transition plus ou moins longues, où l’ancien directeur reste dans le service sans le diriger, mais pour assumer quelles fonctions ? On peut considérer que sauf exception, au terme de 10 ans d’exercice, le directeur sera un conservateur général dont le statut prévoie explicitement qu’il a vocation à encadrer et diriger un service. L’engendrement de ce type de situation n’est bon ni pour l’ancien directeur, ni pour le nouveau, ni pour l’établissement qui devra gérer la masse salariale de l’ancien et du nouveau directeur. Par ailleurs la non libération de son poste rendra encore plus complexe le recrutement d’un directeur venu d’un autre établissement, puisqu’il faudra créer un nouveau support budgétaire pour l’accueillir. A moins que les fameux employeurs n’envisagent une politique délibérée de localisme absolu, ce qui mettrait définitivement à mal l’objet de la disposition proposée.
- Enfin, il faut aussi prendre en compte les problèmes personnels qu’une telle mesure engendrerait pour les collègues exerçant en dehors de la région parisienne où il n’existe généralement pas d’autre poste. Mobilité familiale forcée, des mesures qui ne pourraient que diminuer l’attractivité des postes de direction en dehors de Paris, postes qui sont déjà moins attractifs.
Les dispositions proposées instaurent les contraintes de l’emploi fonctionnel sans apporter les bénéfices individuels qui sont liés aux véritables emplois fonctionnels : grille revalorisée, indemnités spécifiques supplémentaires, avantages en nature.
Si on examine le périmètre des postes concernés par la mesure, il s’agit selon la DGRH de 106 postes de direction. Il nous semble que ce chiffre est certainement surévalué, il conviendrait d’examiner la liste des postes retenus par la DGRH. Le nombre de postes de direction a considérablement diminué avec les politiques de fusion d’établissements qui sont à l’œuvre depuis plusieurs années.
Nous allons demander que la DGRH nous communique les données chiffrées concernant les postes de direction, la durée d’occupation constatée par le directeur en poste ainsi que son âge.
En attendant de pouvoir utiliser des données fiables, une analyse rapide basée sur une connaissance qualitative des collègues assurant une direction d’établissement, qui est aisée étant donné le faible nombre de postes, permet de dresser le paysage. Nous estimons qu’une moitié des directeurs aura autour de 60 ans au terme des 10 ans d’exercice, il sera lors particulièrement difficile de trouver un nouveau poste à cette étape de leur vie professionnelle. L’expérience, est souvent valorisée dans les discours mais dans les faits l’ostracisme des plus de 55 ans est une réalité (y compris dans la fonction publique) doublée d’une attention mesquine sur la position dans la grille indiciaire. Oui les agents en fin de carrière coûtent plus chers que ceux en début ou milieu de carrière. Non les agents avancés dans la vie professionnelle ne sont pas obsolètes. Nous estimons qu’un petit tiers des directeurs accèderont à la retraite au terme de la période des 10 ans fatidiques. Donc la mesure risque de concerner environ 20% des directeurs soit 20 personnes. Est-il souhaitable d’instaurer par décret des mesures qui vont concerner un faible nombre de personnes, dans un vivier réduit de postes pour une mobilité ? Beaucoup des employeurs ne sont-ils pas satisfaits de leur directeur de service documentaire et ne souhaite-t-ils pas au contraire le garder farouchement ?
Précisons tout de même que la mobilité n’est ni bonne ni mauvaise pas essence, elle doit avant tout être un droit pour l’agent, répondre à ses aspirations et rencontrer ensuite celles d’un établissement. La Charte de la mobilité dans la Fonction Publique dit dans son introduction : « La loi n° 2009-972 du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels reconnaît un droit nouveau aux agents, le droit à la mobilité, et leur permet de construire un parcours professionnel cohérent et enrichissant qui réponde à leurs aspirations personnelles et aux besoins des services. »
La construction d’une politique documentaire dans la durée est aussi un aspect positif, par exemple, les constructions de bâtiments sont longues entre l’idée et la réalisation. Rappelons pour finir, et pour sourire, que la vision de l’action dans la durée est empreinte de relativisme, par exemple le directeur de la Library of Congress aux Etats-Unis d’Amérique est nommé à vie, et que de nombreux directeurs de bibliothèques universitaires européennes exercent ou ont exercé avec succès sur une durée excédant largement 10 ans.
Le Sgen-CFDT est totalement opposé à cette mesure et déposera un amendement demandant le retrait pur et simple des articles 92 et 97 au CTMESR du 21 février 2017.